Le 4 septembre ou l’autre face du vote
Au-delà des résultats du scrutin qui ont satisfait les uns et déçu les autres, bien des réalités se laissent voir en toile de fond après ces élections qui se présentent comme une étape majeure du processus de régionalisation avancée que prône la nouvelle constitution.
Depuis des mois déjà, les réseaux sociaux s’arrachent la popularité de par la création de groupes et de pages qui se veulent un espace de liberté et une agora pour débattre des problèmes politiques marocains, en général, et des élections, en particulier.
D’aucuns appellent au vote massif pour faire un choix digne d’un citoyen politiquement mature et contrecarrer « l’obscurantisme », d’autres au boycott des élections pour la mauvaise gestion et surtout le manque de crédibilité de certains candidats que la scène a déjà connus. D’emblée et durant des mois, les internautes ont passé au crible les partis politiques, de plus en plus, nombreux à n’en retenir les noms ni à en saisir l’idéologie si toutefois ils en ont une –à quelques exceptions près- . Leurs programmes et leur historique ont fait l’objet de débats parfois houleux. Femmes et hommes, jeunes et moins jeunes ont manifesté une forte mobilisation et la toile encensait le nationalisme.
Hélas, au fur et à mesure que la date fatidique du 4 septembre approchait, le soufflé retombait et l’enthousiasme des gens s’amenuisait. Dire que ne pas voter est un manquement impardonnable à un devoir national et patriotique, en s’abstenant, serait porter un jugement de valeur et relèverait d’un certain abus puisque ne pas voter est aussi un choix. Mais le fait est que la majorité des Marocains se sont laissé gagner par une amère déception répétitive à des promesses fallacieuses qui n’ont duré que l’espace d’une campagne électorale. Sauf qu’en refusant d’accomplir ce droit et devoir qu’est le vote, on participe involontairement à faire profiter des partis et candidats qui incarnent carrément l’antithèse du modèle conçu d’un bon représentant… Et on passe le mandat à rouspéter et à s’en mordre les doigts en réclamant la démocratie.
Vendredi 4 septembre, dans la soirée, les résultats des villes commencent à faire monter l’adrénaline des Marocains… Tout portait à croire que le Parti de Justice et Développement (PJD) allait l’emporter tellement elle a cartonné dans la majorité des villes, joie pour certain et choc pour d’autres. Ce qui est surprenant pourtant c’est que c’est ce parti même auquel on n’a cessé de reprocher la mauvaise gouvernance depuis qu’il est aux commandes ! Or alors que tout le monde s’attendait à ce que le parti dirigeant soit écrasé et qu’il ait le pire des châtiments de la part des électeurs, un coup de théâtre vient tout chambouler à l’annonce des résultats définitifs par le ministre de l’Intérieur. Pour un taux de participation aux élections s’élevant à 53,6%, le dépouillement de la totalité des bulletins de ce double scrutin se solde par : le PJD qui arrive en tête dans cinq des douze régions du pays dont celles de Casablanca, Rabat, Fès, Tanger et Agadir, dans les conseils régionaux avec 25,6%, suivi du PAM avec 19,4% et de l’Istiqlal avec 17,5%. En revanche, au niveau des communales, le PAM l’emporte avec 21,1%, suivi de l’Istiqlal avec 16,2% et du PJD avec 15,9%. L’équilibre force les choses pour ainsi dire mais qu’en est-il pour le système démocratique ?
Il est évident que le PAM a maintenu, en quelque sorte, sa position mais « politiquement » parlant, c’est le PJD qui est le parti « gagnant » à plus d’un égard et se place en position de force à un an des prochaines élections, ne l’oublions pas.
