La politique étrangère d’Emmanuel Macron : Confrontation à l’ONU
Par Dominique Martin
La politique étrangère : des mots aux actes
Jamais, comme ce 25 septembre, à la tribune des Nations unies, on n’avait assisté à un tel « chaos » : les deux puissances fondatrices de l’Institution, les USA et la France, se sont affrontées avec une particulière véhémence. L’enjeu de cette diatribe était clairement leur vision respective de la marche du monde. Face au dogme de Trump, « America first », Emmanuel Macron a prôné, avec la même fougue, son choix pour un monde multilatéral, tourné vers la lutte contre les inégalités à l’échelle de la planète. Trump n’a pas hésité à transformer en offensive la préférence des USA pour un « repli sur soi », martelant : Nous ne permettrons plus que les ouvriers américains soient des victimes, que nos entreprises soient bafouées, que l’on pille nos richesses. L’Amérique ne s’excusera pas de défendre ses citoyens…Nous refusons l’idéologie de la mondialisation et nous embrassons celle du patriotisme. Emmanuel Macron, s’écartant de ses notes jette, ensuite à l’assistance, un appel enflammé : Ne vous habituez pas, ne nous habituons pas, chaque jour à ces pages déchirées, moi je ne m’habitue pas, l’Histoire nous regarde et nos enfants nous attendent. Simple passe d’armes ou débat de fond ? Le choc des mots qui résonnent les uns contre les autres montre qu’il s’agit d’une confrontation fondamentale : multilatéralisme contre unilatéralisme, ouverture des nations contre protection derrière les souverainetés ; acceptation des inégalités face à une lutte inlassable contre ces inégalités, dont se nourrissent les sociétés de défiance. Point par point, Emmanuel Macron, sans le nommer, fustige un Président des USA, qui semble être devenu pour lui un adversaire, plus que l’allié d’hier. Et pourtant, dans cette enceinte onusienne, le Président français, à l’exception du principe de l’alliance militaire, ne paraît plus partager avec son homologue américain des positions communes.
La démocratie américaine, un trompe l’oeil
Si l’on se souvient des positions respectives des présidents Sarkozy et Hollande, on trouverait difficilement un ton aussi péremptoire, ni de telles divergences sur la conduite des enjeux du monde. Il est vrai que jamais les USA n’ont élu un Président aussi nationaliste et populiste (même si le repli américain a été prôné dans le passé) ; de surcroît un Président qui a pour lui la franchise des mots, mais aussi une dose de grossièreté inégalée et un apparent mépris pour tous ceux qui ne partagent pas ses vues. On comprend ainsi que l’impétueux Emmanuel Macron ait choisi l’enceinte de l’ONU pour faire entendre sa voix : non pas face à une série de représentants pour la plupart blindés face aux diatribes, mais vis-à-vis des diverses puissances, qui peuvent en tirer des leçons. Et faire entendre la voix de la France était sans doute le premier objectif d’Emmanuel Macron. D’une part, pour faire savoir aux autres puissances que Donald Trump ne peut pas se reposer sur les alliances traditionnelles qui constituaient la base de l’entente globale entre les pays libres; que la protection derrière les slogans de la démocratie et de l’économie de marché cache, à vrai dire, des choix intéressés qui renvoient à une conception très unilatérale de la gestion du monde, pour le seul profit des USA ; qu’il est temps de viser au rétablissement de la confiance, au sein de sociétés fracturées.
Le Président français, dont on se souvient qu’il fut l’assistant du philosophe Paul Ricoeur, peut faire valoir aussi que, depuis son élection, il n’a cessé de mettre en actes les paroles auxquelles il se réfère. Son intérêt particulier pour la politique étrangère l’a amené à prendre l’initiative de divers choix collectifs : dans l’épineux dossier libyen, il a très tôt convoqué toutes les parties belligérantes à Paris. Dès que Donald Tump a décidé de se désolidariser de l’accord de Paris sur le climat et l’écologie, il a contribué à mettre en place une coalition européenne contre le revirement de Trump. Face à ses brutaux retraits des alliances économiques intercontinentales, il a décidé de protéger les accords de libre échange avec le Canada et les USA. C’est sans doute dans le domaine de la politique migratoire que le Président français n’a pas ménagé sa peine : la France à elle seule ne peut pas régler ce délicat problème. Mais outre le rappel incessant, face à la montée des gouvernements nationalistes et xénophobes en Europe, il a défendu, au sein de l’Europe, la vision tempérée de l’accueil humanitaire et d’une nécessaire fermeté, face à l’implosion que l’Europe a connue depuis 2015. En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, en pleine ascension depuis les prises de guerre de Daech, il a donné aux français la mesure de la protection qu’il leur promettait dans sa campagne électorale. Et il a renforcé l’action militaire, en particulier dans le Sahel. Ainsi, sans que cette liste ne soit exhaustive, elle montre comment, dans l’esprit du renforcement de l’Union européenne, Emmanuel Macron a fait siens les grands enjeux de ce début de siècle. Ses positions fermes pour préserver aussi les accords internationaux, en particulier, dans le domaine du contrôle de la puissance nucléaire (Iran, Corée du Nord), n’obéissent pas au jeu dangereux de l’imprévisibilité à laquelle Donald Trump se plaît à jouer, comme si la planète était un jeu de société.
Les moyens d’une politique étrangère forte
Nous n’éluderons pas les questions que posent les engagements du Président Macron. La première concerne sa capacité à mobiliser d’autres acteurs : c’est bien ce à quoi il tend, en affirmant la nécessité de faire ensemble. Mobiliser passe d’abord – il le sait bien – pour chacun de ces enjeux à nouer des alliances, à commencer au sein de la vieille Europe, aujourd’hui au bord d’une nouvelle fracture, celle du choc des partis extrêmes. C’est sans concession qu’il a parlé de la lèpre, lors d’un récent discours en France (comme en d’autres temps, on a parlé de « peste brune ». En outre, si l’Europe veut aujourd’hui montrer qu’elle n’est plus cet ensemble de peuples qui se sont abrités derrière le colonialisme (ou qui ont profité honteusement des harkis), il reste à construire pour le Président une nouvelle politique en partenariat avec le monde arabe (et aussi en direction du Moyen Orient). Et là, une harmonisation avec les autres grandes puissances, impliquées dans le conflit syrien (Russie, Iran, USA aussi) est sinon nécessaire, du moins encore problématique. Mais le premier enjeu qui se présente sur notre continent est double : c’est de préserver la cohésion européenne et, aussi, de coordonner les ripostes face à l’agressivité américaine.
Dans cette guerre à la fois idéologique et économique, Emmanuel Macron est-il à jeu égal avec Donald Trump ?
Face à l’imprévisibilité de Donald Trump, des alliances durables peuvent-elles se consolider ? Une appréciation pessimiste pourrait faire penser qu’entre les USA et bon nombre de puissances, c’est aujourd’hui le paradigme de la guerre qui domine. Ce serait toutefois en oubliant que ni la Russie, ni l’Inde ni la Chine n’étaient présents à cette réunion. Nul doute que ces « grands absents » ne resteront pas sans voix