La politique de la concurrence levier de modernisation économique aux avancées certaines
Par Youssef Oubejja (*)
L’essor économique que connait notre pays n’est pas anodin, mais résulte bel et bien de stratégies bien déterminées et identifiées dont le bâtisseur est Sa Majesté le Roi Mohamed 6. En effet depuis son ascension au trône le Monarque n’a de cesse d’avoir pour première préoccupation de bâtir un Maroc moderne en asseyant et consolidant l’Etat de droit tout en renforçant les institutions du pays en les dotant des pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs missions à l’instar des grandes nations démocratiques.
La refonte institutionnelle qu’a connue notre pays a eu des retombées très positives sur la politique de la concurrence qui constitue un levier incontournable de modernisation économique. Cette refonte fondamentalement impulsée par la Constitution de 2011, a érigé le Conseil de la concurrence en une institution constitutionnelle indépendante de gouvernance, qui a pour mission transversale d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse de la régulation de la concurrence sur les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales, et des opérations de concentration économiques et de monopole.
Le conseil de la concurrence qui disposait auparavant d’attributions exclusivement consultatives voit ses prérogatives renforcées, et acquiert le pouvoir décisionnel et de sanction dans les domaines de l’antitrust (ententes et abus de position dominante, abus de dépendance économique), et du contrôle des concentrations. Dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles, les décisions du Conseil peuvent, se traduire par des injonctions, des mesures conservatoires et des sanctions administratives pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise ou groupe d’entreprise contrevenantes.
Il a en outre, acquis la compétence dans le domaine des concentrations anciennement dévolue au premier ministre qui ne garde qu’un droit d’évocation de réviser les décisions du Conseil pour des motifs d’intérêt général, autres que la concurrence. Ce choix est concordant avec les pratiques de la majorité des pays européens où l’autorité indépendante instruit le dossier de concentration et tranche, laissant éventuellement au responsable politique un droit de véto pour les affaires comportant des éléments stratégiques pour le pays.
Enfin, le nouveau cadre juridique dont l’essentiel fut adopté en 2014, à travers la loi 104-12 sur la liberté des prix et de la concurrence modifiant la loi 06-99 ainsi que la loi 20- 13 sur le Conseil de la concurrence consolide le rôle de ce dernier dans la promotion de la concurrence. Ainsi le Conseil est obligatoirement consulté par le gouvernement au sujet des projets de lois en relation avec la concurrence. Cette obligation existait déjà dans l’ancienne loi mais elle acquiert une dimension nouvelle dans le nouveau dispositif. Les projets de loi ayant fait objet de cette consultation doivent, en effet, être publiés, accompagnés de l’avis du Conseil de la concurrence, et des motifs de refus de prise en compte, le cas échéant, de ses propositions.
La volonté Royale dans le renforcement du rôle du Conseil de la Concurrence constitue un choix constant émanant de du plus haut sommet de l’Etat, et découle de plusieurs considérations politiques, économiques et sociales.
En effet, sous le règne du Roi Mohamed 6, le contexte économique marocain a connu des changements notables qui se sont traduits par des projets structurants. L’activité économique a connu un essor par le biais des IDE en constante évolution et les répercutions positives du commerce extérieur. A travers ses actions volontaristes, le Roi ne cesse de propulser l’économie marocaine dans le giron des économiques émergentes solides, tout en veillant à sauvegarder le tissu économique national. De même, ayant consolidé favorablement les relations avec les pays de l’Europe tout en renforçant les liens avec l’Afrique et tout récemment avec l’annonce faite lors du dernier discours de la marche verte pour l’ouverture sur la façade atlantique, le Roi renforce indéniablement le leadership du Maroc sur le plan économique régional et international.
Ceci dit le souverain était hautement conscient des obstacles et des résistances que rencontreraient les initiatives de réformes économiques modernes. C’est ainsi que sa vision politique économique ambitieuse s’est traduite par une volonté d’assainir le marché des dysfonctionnements qu’il affichait, pour asseoir les piliers d’une économie libérale moderne qui prenne en considération les intérêts des consommateurs et la sauvegarde du processus concurrentiel. Pour se faire il était en effet incontestable et même crucial, de moderniser les institutions et rendre leurs actions efficaces et crédibles.
