La Vision Royale pour l’Atlantique : Enjeux et Perspectives d’un Nexus Géostratégique

Tribune

Par Cherkaoui Roudani

Lors de la célébration du 48e anniversaire de la Marche Verte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a présenté une vision ambitieuse pour l’avenir de l’Atlantique, abordant à la fois des aspects géostratégiques et géopolitiques. Cette perspective vise à créer une communauté de destin, une approche novatrice pour concevoir l’Atlantique comme un espace géostratégique qui est appelé à jouer un rôle de premier plan dans l’avenir. Néanmoins, cette initiative royale appelle à une réflexion et une stratégie renouvelée de la part des leaders africains afin de saisir les opportunités que présente la dynamique géoéconomique mondiale.

Si la géostratégie explore les liens complexes entre la géographie, le pouvoir et la politique à l’échelle mondiale, il faut dire que la position géographique privilégiée du Maroc offre des opportunités pour renforcer les pays africains qui aspirent à s’intégrer dans l’économie mondiale. Cependant, il est clair que la mise en œuvre de cette géostratégie atlantique ne sera pas sans défis.

Ainsi, l’un des défis majeurs contemporains réside dans la confrontation entre deux forces de pouvoir majeures, qui impactent la stratégie globale du réalignement africain sur l’échiquier international. Dans ce sens, il est essentiel d’harmoniser la puissance territoriale et maritime pour créer une dynamique régionale capable d’exploiter pleinement les ressources des terres africaines et les potentialités géopolitiques qu’offre cette région. De fait, une approche mécanique et dynamique pour stimuler la puissance collective de l’Afrique est une nécessité absolue pour la reconstruction géopolitique de cet espace.

Théoriquement, Halford Mackinder a élaboré un concept selon lequel la puissance continentale prend racine dans les vastes territoires, les ressources abondantes et la densité démographique, en concevant ainsi l’ensemble Europe-Asie-Afrique comme étant « l’île mondiale ». Cette zone concentrait environ deux tiers des richesses mondiales et de la population planétaire. Cependant, dans le contexte en évolution des dynamiques géopolitiques et militaires, le concept de la « zone-pivot » s’est muté, déplaçant ainsi le nouveau Heartland vers l’Afrique. Ce continent, avec ses richesses naturelles et sa population dynamique, se présente dans un futur proche comme un potentiel pont entre l’économie européenne et les itinéraires sécurisés empruntés par l’industrie américaineet asiatique.

En revanche, la puissance maritime repose sur la domination des mers, des océans et des routes commerciales. Les nations ou régions dotées de cette puissance accordent une importance capitale au contrôle des voies navigables stratégiques, au commerce maritime et à la projection de leur influence à travers ces routes maritimes. Leur pouvoir découle de leur capacité à contrôler et à exploiter les mers pour des échanges commerciaux, militaires et diplomatiques.Ainsi, on peut appréhender la tension entre la stratégie américaine pour l’Indo-Pacifique et l’initiative chinoise One Belt One Road.

De ce fait, la confrontation entre ces deux formes de puissance soulève des enjeux cruciaux en géostratégie africaine. Elle suscite des questions relatives à la sécurité des voies commerciales, à la compétition pour le contrôle des zones côtières, et à la défense nationale selon ces deux paradigmes opposés. De plus, cette dualité de puissances à un impact direct sur les relations internationales, façonnant les alliances, les conflits potentiels et les stratégies diplomatiques adoptées par les nations aspirant à s’inscrire dans ce « couloir stratégique » initié par l’initiative royale.

Il est crucial de décoder cette interaction entre la force terrestre et la force maritime pour saisir les mécanismes de pouvoir à l’échelle mondiale. Dès lors, le partenariat stratégique entre l’Inde et l’Arabie saoudite pour un projet liant l’Inde, l’Europe et le Moyen-Orient s’inscrit dans cette vision géopolitique et est susceptible de susciter des tensions et des rivalités. Il est nécessaire de souligner que de nombreux conflits semblent être d’ordre politique, alors qu’en réalité, ils découlent de divergences d’intérêts économiques sous-jacents.

Par conséquent, ces interactions permettront l’examen des tensions géopolitiques, les stratégies de défense, les flux commerciaux et la manière dont ces deux formes de puissance s’influencent et s’opposent dans le panorama géopolitique mondial.

Selon ce qu’Edgar Morin a nommé « unitas multiplex », soulignant un principe fondamental selon lequel un système complexe ne naît pas de manière isolée, mais plutôt de l’interaction et de l’intégration entre ses différentes parties constitutives, ainsi que des relations qui existent entre ces parties, bien avant que le système complet ne prenne forme. De fait, l’Atlantique, cet espace géopolitique en pleine métamorphose, est influencé par diverses doctrines stratégiques qui interagissent dans la complexité pour façonner.

