L’Algérie, le pays que ses jeunes fuient
L’Algérie ne sait pas retenir ses jeunes. Chômage, désillusion, cherté de la vie… La liste des maux dont souffre la majeure partie de la population, en premier lieu les jeunes, est longue. Mais l’absence de perspectives explique sans doute davantage encore cette envie de partir quoi qu’il en coûte.
« Un pays riche et une population pauvre« , cette situation illustre bien le paradoxe algérien, pays bloqué politiquement et qui fait l’objet d’une prédation systématique de la part de ses responsables.
En raison de la corruption endémique, la manne pétrolière est devenue plutôt une malédiction qu’une chance. Elle est à l’origine de l’absence de réformes de l’Etat, de l’économie.
Le mouvement de contestation populaire « Hirak », dont les acteurs font l’objet d’une répression sans merci, a depuis trois ans cherché à faire bouger les lignes et à remettre à l’ordre du jour, des dirigeants du pays, ces questions lancinantes et rappeler, surtout, les préoccupations d’une jeunesse gagnée par le désespoir et qui ne cherche qu’à provoquer une rupture qui soit porteuse de changement.
Peine perdue. Le système qui a succédé à l’ère Bouteflika s’avère pire que l’ancien, voire même une pâle reproduction d’un système qui se ressource de la prédation des énormes richesses dont dispose ce pays.
Le résultat de cette gestion calamiteuse des affaires du pays n’échappe à personne. Un malaise social général avec son lot d’exacerbation de la colère et de la frustration (immigration clandestine, érosion du pouvoir d’achat, inflation…), une inflation galopante, une érosion du pouvoir d’achat d’une classe moyenne laminée, un chômage endémique et une grave détérioration des services publics notamment en matière de santé.
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Les Algériens souffrent surtout d’un mal vivre et le pays court constamment le risque d’une explosion sociale aux conséquences imprévisibles.
Témoins d’un laisser-aller assassin et de l’incompétence générale, la santé comme l’enseignement et les autres services publics battent de l’aile. Les scandales d’écoles gravement délabrées, d’hôpitaux-mouroirs et de logements sociaux insalubres sont le reflet de la négligence qui domine.
Les catégories les plus vulnérables sont précarisées et les inégalités plus criardes que jamais. Frappés de plein fouet par les effets de la corruption, le chômage et l’impossibilité d’envisager le moindre futur, les jeunes n’ont souvent d’autre solution que la « harga », la traversée illicite de la Méditerranée, souvent fatale vers des côtes plus que jamais hostiles.
Le quotidien des Algériens est également ponctué de frustration et de pénuries à répétition. Les pénuries, qu’on croyait abusivement maîtrisées, se succèdent et les autorités ont de plus en plus de difficultés à assurer les importations alimentaires et pharmaceutiques pourtant vitales.
Spectacle insolite mais qui renseigne fort sur le calvaire enduré par la population, les queues devant un laboratoire d’analyses, pour les tests Covid ou pour acheter un bidon d’huile de table ou un sachet de lait en poudre, de plus en plus rare, deviennent banalisées.
A peine sortie d’une crise inédite de la pomme de terre, qui a bien failli tourner à l’émeute, l’Algérie fait face, de nouveau, à de graves pénuries qui touchent simultanément certains produits de base subventionnés : l’huile de table et le lait conditionné.
Loin d’apporter de solutions, le gouvernement, qui adopte la politique de l’autruche, parle de perturbation dans la distribution ou tout au plus de déséquilibre entre l’offre et la demande.
Force est de constater que le pouvoir a montré une incapacité notoire à résoudre ces problèmes de manière définitive. Les différentes stratégies, les multiples dispositifs et autres mécanismes, mis en place pour résorber les tensions constatées sur les produits agricoles de forte consommation, se sont avérés inefficients.
Ni le système de régulation ni les opérations de contrôle et, encore moins, les mesures incitatives réservées aux acteurs de la filière de la pomme de terre, par exemple, n’ont pu ramener les tarifs de ce tubercule, à des niveaux accessibles aux petites bourses.
Ce mal vivre et le blocage politique, économique et social que traverse le pays est en train de pousser jeunes chômeurs mais aussi d’autres catégories, jusque-là épargnées, comme les médecins, les ingénieurs et autres, à émigrer vers des cieux plus accueillants.
La fuite devient une sorte de mot d’ordre qui titille la majorité des jeunes qui se sentent frustrés et laissés pour compte. Tout récemment, le pays s’est réveillé groggy à l’annonce du départ de quelque 1.200 médecins algériens vers la France, un chiffre qui n’a « jamais atteint cette ampleur ».
L’information, annoncée par le président du Syndicat autonome des praticiens de santé publique (SNPSP), a donné le tournis. Elle concerne les résultats publiés, le 4 février, par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers en France (CNG) dévoilant que, sur les 1.993 lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC, un concours annuel), 1.200 sont des médecins algériens. C’est dire tout le malaise qui couve au sein d’une corporation gagnée, comme d’autres corps, par le phénomène de l’exil.
Cette affaire est loin d’être un cas isolé. Il faut bien se rendre à une triste évidence, puisqu’il n’y a pas que les médecins qui larguent les amarres en quête de cieux plus cléments. Il y a aussi des étudiants, des psychiatres, des ingénieurs, des artistes, mais aussi des « harragas », ces jeunes qui tentent la traversée au péril de leur vie.
Quand bien même le phénomène de l’émigration serait ancien, il reste qu’il s’est amplifié ces dernières années. Atténué durant l’intermède du « Hirak », le phénomène semble s’être accentué depuis quelques mois même si, au niveau officiel tout comme chez les médias, on feint de l’ignorer.
De l’avis de tous, l’absence d’un environnement général, autant professionnel que social, pour l’épanouissement personnel, la crise morale et le problème de gouvernance qui touchent nombre de secteurs sont dans une large mesure les principales causes de cet exode inquiétant.
D’ailleurs, les chiffres récemment annoncés par l’organisme espagnol « CIPIMD » donnent la pleine mesure sur les drames provoqués par cette immigration clandestine que le pouvoir algérien tente vainement d’occulter.
Au moins 413 Algériens ont disparu en 2021, selon cette ONG espagnole qui mentionne qu’au moins 51 embarcations ont chaviré durant l’année 2021.
A leur bord, se trouvaient 487 personnes, dont 413 Algériens qui représentent « plus de 90% » des disparus recensés en Espagne.
Il s’agit, dans le cas d’espèce, d’une hausse très importante comparativement à l’année 2020 où 291 personnes avaient disparu avec 27 embarcations.
Selon les premières indications, l’année en cours sera vraisemblablement plus grave puisque rien que durant le mois de janvier, « 7 à 8 embarcations disparues » ont déjà été signalées.
Du côté des autorités algériennes, silence radio. Les services de sécurité se contentent d’évoquer des coups de filet parmi les réseaux de passeurs ou les candidats à l’émigration clandestine.
Pendant ce temps, les autorités espagnoles annoncent qu’au moins 10.000 Algériens ont pu atteindre les frontières méridionales de la presqu’île ibérique. Ils s’ajoutent aux centaines d’autres Algériens qui ont rejoint les frontières sud de l’Italie.
Tous fuient par désespoir, absence de perspectives et par le blocage politique pesant que le pouvoir en place impose empêchant toute réforme et tout changement.
(Avec MAP)