L’action du conseil de la concurrence plus particulièrement considéré comme acteur de régulation concurrentielle et de politique de la concurrence en général, porte, d’une part sur des marchés dont le mode de fonctionnement est axé sur la liberté économique dans tous ses aspects (liberté d’accès et de sortie, liberté de mise sur le marché, liberté d’exercice, liberté de fixation des prix). Il s’agit de marchés dont la régulation est assurée par le fonctionnement spontané de l’ordre concurrentiel issu de la confrontation de l’offre et de la demande. D’autre part sur les marchés soumis à une régulation sectorielle, qui ont une structure caractérisée par la présence de fortes barrières à l’entrée et à la sortie, en l’occurrence les barrières naturelles et structurelles qui dissuadent les nouveaux entrants et les empêche de concurrencer efficacement l’ancien monopole. La nature et la structure de ces marchés, ne fait pas obstacle, à l’intervention du Conseil de la concurrence, s’il constate des comportements de nature à compromettre le fonctionnement normal du processus concurrentiel.
Toutefois, il est à noter que si la liberté de la concurrence constitue le mot d’ordre dans les marchés non régulés de manière sectorielle, c’est-à-dire dont le fonctionnement est assuré par la simple confrontation de l’offre et de la demande, cela n’implique aucun à priori quant à leur « concurrentiabilité » selon la terminologie utilisé par l’ancien président du Conseil de la concurrence. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un marché est libre qu’il est concurrentiel. En effet, même si un marché n’est pas soumis à une régulation sectorielle, cela n’exclut pas l’existence de dysfonctionnements concurrentiels au sein de celui-ci. La pratique révèle que les marchés soumis au contrôle du Conseil de la concurrence sont souvent des marchés imparfaits souvent oligopolistiques, terrain favorable à la commission des pratiques anticoncurrentielles notamment, les abus de position dominante collective, et les ententes.
De même, la compétence transversale du Conseil dite aussi horizontale, s’étend à tous les secteurs de l’activité économique et tous les marchés au sens économique, c’est-à-dire tout lieu où se confronte l’offre et la demande quelque soit le statut des opérateurs (publics et privés).
Dans un souci de rendre compte du bilan du Conseil, nous admettons que son activité a été timorée se réduisant à l’émission des avis, et ce n’est qu’a dater de la dernière décennie qu’il a connu une certaine dynamique. Il s’agit là d’un constat de fait, toutefois, nous considérons en revanche que l’action du Conseil de la Concurrence a été assez audacieuse dans la sanction de l’entente anticoncurrentielle imputable aux opérateurs dans le secteur oligopolistique des hydrocarbures. Cette décision dénote une volonté de rompre avec la politique d’impunité en dépit du lobbying qui entrave l’action des régulateurs.
Nous préconisons qu’il est nécessaire de se prémunir en amont contre le lobbying qui caractérise ces structures de marché et auquel adhèrent les acteurs de ces derniers. En effet, lorsque les pouvoirs publics ont à faire avec des acteurs d’un oligopole opérant dans un secteur sensible et stratégique, ils doivent réfléchir à mettre en place les gardes fou adéquats pour anticiper d’éventuels pratiques anticoncurrentielles susceptibles de porter une atteinte significative au pouvoir d’achat des consommateurs ou même compromettre la stabilité sociale. Ces gardes fou pourraient indéniablement consister à introduire plus de concurrence, en conférant le droit d’établissement à une large majorité d’entreprises.
C’est d’ailleurs dans ce sens que s’inscrit le nouveau projet de décret n° 2.23.962 modifiant et complétant le décret n°2.72.513 du 7 avril 1973 pris en Conseil de Gouvernement, relatif à l’importation, l’exportation, le raffinage, la reprise en raffinerie et en centre emplisseur, le stockage, et la distribution des hydrocarbures. Ce nouveau texte vise en l’occurrence à opérer une réforme en profondeur capable de stimuler la concurrence pour faire bénéficier les consommateurs et les entreprises de ses vertus, en termes de baisse des prix et d’élargissement de l’éventail de l’offre disponible sur le marché, d’autre part de garantir l’approvisionnement du marché et la disponibilité des stocks.
Cette réforme s’inscrit dans une volonté de parachever la libéralisation du secteur certes à un rythme maitrisable par la levée progressive des barrières à l’entrée. Il est indéniablement incontestable qu’une spécialisation et une diversification des acteurs opérant au niveau de la chaine de valeur est requise pour réussir le chantier ; c’est d’ailleurs ce que prévoit la réforme. Par ailleurs, la stimulation de la concurrence à travers les mesures prises par le nouveau décret constitue une sorte de mise en garde indirecte faite aux opérateurs contre le recours à la commission de certaines pratiques anticoncurrentielles, jadis facilités par le couplage d’activités et la détention de parts de marché significatives dans ces dernières. Cette détention renforce ainsi la présence dans le secteur des trois principaux opérateurs du secteur des hydrocarbures et accroit fortement leur pouvoir de marché, et peut favoriser des pratiques de ciseaux tarifaire.
(*) Youssef Oubejja Docteur en Droit