L’Année de tous les apprentissages ou l’amer retour d’un ex-exilé volontaire

 

Par Bouchra Benbella

L’histoire du retour de Wahid au pays natal racontée dans A L’ombre de l’eucalyptus (L’Harmattan 2014),  se poursuit dans L’Année de tous les apprentissages, second roman de Najib Redouane (L’Harmattan, 2015) qui continue, pour le plaisir de son lecteur, la saga de ce personnage, pivot de l’œuvre voire vecteur d’une conception du monde basée sur la conservation des valeurs humaines telles que : la bonne foi, l’intégrité morale, l’ordre sociétal, le respect de la différence…

Wahid est affecté à Rabat pour effectuer son service civil dans un ministère dont le nom n’est pas précisé. Ce serait sans importance de le nommer puisque finalement, la gangrène ronge, sans exclusion,  tous les ministères du Maroc des années 80. Ainsi, le romancier situe son histoire dans la métropole pendant les années de plomb, années de «bâillonnement et [de] mutisme imposé »[1], de libertés comprimées, de désespoir d’une jeunesse ayant perdu la foi en sa patrie, une jeunesse égrugée par le chômage au point de risquer sa vie dans les felouques de la mort pour tenter d’accéder à l’Eldorado factice de l’Europe : « Quitte ou double ! Je mesure le danger que je cours, mais je dois le faire. Je veux quitter ce pays où l’avenir est bloqué entre quatre murs ». C’est dans cette dure réalité empreinte de la perte de l’espoir et des valeurs ancestrales que notre héros va tenter de se réadapter à son pays et « constater, remarquer, découvrir et apprendre beaucoup de choses qui risqueraient de [le] faire rougir ».

Il est clair que L’Année de tous les apprentissages est un roman ancré dans la politique du Maroc du siècle dernier, dans le sens où l’engagement politique est pris comme étant une stratégie d’écriture adoptée du début jusqu’à la fin. L’inscription de la politique dans ce roman ne se veut en aucun cas comme « un coup de pistolet au milieu d’un concert », pour reprendre la célèbre phrase de Stendhal.  En fait, c’est tout le concert (le roman) qui s’avère une succession de coups de feu visant, sans ambages, les représentants d’une politique totalitaire et répressive adoptée à cette époque ;  il faut être « du côté du pouvoir » pour éviter d’être broyé par le système ! On doit « être « in » au lieu d’être  « out »».

Désenchanté, Wahid, ne reconnaît plus son pays : il constate, amèrement , qu’il se sent beaucoup plus étranger chez lui qu’en exil : « je me rends compte de jour en jour que le monde dans lequel j’ai grandi est parti, remplacé par un autre grand ouvert aux supercheries, aux mensonges, à toutes les dérives possibles et les dégradations aussi bien humaines que sociales. C’est horrible ce qui se passe ici. Un déficit absolu et total de nos valeurs séculaires ». Il appert que la plume incisive du romancier engagé, se révèle dans ce roman – en comparaison avec A l’ombre de l’Eucalyptus– beaucoup plus lacérante tel un scalpel qui cisèle avec la minutie d’un expert, un corps malade afin de mieux localiser et exhiber le mal qui le ronge.

Nonobstant, contre toute attente, et pour promettre à son lecteur que l’histoire de Wahid continuera dans un troisième roman, Najib Redouane achève L’Année de tous les apprentissages sur une note euphorique, celle de la réception d’une lettre de la part de son éternel amour, Sarah. Sans doute le romancier nous réserve une belle et passionnante symphonie !

[1]Najib Redouane. Songes brisés, Montréal : Du Marais, 2008  p. 34.

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