La Tunisie paralysée par une grève générale dans le secteur public
La grève générale tant redoutée a finalement eu lieu, ce jeudi, dans les services publics sur tout le territoire tunisien, à l’initiative de la puissante centrale syndicale «l’Union générale tunisienne du travail» (UGTT), suite à l’échec des négociations sociales.
Les multiples rounds de négociations entre le gouvernement et la centrale syndicale et les bons offices du Président tunisien, Béji Caïd Essebsi, pour le dénouement de la crise n’ont décidément servi à rien et ce qui devait arriver arriva.
La Tunisie se trouve alors paralysée par une grève générale dans le secteur public qui concerne plus de 650.000 fonctionnaire et plus de 200.000 employés, avec des pertes énormes pour l’économie nationale déjà agonisante. La plupart des commerces, les banques, les administrations, les établissements scolaires (…) sont fermés, alors que les forces de l’ordre patrouillaient dans les rues et les avenues pour parer à toute éventualité et à tout dérapage.
«Toutes les mesures ont été prises pour parer à toute éventualité d’infiltration, de dérive ou d’atteinte à la sûreté publique», a déclaré à ce sujet le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Sofien Zaâg, assurant que les unités sécuritaires sont tout à fait prêtes pour sécuriser la grève générale non seulement à Tunis, mais également sur tout le territoire national.
Reste que l’échec des pourparlers entre les deux parties belligérantes sur l’augmentation des salaires dans le secteur public a soulevé des inquiétudes et rajouté de la morosité à un climat de tension qui a atteint son apogée avec les tiraillements entre les adversaires politiques et les crises économique et sociale qui déchirent le pays.
D’aucuns estiment, en effet, que cet échec n’était pas surprenant compte tenu des résultats des précédentes négociations et des propositions du gouvernement qui sont restées loin des exigences de la centrale syndicale, bien que modifiées à plusieurs reprises.
Pourtant, et quoi qu’on en dise, le gouvernement aura tout tenté, pour éviter au pays cette grève dévastatrice, comme en témoigne l’intervention du Président de la République dans les négociations de dernière minute, à travers ses discussions avec des représentants de l’Union générale tunisienne du travail au cours desquelles il les a exhortés à faire prévaloir les intérêts du pays et à tenir compte de cette étape décisive et des engagements de la Tunisie vis-à-vis des institutions internationales.
En effet, hormis les pressions des bailleurs de fonds et la crise économique et financière que traverse le pays, l’exécutif a fait une première proposition d’un montant global de 1200 milliards consistant en une majoration de 160 DT mensuels aux premières catégories et de 120 DT pour les catégories inférieures, payables sur deux tranches, à partir de ce mois de janvier.
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En revanche, la centrale syndicale a opposé un refus catégorique de cette proposition gouvernementale, ce qui a amené ensuite le gouvernement à consentir un surcroit d’effort et à proposer une nouvelle offre de 1300 millions de DT, avec l’espoir, cette fois-ci, de satisfaire les revendications de l’UGTT. Mais cette dernière s’est montrée inflexible et a, encore une fois, refusé cette nouvelle proposition, en exigeant une enveloppe globale de 2200 millions de DT.
Comme pour jeter la responsabilité de l’échec des pourparlers sur l’UGTT, le chef du gouvernement Youssef Chahed a, dans une brève allocution à l’adresse du peuple tunisien diffusée, mercredi soir lors du journal télévisé de «Watania 1», regretté la décision de grève générale, affirmant que le gouvernement a fait de son mieux pour l’éviter.
«C’est une grève regrettable car elle aura un coût élevé, notamment face à la conjoncture économique à laquelle fait face le pays, et en raison des efforts du gouvernement pour parvenir à un accord en présentant de nouvelles propositions pour éviter la grève, améliorant le pouvoir d’achat des citoyens et tenant compte du budget de l’Etat et des moyens du pays », a-t-il dit.
Réponse du berger à la bergère, le Secrétaire général-adjoint de la centrale syndicale, Hefaidh Hefaidh, a déclaré que «le gouvernement n’est pas maître de sa décision et son recours pour un versement des augmentations comme privilège fiscal au lieu de les verser de la masse salariale n’est qu’un engagement à satisfaire les conditions imposées par le FMI».
Un point de vue que partagent d’ailleurs certains observateurs qui relèvent que le gouvernement, qui a accordé des augmentations au secteur privé et aux entreprises publiques, s’est mis dans une situation où il est à court d’arguments devant l’UGTT.
Comme l’a reconnu le chef du gouvernement et de l’avis même des experts, la grève aura indubitablement « de sérieuses répercussions » sur la situation du pays, où la crise économique et sociale continue de s’aggraver pour s’étendre à tous les domaines après huit ans de révolution. Elle coûterait selon les experts financiers entre 300 et 600 milliards au trésor de l’Etat, un chiffre qui couvre aussi bien le coût supporté par la fonction publique et les entreprises publiques, que l’impact de la grève sur le secteur privé, car si les transports, les aéroports, les ports vont être paralysés, c’est que le secteur privé va en pâtir aussi.
Mais le plus important reste le coût indirect, c’est-à-dire le coût sur l’image du pays, estiment-ils, arguant que si l’on admet que la seule manière valable de redresser une économie c’est l’investissement, il faut être conscient que dans des conditions pareilles et devant une situation sociale aussi tendue, le premier secteur qui va pâtir de ces conséquences, c’est bien l’investissement aussi bien local qu’étranger.
C’est dire que la grève générale aura révélé les limites des négociations entre le gouvernement et la centrale syndicale, qui n’ont pas pu, malheureusement, épargner à la Tunisie une autre crise sociale dont ils pouvaient se passer, après les crises économique et politique dont lesquelles le pays est englué.