L’austérité face à l’incertitude en Tunisie
Pour pouvoir postuler à des ressources financières qui font cruellement défaut, en cette période de crise, le gouvernement tunisien vient de renouer des discussions techniques avec le FMI pour obtenir un nouveau prêt de 4 milliards de dollars.
Cette assistance du FMI est conditionnée à la conduite d’un certain nombre de réformes, dont certaines sont considérées comme « douloureuses ».
Mais, en dépit de la résolution des pouvoirs publics, notamment du président Kaïs Saïed et du nouveau gouvernement fraîchement formé, à focaliser son action sur l’essentiel (maîtrise des prix, lutte contre le commerce illicite et les pratiques frauduleuses, la préservation du pouvoir d’achat et la guerre contre la corruption), aucune feuille de route claire n’existe pour pouvoir espérer une sortie de crise prévisible.
En effet, la crise des finances publiques, le poids de l’endettement extérieur, la situation de presque faillite des entreprises publiques sont passés presque sous silence. Idem sur les moyens qui seront mis en œuvre pour combler le trou budgétaire de 2021 estimé à 5 milliards d’euros.
A l’heure actuelle, un mot récurrent revient sur toutes les bouches : l’impératif d’observer une stricte austérité en matière de dépenses publiques et de limiter le recours aux ressources d’emprunts extérieurs.
Certes, ce recours est coûteux et difficile d’accès notamment après la récente dégradation de la note souveraine de la Tunisie par l’agence Moody’s en fin octobre 2021 en raison de la complexité de la situation actuelle que traverse le pays et la persistance des incertitudes, mais il est nécessaire pour assurer les équilibres budgétaires de l’Etat.
Selon Moody’s, si un financement important n’est pas assuré, la Tunisie, qui voit sa note souveraine dégradée par les agences mondiales de notation financière, pour la dixième fois depuis 2011, risque un défaut de paiement de sa dette.
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Inévitable à priori, l’austérité demandée est-elle possible et ses répercussions ne pourraient-elles pas être sévères pour une population appelée sans cesse à serrer la ceinture ?
Le président de la république a appelé à deux reprises, lors d’entretiens tenus récemment avec le gouverneur de la Banque Centrale et la cheffe de gouvernement à l’austérité en matière de gestion des finances publiques.
Son argument tient la route, estimant que « l’argent ne doit pas être dépensé dans des importations dont la Tunisie n’a pas besoin », rappelant la nécessité, pour tous les citoyens, de se sentir concernés par les politiques menées par l’Etat.
Traduction dans les faits, on précise que les importations de produits non essentiels seront momentanément suspendues. Il en est ainsi de l’importation de voitures de luxe, ainsi que de toute substance dont le citoyen n’a pas vraiment besoin.
Pour le président Saïed, « il serait mieux que cet argent aille vers l’acquisition de moyens de transport au profit des élèves des régions intérieures qui parcourent des kilomètres à pied pour rejoindre leurs écoles ».
Dans la foulée, l’accent est mis sur la nécessité de compter sur les capacités nationales avant d’envisager de recourir aux ressources étrangères, qui est difficile d’accès en cette période de disette.
Dans un tel contexte, le projet de loi de finances discuté récemment en conseil des ministres, devrait permettre de lever l’épais nuage qui continue à prévaloir et de restaurer un tant soit peu la confiance des opérateurs.
Le couac, ce projet a pris la forme d’un décret-loi, conformément aux dispositions du décret présidentiel relatif aux mesures exceptionnelles.
Ces dispositions qui entreront en vigueur à partir du 1er janvier 2022, à l’instar du budget de l’Etat, ne feront l’objet d’aucun débat public.
Le premier draft rendu public de ce document ne manque pas d’ambiguïtés. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir occulté les données relatives aux moyens et aux ressources ainsi que la vision qui sera adoptée pour soutenir la croissance.
Dans tous les cas de figure, cinq grandes orientations se dessinent à travers ce document. Elles concernent le soutien des entreprises notamment affectées par le COVID-19, la poursuite de la réforme fiscale, la digitalisation de l’administration, l’amélioration du recouvrement des impôts, la lutte contre l’évasion fiscale outre des mesures d’ordre social.
Le pays aurait-il pu faire autrement ? Pas sûr. Même si le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie cherche à adopter un discours modéré en estimant que « la situation n’est pas facile, tout en rassurant que la conjugaison de tous les efforts permettra de passer ce cap, la croissance ne sera pas au rendez-vous, le pays allait terminer l’année avec un taux de croissance de 3 %, contre – 9 %, au cours de l’année 2020.
Un autre message, pour rassurer les Tunisiens de plus en plus inquiets, concerne la couverture du trou budgétaire de 2021.
Dans ce sens, le gouverneur de la BCT a évoqué « de nombreuses promesses de la part des pays frères et amis qui devraient permettre de mobiliser les ressources nécessaires ».
Pour donner le bon tempo et créer les conditions propices à une reprise soutenue et durable, il est question de la mise en œuvre d’un plan de relance économique à même de permettre à l’économie tunisienne de créer de la richesse et de sortir de la crise.
Il va sans dire que cela exige de trouver un consensus, notamment avec les partenaires sociaux afin d’implémenter les réformes structurelles relatives notamment au climat des affaires, la compensation et la résolution des difficultés des entreprises publiques.
D’ailleurs, l’institution d’émission a dès le mois d’octobre dernier mis le doigt sur le mal.
Dans sa dernière note de conjoncture publiée, elle met l’accent sur la faiblesse de l’investissement public qui devrait peser significativement sur le rétablissement de l’activité économique, lourdement affaiblie par la crise sanitaire et aussi par le retard accusé dans la concrétisation des réformes structurelles visant à améliorer la gouvernance des institutions et à rétablir les équilibres financiers.
La même institution attribue le retard dans la mobilisation des ressources extérieures au renchérissement des conditions d’endettement sur le marché financier international, lesquelles sont devenues prohibitives à cause de la dégradation de la notation souveraine de la Tunisie.
La Banque Africaine de Développement a, de son côté, qualifié dans son rapport, intitulé « Perspectives économiques en Afrique du Nord 2021 », la dette publique tunisienne d’insupportable.
Estimée à 97,2% du PIB en 2020, elle est le taux le plus élevé en Afrique du nord. Il est utile de rappeler que l’encours de la dette publique s’est maintenu sur une tendance haussière pour dépasser la barre de 100 milliards de dinars (1 euro = 3,3 dt) à fin août 2021, en hausse de 12,2% par rapport à son niveau d’un an auparavant.
Pour sortir de l’ornière, le pays a besoin plus que jamais de stabilité politique.
En effet, l’on estime que l’économie est en train de payer la facture de l’instabilité politique (neuf gouvernements en 10 ans).
D’où l’impérieuse nécessité, soutiennent les experts de tout bord, de rétablir la confiance des investisseurs pour sortir le pays de cette situation compliquée et d’aborder l’année 2022, période charnière, dans un climat apaisé et propice autant à l’initiative qu’à la création de valeurs.
( Avec MAP )