Par rapport aux élections de 2009 où il était sixième de la liste, il a fait un raz-de-marée en triplant son score ce vendredi 4septembre. Donc ne serait-il pas plus raisonnable de faire preuve de professionnalisme et de reconnaître son mérite à cette formation politique qui a su, probablement, gagner la confiance des Marocains grâce à sa stratégie de proximité qui ne se limite pas aux élections, sinon quelle autre explication donnerait-on à cette victoire? Serait-ce que ces derniers se sont rendus à l’évidence que le PJD parle un discours spontané, sincère et sans sous-entendus bien que les sorties populistes de son secrétaire général choquent plus d’un? Ces Marocains mêmes qui contestent les décisions gouvernementales et le manque de compétence ou de maîtrise, seraient-ils convaincus qu’ils pourraient compter plus sur les pjdistes même s’ils leur reconnaissent des tares que certains incombent, toutefois, au manque d’expérience et non à la mauvaise foi ? Serait-ce tout simplement une sanction pour les autres partis ? En tout cas, les faits sont là et il faut en prendre note pour en comprendre les motivations. Il faut reconnaître sa défaite, faire son bilan et surtout son mea culpa.
Ce 4 septembre est l’une des dures leçons pour certains partis politiques qui ont marqué, par leur déchéance, un recul ahurissant lors de ces élections à savoir l’USFP, grand perdant de la fête, et pour cause son problème de gouvernance et les scissions au niveau de cette composition politique qui lui a fait perdre Agadir et Rabat. Citons aussi le cas du FFD qui a perdu la quasi-totalité de ses places. Sans oublier également le vote-sanction infligé au maire de Fès Hamid Chabat détrôné par son adversaire Driss Azami du PJD (signe que les voix ne sont plus monnayables ?). Tout de même, il faut souligner la percée du FGD (Fédération de la gauche démocratique) qui l’a emporté à Outat El Haj et Figuig. Cette nouvelle constitution politique fait une entrée encore timide dans les grandes villes mais porteuse d’espoir pour la gauche. Par contre, représentée par Nabila Mounib (secrétaire générale du PSU), celle-ci a raté de peu la commune de Sidi Belyout face à Moncef Belkhiyat et Yasmina Baddou.
Ce scrutin a été l’occasion à ne pas rater pour les citoyens marocains ayant voté. Loin d’être dupes, ils ont adressé un message des plus clairs aux candidats et leaders politiques. Si on ne peut choisir le meilleur parti autant privilégier le moins « cuit ». Ils refusent de se laisser aller, encore une fois, aux discours rhétoriques ni aux idéologies manipulatrices mais font leur choix et l’assument même au risque de quelques mauvaises surprises et heurts, même en ne se projetant pas loin peut-être. Si le parti dirigeant a, pendant ce mandat, choqué par des prises de position brusques ou décisions trop « conservatrices » les citoyens, il a fait preuve de « bonnes intentions » quoique pas toujours au goût de tous les Marocains avisés.
Ce 4 septembre est une leçon pour les actuels secrétaires généraux des partis politiques historiques qui ont écrit l’Histoire du Maroc à une époque significative du pays et qui ont essuyé un échec cuisant. Un message fort pour qu’ils revoient leur gouvernance et pour qu’ils se réconcilient avec le citoyen marocain qui ne demande qu’à reprendre confiance en les dirigeants politiques du pays. Ces partis, ayant été leaders à un certain moment, assistent passivement à un fracassant effritement (l’USFP) et à une effarante décrédibilisation.
La leçon est bien pénible à retenir de bon cœur, toutefois il faut que cette politique « politicienne » fasse du citoyen marocain son premier souci. Il est temps que nos politiques cèdent leur compétitivité individualiste pour se concentrer sur l’intérêt du pays et qu’ils en fassent une priorité au lieu de se focaliser sur leur ring où ils sont les seuls joueurs. Malheureusement, ils se lancent les coups et c’est le peuple qui encaisse. Le tac au tacle où rivalisent les hommes politiques marocains est de plus en plus ridicule dans leur duel calomnieux empreint d’injures, de discours politique grossier et de coups bas. Ils gagneraient mieux en crédibilité en faisant preuve de plus de décence, d’élégance et de maturité politique.
Ce 4 septembre, le PAM, le PJD, le PI et le RNI ont gagné aux élections mais le peuple, lui, qu’a-t-il gagné ?