L’autisme au Maroc : Un tableau sombre
Le quotidien des parents d’enfants ou adultes atteints des troubles du spectre de l’autisme (TSA) est souvent difficile en temps normal et la crise Covid les a mis dans une situation encore plus délicate. Les éducateurs spécialisés ne peuvent pas forcément se déplacer pour les aider et le changement des habitudes de ces enfants peut, des fois, devenir source de stress. Une situation inédite pour ces parents, qui n’ont d’autre choix que de s’adapter en devenant à la fois professeur et éducateur. Selon les estimations de l’ONG, «Vaincre l’autisme», au niveau mondial cette maladie a atteint un taux de prévalence d’une naissance sur 50, et concerne 680.000 personnes au Maroc, dont 12.800 naissances par an, ce qui représente 34 naissances par jour. Toutefois, l’absence totale de données épidémiologiques sur l’autisme et les conditions de vie des personnes qui en sont affectées illustrent le flou et l’absence de mesures de prévention dans lesquels est maintenue cette maladie au Maroc. MAROC DIPLOMATIQUE livre ici un entretien avec M’Hammed SAJIDI, Président-Fondateur de Vaincre l’autisme, qui nous apporte des éclairages.
MAROC DIPLOMATIQUE : Au niveau de l’association «Vaincre l’autisme», comment avez-vous géré la situation depuis le début de la crise Covid ?
M’hammed Sajidi : Il faut savoir déjà que l’autisme est une maladie neurologique qui affecte le fonctionnement du cerveau ainsi que le système immunitaire et biologique. Elle altère également les capacités de reconnaissance des expressions, des codes sociaux et affectifs et génère hypersensibilité émotionnelle et troubles du comportement. Elle nécessite une prise en charge rigoureuse et appliquée par des professionnels compétents, éthiques et responsables. Cela dit, nous avons déjà une expérience en termes de télésanté, à travers des visioconférences où on transfère des programmes aux parents et on leur fait du coaching pour qu’ils puissent les appliquer. Malheureusement, il y a des familles qui n’ont pas accès à ces programmes et donc qui ont vécu une situation assez compliquée avec des enfants qui ne comprennent plus pourquoi il n’y a plus d’activités à l’extérieur.
MD : Le quotidien des parents d’enfants atteints d’autisme est souvent difficile en temps normal et une période de confinement les met dans une situation encore plus délicate. Comment les parents traversent-ils cette épreuve ?
– M.S : Difficilement, surtout qu’au bout d’un moment, lors du confinement, il y avait de l’isolement. D’ailleurs, l’association a été contactée par plusieurs familles, mais il n’y avait pas de possibilité de prise en charge, comme il n’y avait pas assez de professionnels formés justement à ce genre de prise en charge à distance. C’était très compliqué de pouvoir accompagner tous les gens qui nous appellent. Par contre, ceux qui sont pris en charge par l’établissement étaient accompagnés par les professionnels dès le départ.
MD : Ce changement d’habitudes chez des personnes autistes en raison des mesures de restrictions, est-ce qu’il pourrait avoir un impact sur celles-ci ou bien entrainer des troubles de comportement ?
– M.S : Déjà les personnes autistes n’acceptent pas les changements, c’est quelque chose qu’on leur apprend avec le temps et des programmes spécifiques et adaptés. Mais, dès qu’il y a un changement, il y aura des crises qui vont aller de l’automutilation à une attitude agressive envers les autres, parce que cela reste leur seul moyen de communication, surtout quand il n’y a pas de programme adapté et que les parents ne sont pas outillés pour gérer ce genre de situations, ce qui est le cas de la majorité des familles au Maroc, parce qu’elles n’ont pas accès à l’information qu’il leur faut.
MD : Combien compte-t-on d’autistes au Maroc ? Auriez-vous une idée aussi sur le nombre d’autistes pris en charge aujourd’hui dans le pays ?
