La Suisse évite de justesse le mur fatal
GENEVE – Maxime Bourquin
Le 28 février dernier, le peuple suisse s’est réveillé sous le coup de la surprise, au temps d’un vote ô combien important à différents aspects. Rappelons les faits pour les néophytes en politique helvétique : le parti d’extrême droite, – l’UDC (Union démocratique du Centre) – supporté par la classe agricole et mené par le controversé bien que charismatique multimilliardaire Christoph Blocher- avait déposé une initiative pour le renvoi des étrangers criminels de Suisse. Un sujet sur lequel il avait déjà remporté les voix du peuple à 53 % en 2010. Le vent en poupe, suite à un net succès lors des dernières élections législatives fédérales et bénéficiant d’un contexte international favorisant la xénophobie, le parti agrairien a payé le prix de ce qui était peut-être la provocation et l’excès de confiance de trop.
Tant par l’incohérence du texte, qui visait à expulser les étrangers ayant commis des délits mineurs (par exemple le récidive d’un sévère excès de vitesse) que par l’illogisme de déposer une seconde initiative avant même que les Chambres fédérales aient bouclé la loi d’application du premier écrit, cette bataille semblait maladroite et perdue d’avance. Les chiffres sont tombés : 58.9% des Suisses ont répondu non à une « mise en œuvre » excessive et ont ainsi refusé de tomber dans le piège du populisme agressif que perpétue l’UDC depuis maintenant plusieurs années, à coup de campagnes et d’affiches scandaleuses. Cet échec patent est également dû à l’attaque contre l’Etat de droit, l’enfreinte au système politique suisse (contournement du référendum), et pour finir, et ce n’est pas l’une des moindres entorse , l’entrave aux droits de l’Homme.
La presse helvétique, à son tour, n’a pas été tendre quant aux résultats des votes, ne cachant pas son bonheur de dénoncer «les mensonges», «les tripatouillages des faits» ou encore les «dérapages racistes et machistes» des représentants du parti nationaliste et de le voir échouer face au bon jugement des concitoyens.
La Suisse n’avait pas envie de voir déraper ses valeurs de terre d’accueil, empathique, favorable au multiculturalisme et opposée à une justice à deux vitesses. Ce « non » catégorique est également important pour l’équilibre politique du pays. S’il ne faut toutefois pas crier victoire complète à la suite de ces résultats, car l’initiative a remis le sujet des criminels étrangers au coeur des débats, il est aussi important de voir que les secondos font partie intégrante de la patrie, et ne sont pas uniquement tolérés, comme l’a relevé la conseillère socialiste Simonetta Sommaruga.
La nation de Guillaume Tell a repris un bon virage après de nombreux choix vivement critiqués à l’international (à l’exception de personnages politiques comme la famille Le Pen saluant régulièrement la politique eurosceptique dont a pu faire preuve le pays à la croix blanche), de l’initiative contre les minarets à la loi contre l’immigration massive. Suisses et Suissesses semblent avoir pris conscience des enjeux de l’application d’une telle loi, sur leur sol comme à l’international. L’international, et plus particulièrement l’Union européenne saluant un retour a la raison favorable aux bilatérales (là encore sévèrement mises en péril il y a peu) et aux échanges dans leur ensemble entre la Confédération Helvétique et ses frontaliers.
L’économiste Monika Ruehl relève entre autres qu’un « oui » au texte de l’UDC aurait conduit à davantage d’incertitude quant à la santé économique de la Suisse et son image à l’international, se devant d’afficher une certaine stabilité ainsi qu’une sécurité juridique claire pour pouvoir attirer les entreprises.
Après avoir souffert de l’initiative contre l’immigration de masse datant de février 2014, une acceptation de celle-ci n’aurait fait qu’empirer la situation d’un pays qui base ses richesses sur l’ouverture économique et le libéralisme (Sièges de multinationales et fédérations internationales multiples, exportation du « Swiss-Made »)
« Cette initiative de mise en oeuvre remettait en cause l’Etat de droit sur lequel repose le système suisse et aurait encore un peu plus écorné l’image du pays sur la scène internationale », estime Mme. Ruehl. « Outre le fait qu’il est en contradiction avec des garanties internationales des droits de l’Homme, le texte du parti Blochérien va à l’encontre de l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE », rappelle-t-elle également.
La Suisse qui, comme une grande partie de l’Europe, amorçait un virage à droite toujours plus serré, semble avoir évité un mur fatal de justesse.