Historiquement et actuellement, l’océan Atlantique, le deuxième plus vaste après le Pacifique, demeure un pivot majeur pour la construction de la stratégie géopolitique du Nord de l’Atlantique, ancré dans les alliances entre les États-Unis et l’Europe. Cependant, bien que l’Atlantique demeure un bouclier protecteur pour les États-Unis, il est resté davantage un mythe historique qu’un projet politique concret, manquant des ramifications nécessaires pour le positionner en tant que réalité géostratégique tangible. Un aspect central de la divergence au sein de cet espace réside dans les écarts économiques, sociaux et culturels entre le Nord et le Sud. Alors que la mondialisation semble avoir estompé les frontières, le déséquilibre économique entre ces deux pôles demeure une source de malentendus et de tensions. Cette réalité est accentuée avec l’apparition d’un New Regionalism détourné de sa propre mission et vocation. C’est pourquoi, le Maroc et à travers l’initiative royale propose une « nouveau régionalisme » avec une approche contemporaine de l’intégration régionale et de la coopération entre les nations africaines en partant de l’intégration du Sahel dans l’Atlantique. Contrairement au régionalisme traditionnel, qui se concentrait souvent sur la collaboration économique à travers des blocs commerciaux ou des alliances politiques des États puissants, le nouveau régionalisme qu’imprègne la vision royale englobe un éventail plus large de problématiques et d’objectifs interconnectés.

Dans ce sens, cette nouvelle forme moderne de régionalisme va au-delà des préoccupations économiques et s’étend à divers domaines tels que la politique, la sécurité, le développement social, les échanges culturels et la durabilité environnementale. Il met l’accent sur une approche plus complète et multidimensionnelle pour aborder les défis et opportunités partagés au sein de cette région qui reste isolée et abandonnée depuis longtemps. Il encourage le dialogue politique, la prise de décision conjointe et la mise en commun des ressources appropriées pour traiter des questions communes telles que la libéralisation des échanges commerciaux, le développement des infrastructures, la gestion de la question de la migration, le changement climatique et les menaces à la sécurité. Ainsi, face à l’immobilisme des démarches visant l’unification de l’Afrique et son intégration régionale et continentale, et alors que les enjeux mondiaux comme la crise énergétique, la sécurité alimentaire et le changement climatique prennent une ampleur et une importance croissantes, il est temps aux pays africains de s’inscrire dans une voie plus ambitieuse avec une perspective cherchant à instaurer une approche interactive à travers des échanges politiques, économiques et culturels.Pour ce faire, l’initiative royale sur l’Atlantique présente un nouveau régionalisme avec une vision holistique impliquant des cadres de travail flexibles et évolutifs qui facilitent la coopération entre les nations concernées tout en respectant leur souveraineté individuelle de chaque pays

En conséquence, cette initiative marocaine est un départ historique pour l’intégration continentale et l’adhésion des pays africains dans la dynamique Atlantique. En effet, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a exposé une structure globale intégrant les dimensions écologique, économique et politique pour promouvoir les échanges entre les continents et les différentes civilisations entourant l’océan Atlantique.

Dans un monde en mutation profonde, l’Atlantique, autrefois témoin du commerce tripartite entre l’Amérique, l’Afrique et l’Europe, reste un point d’intérêt stratégique crucial. Cette étendue d’eau est bien plus qu’une simple zone maritime. Elle représente une pièce maîtresse dans la géopolitique mondiale, avec des implications majeures pour le commerce, la politique et l’environnement.

De ce fait, l’Atlantique Sud, bordé par l’Amérique du Sud et l’Afrique, est une voie maritime essentielle reliant trois continents. Ses ressources naturelles, ses ports et sa position géographique en font un axe central des échanges mondiaux. Le Maroc, fort de sa situation géographique privilégiée, se profile comme un acteur clé dans la connexion de ces continents. C’est pourquoi, en capitalisant sur sa position stratégique, le Maroc peut dynamiser les échanges intercontinentaux. En développant ses infrastructures portuaires, Rabat renforcerait sa connectivité régionale et internationale, favorisant ainsi le commerce maritime et les échanges économiques. Ainsi, l’économie politique qui a été enclenchée à travers le nouveau modèle de développement des provinces du sud du Maroc s’inscrit dans cette stratégie de développement qui permettra aux pays du Sahel d’avoir un accès bénéfique à l’Atlantique. C’est pourquoi, la modernisation des ports marocains, notamment le port atlantique de Dakhla, s’avère cruciale pour propulser le Maroc sur la scène africaine et internationale.

Engagé dans la durabilité environnementale, le Maroc peut aussi devenir un défenseur des écosystèmes marins de l’Atlantique. Cette vision contribuerait à la préservation de l’environnement et renforcerait l’image internationale de Rabat en tant que leader de la durabilité.

A l’aune, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avec sa stratégie Atlantique a établi les bases d’une nouvelle doctrine géopolitique pour l’Atlantique Sud. Cette approche englobe des partenariats de dimension internationale, à l’image du pacte stratégique signé avec l’Emirats arabes unis, et des projets d’envergure, tel que le gazoduc reliant le Nigeria et le Maroc, dans le but d’instaurer une stabilité régionale et de permettre aux pays du Sahel de tirer parti des opportunités émergentes dans l’ensemble de l’Atlantique. C’est une stratégie méticuleuse qui pourrait également remodeler l’industrie de l’hydrogène vert en établissant un corridor stratégique reliant plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest au continent européen. De fait, l’objectif de cette initiative internationale royale est de catalyser un développement durable, la prospérité et la stabilité dans région sahélo-saharienne et dans la région ouest-africaine dans son ensemble.

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