– M.S : Aujourd’hui, on est à 690.000 personnes touchées par l’autisme au Maroc, dont 12.800 naissances par an, ce qui représente 34 naissances par jour. Sachant qu’il n’y a pas d’étude ni pour la prise en charge ni pour le diagnostic. En 2009, nous avons publié un rapport de la situation de l’autisme au Maroc et qui a fait un peu bouger le gouvernement, mais, depuis cette date, ce qu’on constate c’est qu’il y a une augmentation du nombre des associations par an, qui sont pour la plupart livrées à elles-mêmes, c’est le cas pour nous aussi d’ailleurs. Il y a des parents qui s’entraident pour aider les enfants, mais au niveau des politiques publiques, notamment en matière de stratégie de santé pour l’autisme, il y a une formation qui a été mise en place, mais qui n’est pas suffisante, toutefois, c’est la seule chose à laquelle le gouvernement a contribué. Sinon il y a des partenariats avec les académies régionales de l’enseignement, qui nous accordent des salles vides au sein des écoles pour prendre en charge les autistes, mais tout le reste est sur les frais de l’association quand elle a les moyens. C’est ainsi que les parents se débrouillent entre eux pour pouvoir s’occuper des enfants. Autrement dit, il n’y a pas de politique gouvernementale que ce soit dans le département de la Santé ou de l’Éducation pour prendre soin des enfants autistes. Notre association est déjà la première à communiquer sur les nouvelles prévalences. D’ailleurs, nous avons publié en 2018, le premier livre blanc scientifique international au sujet de l’autisme. Nous avons commencé ce combat en 2004, 16 ans après, les enfants n’ont toujours pas de politique de prise en charge, ni de scolarisation, ni de soins.
MD : Y a-t-il déjà un budget déployé aujourd’hui par l’État pour assurer la prise en charge des personnes atteintes des TSA ?
– M.S : Jusqu’à présent, il n’y a aucun plan gouvernemental pour l’autisme. S’ajoute à cela, le fait que le Maroc dispose d’un système complètement discriminatoire. L’aide de l’État qui passe à travers l’entraide nationale est de 900 dirhams par mois et qui nécessite que le parent ait le RAMED pour prouver qu’il est pauvre. Donc, si un parent ne dispose pas de RAMED, il ne sera pas pris en charge, ce qui est complètement discriminatoire par rapport aux droits de l’enfant et cela nous indigne. Cela dit, que peut-on faire avec 900 dirhams pour un enfant autiste ? Parce qu’il faut savoir que pour pouvoir s’occuper d’un enfant atteint des TSA, il faut un intervenant par enfant, ce qui nécessite un budget d’environ 5.000 dirhams par mois. Cet intervenant doit être supervisé par des professionnels compétents de façon régulière, parce que c’est un processus. De plus, pour scolariser ces enfants, pour la majorité des cas, il faut aussi qu’ils paient des auxiliaires de vie scolaire pour intégrer l’école. Tout cela n’est pas normal et le gouvernement ne le prend pas en considération. Cela dit, vous êtes un parent d’enfant autiste, si vous avez les moyens, vous pourrez assurer une prise en charge en bonne et due forme, sinon il n’y a rien qui se fait pour vous. C’est pour cela qu’il est nécessaire de mettre en place un plan national de prise en charge de l’autisme.
MD : Vous avez appelé, dans vos déclarations à la presse, au dépistage précoce, pour pouvoir accompagner l’enfant autiste dès le début de sa vie, via un éducateur, est-ce que c’est la solution aujourd’hui au Maroc ?
– M.S : Il n’y a aucune stratégie de dépistage précoce au Maroc jusqu’à présent. Je tiens à expliquer que le diagnostic de l’autisme est d’ordre clinique et non médical. Pour la simple raison que la recherche évolue, mais il n’y a pas de marqueurs biologiques pour diagnostiquer l’autisme. C’est à travers des outils d’évaluation du comportement de l’enfant et les témoignages des parents qu’on arrive à diagnostiquer l’autisme. C’est ce qui permet le dépistage précoce, sur la base de critères très précis, liés notamment à des troubles de communication et d’interaction sociale.
Pour pouvoir le faire, il faut que le gouvernement prévoie des formations massives de toute personne liée à la petite enfance, notamment dans le domaine de l’enseignement et de la santé.
MD : Comme votre association est aussi bien présente au Maroc qu’en France, la comparaison s’impose en termes d’efforts déployés par les deux pays. Quelle est la différence entre les deux ?
