Libye, mezza voce…
par Hassan Alaoui
Ce sont les honteuses et horribles scènes de commerce des populations noires qui ont révélé la tragédie libyenne. Elles nous renvoient au Moyen Age, à cette irascible féodalité qui nous prend par la nuque. Il n’y a pas de mot, en effet, pour qualifier ce recul abyssal de l’humanité, les réseaux sociaux ayant largement épuisé le registre de l’émotion et des condamnations.
Ainsi donc, à quelques milliers de kilomètres de nous, non loin de l’Europe, aux bordures de la Méditerranée – cette « mare nostrum » si pénible désormais et frappée par des drames – s’érige un marché des plus ignominieux, victoire de la mort sur la vie, désastre et échec de l’humanité. Aux lisières de l’Europe, on vend la vie, on achète l’être humain, au grand dam des démocraties ou ce qui en reste encore. Et c’est d’autant plus effrayant qu’aucune réaction officielle d’Etats ou de gouvernements n’est venue incriminer et encore condamner ce jeu de massacre de la dignité des groupes, constitués d’hommes, de femmes et d’enfants aux yeux hagards, figés de peur, livrés aux bandits des grands chemins, sans foi, ni loi, mercenaires qui leur volent la vie.
Celles et ceux qui ont échappé à la mort des océans et des mers furieuses, retombent dans les mains des assassins…en Libye. Par dizaines, compassés, reculés derrière le mur et les vilénies abominables, victimes du gain et toutes les turpitudes afférentes aux mauvaises et injustes guerres, des hommes et des femmes, au motif fallacieux qu’ils sont noirs et désespérés sont livrés et « vendus » comme des bêtes de somme…Leurs sorts nous ramènent au siècle de l’esclavage et des déportations massives des siècles derniers, au Brésil notamment dans des embarcations de fortune, aux Etats-Unis et ailleurs.
Or, le contexte actuel n’a rien à voir avec les époques précédentes. Le siècle passé a vu se déployer des guerres partout dans le monde, en Europe, en Asie et surtout en Afrique, il a été marqué par d’immenses déplacements de populations, et en même temps par des refoulements et des exactions collectifs !
Certes, la guerre de Libye a dégénéré en enfer, et plutôt que déboucher sur une « révolution démocratique », elle a fait éclater le pays en provinces rivales, livré l’Etat aux mains de tribus, détruit la confiance et surtout fait émerger des potentats qui n’en ont cure. La Libye fait partie du Maghreb, elle est normalement partie prenante du processus d’intégration des pays de l’UMA. La France de Sarkozy y est pour beaucoup dans ce drame libyen, elle porte la lourde responsabilité de son démembrement et, au-delà, de la tragédie que l’on contemple de nos jours, les bras croisés et le doigt sur les livres, mezza vocce…
Imagine-t-on Moâmmar Kadhafi, tout dictateur et autocrate qu’il fut, tolérer des scènes de vente d’immigrés africains ? Il vouait à l’Afrique et à ses peuples plus que le culte de respect…Les Nations unies, à défaut de prendre le taureau par les cornes, sont dans l’obligation d’alerter l’humanité tout entière, de mobiliser les Etats, de procéder à l’arrestation et au jugement des criminels et des gangs livrés au funeste commerce de nos semblables. Quant au gouvernement français, dont les dirigeants semblent de nouveau attirés par le continent africain, quant à l’Union européenne qui prendra par au Sommet d’Abidjan, ne devraient-ils pas à leur tour prendre une ferme position dans ce dossier douloureux ?