La situation épidémiologique au Maroc : le point avec l’Institut Pasteur
Le bilan des cas contaminés par le Covid-19, au Maroc, monte crescendo, jour après jour. Les autorités marocaines, elles, passent à la vitesse supérieure en termes de mesures, sans une once d’hésitation, afin de garder le coronavirus sous contrôle. Le Royaume déclare ainsi l’état d’urgence sanitaire, tout en limitant les déplacements des citoyens, à compter du vendredi 20 mars à 18h, et ce jusqu’au 20 avril.
Face à cette crise sanitaire, l’Institut Pasteur, désigné comme un laboratoire de référence, dans le cadre du plan national de riposte contre le coronavirus, s’occupe des aspects de confirmation de diagnostic au laboratoire d’infection. Dans un entretien accordé à MAROC DIPLOMATIQUE, docteur Abdelouaheb Bennani, directeur du laboratoire de biologie moléculaire chez l’Institut Pasteur, dresse l’état des lieux de la situation épidémiologique au Maroc.
MAROC DIPLOMATIQUE : Quel est le protocole médical que l’institut Pasteur au Maroc suit ?
Docteur Abdelouaheb Bennani : L’Institut Pasteur au Maroc dispose d’un laboratoire dédié à la surveillance épidémiologique des virus propagés au niveau mondial, à l’instar d’Ebola et du SRAS. Ainsi, quand l’OMS tire la sonnette d’alarme, l’Institut Pasteur est toujours présent pour faire le diagnostic d’une telle infection.
Nous détectons les infections via deux moyens, l’outil virologique qui permet de détecter les anticorps, ce qui n’est pas le cas pour la grippe ou bien le coronavirus, qui nécessite des outils moléculaires, comme le PCM. Il s’agit d’une méthode qui cherche à identifier, à vérifier si dans ledit prélèvement, il y a du matériel génétique du virus.
MD : Peut-on dire que la situation est sous contrôle jusqu’à présent?
Dr. AB : Pour l’instant, oui. Toutefois, l’isolement des personnes potentiellement porteuses du virus reste impératif pour contourner la propagation du virus.
MD : Est-ce que vous trouvez que le nombre des cas détectés est rassurant par rapport à la rapidité de la propagation du virus ?
Dr. AB : Nous n’avons pas de visibilité par rapport à cela jusqu’à présent, parce que la vitesse de la propagation du virus est tellement rapide qu’on ne peut anticiper ce qui va se passer dans les prochains jours.
D’autant plus que nous n’étions pas assez équipés pour contrôler les voyageurs un par un. Notons que les cas asymptomatiques posent problème dans cette situation, parce qu’ils sont porteurs du virus mais on ne peut pas le savoir car ils n’affichent pas de symptômes au départ. Ce n’est qu’après quelques jours, qu’ils commencent à développer des signes cliniques. Ce genre de cas n’est pas gérable parce que la personne infectée par le virus contamine son entourage, sans s’en rendre compte.
D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle la situation épidémiologique est montée en flèche en Italie, en Espagne et en France. Le coronavirus se propage d’une manière incroyablement rapide.
Mêmes les chaussures peuvent être porteuses du virus. D’ailleurs, parmi les mesures de prévention qu’on recommande aujourd’hui, c’est d’ôter ses chaussures à la porte de la maison et de marcher sur une serpillère qui contient de l’eau de javel.
MD : Le Maroc déclare l’état d’urgence sanitaire et impose des limitations de déplacement, mais, est-ce qu’on pourrait ainsi limiter la propagation du virus sur le territoire national ?
Dr. AB : Les mesures prises aujourd’hui sont efficaces, notamment, celles liées à la fermeture des frontières et les restrictions de déplacements.
Il fallait passer à cette étape, partout dans le monde, il y a longtemps. Or, le monde a préféré préserver son tourisme et protéger son économie. Il aurait été plus intelligent de fermer les frontières en Chine depuis les premiers jours du déclenchement de l’épidémie. Mais, comme c’est une nouvelle expérience, la Chine n’était pas préparée à cette situation.
Notons qu’ils ont réussi quand même à endiguer le virus, grâce à plusieurs mesures, dont la fermeture des frontières. En l’occurrence, on constate, aujourd’hui, que la prévalence de l’épidémie diminue, ce qui veut dire qu’ils ont pu maîtriser les choses.
MD : Peut-on envisager une situation pire que celle présentée par certains, notamment au niveau des prises en charge hospitalières ?
Dr. AB : C’est possible parce que la situation nécessite l’isolement, alors, que les patients à l’hôpital ne sont pas tout à fait isolés. Il faut vraiment que ce soit un circuit à part pour l’hospitalisation.
Au total, le Maroc compte 1.640 lits de réanimation, dont 684 dans le secteur public et 504 dans le privé, en plus de 70 lits dans les structures médicales militaires et 132, dans les établissements d’intérêt général et la création programmée de 250 nouveaux lits de réanimation.
MD : Y a-t-il un plan B en cas d’imprévisibles ?
Dr. AB : La situation est toujours souscontrôle. Aucun épidémiologiste ne saurait anticiper sur ce qui va venir par la suite. C’est relatif à l’évolution de l’épidémie au Maroc.
La meilleure solution, jusqu’à présent, est la prévention avec tous les moyens de précaution. Maintenant, ce qu’on peut envisager déjà pour l’instant est de prendre le maximum possible de mesures de confinement. Il faut vraiment que les gens restent chez eux pendant 14 jours, voire un mois et que les frontières restent fermées, le temps qu’il n’y ait aucun cas au Maroc.
En tout cas, chacun de son côté devrait être attentif à son hygiène et laver les mains très souvent.
MD : À quel moment atteindrons-nous la phase du pic et quelle forme prendrait-il ?
Dr. AB : Le pic dépend de plusieurs paramètres, notamment, celui de la condensation des gens dans les villes. Certes, nous n’avons pas de visibilité sur le futur de la situation épidémiologique au Maroc, mais, nous avons déjà des expériences devant nous d’autres pays. On peut en tirer des leçons à ce stade. Maintenant, il faut que les gens soient disciplinés, suivent les consignes de l’Etat et appliquent les mesures de prévention.
Par ailleurs, il faut que les gens fassent très attention aux personnes âgées, parce que le taux de mortalité est très important chez cette catégorie de personnes et chez les immunodéprimés aussi. Toutefois, on peut facilement échapper à une crise sanitaire si on prend au sérieux les mesures de précaution. Nous n’avons pas besoin de moyens pour rester chez soi à la maison, donc, il faut s’y mettre !
MD : On parle déjà d’un possible remède comme la chloroquine et la Plaquenine, est-ce une éventuelle piste que le Royaume peut envisager pour lutter contre le coronavirus ?
Dr. AB : C’est sûr ! Au cas où le médicament contenant de la Chloroquine s’avérerait efficace pour traiter le Covid-19, son utilisation suivra un protocole médical approuvé par un Comité scientifique national.
«La meilleure solution jusqu’à présent est la prévention avec tous les moyens de précaution»