– M.S : En France, il y a un système envahi par la médicalisation de tout et surtout la psychiatrisation et la prise en charge psychanalytique. Et c’est notre combat prioritaire, d’ailleurs, nous avons gagné beaucoup de choses notamment sur le plan juridique. La Cour des comptes, dans son rapport d’évaluation de la politique en direction des autistes, de décembre 2017, a constaté que 7 milliards d’euros sont dépensés pour l’autisme alors que seulement 15% des enfants sont diagnostiqués et que 85% des autistes ne sont pas pris en charge. C’est un problème franco-français, mais qui est en train d’évoluer. Tandis qu’au Maroc, il y a un manque de moyens et un manque de prise de conscience pour informer sur le sujet. Il y a des choses qui se font au Maroc par la société civile et les médecins qui se sont engagés dans ce sens. En fait, il y a beaucoup d’initiatives à titre individuel entre parents, mais pas de politique nationale. Ce qui est regrettable.
MD : C’est clair qu’on a encore du chemin à parcourir quant à la prise en charge des enfants autistes, mais comme le chantier est grand, quelle est la priorité à ce stade selon vous ?
– M.S : Il faut reconnaître la maladie déjà et que l’État effectue une étude épidémiologique pour savoir le nombre de personnes atteintes de TSA au Maroc. On ne peut pas mettre en place une politique de santé publique pour une maladie si on ne connaît pas les personnes concernées et le Maroc a assez d’épidémiologistes pour pouvoir faire une campagne de dépistage. Après, il faut passer à un plan pour l’autisme qui dépendra des moyens disponibles. Il va falloir qu’il l’intègre dans ses budgets liés à la prise en charge pour l’autisme. Tout cela doit s’accompagner par des formations des professionnels de la Santé et de l’enseignement au dépistage. Maintenant, il suffit juste de rassembler les bonnes volontés et les moyens pour mettre en place ces formations et pour qu’on puisse aller rapidement. On compte déjà 34 naissances par jour et cela ne fait qu’augmenter. De plus, la gent féminine est très mal diagnostiquée, parce qu’aujourd’hui, dans le monde, il n’y a pas d’outils adaptés au diagnostic des femmes touchées par l’autisme. Sachant que les filles sont souvent très évoluées sur le plan intellectuel et donc elles arrivent à cacher leur TSA. Ce qui fait que beaucoup de femmes ne découvrent qu’elles sont autistes qu’au-delà de l’âge de 30 ans.
MD : Comment doit procéder un parent qui a un enfant atteint des TSA ?
– M.S : Il faut prendre contact avec l’association sur l’adresse «[email protected]», on pourra donc les recevoir et leur donner les informations liées au soutien psychologique. Quant à la prise en charge, c’est un peu complexe, parce que nous avons besoin de partenaires qui nous aident pour pouvoir prendre en charge le maximum des enfants, c’est vraiment question de moyens économiques.
Le diagnostic d’un enfant autiste est une bombe atomique qu’on reçoit et qui perturbe la majorité des parents, mais ce qu’il faut savoir, c’est que l’autisme se traite avec un processus à long terme, il n’y a pas de solution miracle. Les solutions qui existent pour le traitement des TSA sont des prises en charge éducatives et comportementales qui sont performantes. Donc, la réponse à l’autisme est bien de l’éducation adaptée et permanente. Les parents doivent comprendre qu’ils doivent mettre en priorité leur enfant et cela demande des moyens. Ce n’est pas le fait de mettre son enfant dans une structure matin et soir qui va lui permettre d’évoluer. Il y a des familles qui pensent que tout doit leur être donné gratuitement et d’autres qui ont les moyens et qui pensent que tout est une prestation de service. Or, les parents doivent être impliqués dans la prise en charge et suivre les formations et l’application des programmes. C’est ce qu’on fait dans nos structures. Les parents ont des guidances parentales toutes les semaines et les programmes sont faits par des spécialistes, c’est ce qui fait évoluer les enfants semaine par semaine et les résultats sont probants. La souffrance des parents et leur anxiété les empêchent d’avoir la patience en fait de suivre cela. Ils veulent des réponses immédiates, alors que l’autisme est une maladie qui défie le monde entier aujourd’hui.