Le développement des infrastructures sportives au Maroc, un enjeu stratégique pour Lahcen Mouher
Dans un contexte où le Maroc ambitionne d’accueillir les plus grands événements sportifs internationaux, quel est l’état des lieux des infrastructures sportives dans le pays ? Quels sont les enjeux et les opportunités de leur développement ? Quelle est la vision du gouvernement pour faire du sport un levier de croissance et de cohésion sociale ? Pour répondre à ces questions, Lahcen Mouher, Consultant Expert en Infrastructure de Sports et loisirs, partage son analyse et ses recommandations.
Maroc diplomatique : Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle des infrastructures sportives au Maroc, en termes de nombre, de qualité, de répartition géographique et de conformité aux normes internationales ?
Lahcen Mouher: Il est indéniable que la situation actuelle des infrastructures sportives au Royaume du Maroc, m’inspire une grande fierté – pour moi qui a suivi de si près, la genèse de la construction de stades – depuis la première candidature du Maroc, pour l’organisation de la Coupe du Monde de 1994, acquise aux Etats Unis. Les deux premiers grands stades remontent aux Jeux Méditerranéens de 1983, il s’agit du Stade Mohamed V de Casablanca et le Grand Stade Moulay Abdellah de Rabat.
Aujourd’hui, le Maroc dispose de 6 grands Stades ; En plus des deux déjà cités, il y a le Grand Stade de Fès, Ibn Batouta de Tanger, Adrar d’Agadir, le grand Stade de Marrakech. Ceux-là même qui répondent aux normes et exigences de la FIFA.
Rappelons au passage que certains de ces stades connaissent des travaux de rénovation presque totale, comme celui de Rabat. Sous l’impulsion de la FRMF, l’Agence Nationale des Equipements Publics s’est engagée à remodeler de fond en comble ces stades en optant pour une conception plus moderne et à l’anglaise. C’est principalement pour en augmenter les capacités d’accueils, que les pistes d’athlétisme ont été éradiquées.
Le volet de cette question, portant sur la répartition géographique est d’une intensité, telle qu’elle me pousse à décrier ici, ce véritable handicap dû à une répartition spatiale inégale, qui verse dans le manque chronique d’une démocratisation de la pratique du sport. Hormis l’axe atlantique allant de Tanger Agadir Laâyoune – Dakhla d’une part et l’axe central pour ne citer que Meknès Fès et Oujda, le reste du territoire, aussi vaste qu’il est sincèrement pauvre en infrastructures sportives. C’est dans cet esprit que je lance un appel aux collectivités locales pour jouer leur rôle de régulateur dans ce domaine, par la projection d’installations sportives, dans les PDR (Plans de Développements Régionaux) et dans les Schémas Directeurs d’Urbanisme. Nos élus doivent savoir que le sport est un acteur incontournable de l’aménagement du territoire.
Quels sont les principaux défis et opportunités que présente le développement des infrastructures sportives au Maroc, notamment dans la perspective de l’organisation de la coupe d’Afrique des nations en 2025 et de la coorganisassion de la coupe du monde en 2030 ?
L’organisation de deux événements sportifs à grande échelle, pose de réels défis pour le Pays ; Défis certes mais aussi d’opportunités pour le développement et pas seulement des infrastructures sportives, mais bien plus, de toutes composantes parallèles liées à savoir : les routes, autoroutes, ports et aéroports, les équipements touristiques et hospitaliers.
Rappelons au passage que le Maroc a relevé bien des défis depuis, avec le réseau autoroutier Nord Sud et Est Ouest, les extensions de terminaux des aéroports à travers le pays ; En matière d’infrastructures sanitaires, citons le grand chantier du portant sur l’extension du CHU de Rabat, sans oublier ceux déjà opérationnels à Fès, Marrakech, Tanger et Agadir. Il faut reconnaitre que l’événementiel en général et les grandes manifestations sportives dont le Football en particulier constituent des occasions in édites de développement, si elles ne sont pas de véritables tremplins qui vont permettre au Maroc à l’instar de ceux qui en ont déjà bénéficié, d’en tirer des profits, en boostant son économie sur tous les plans.
Les trois éditions du « Mondialito » ont bien profité au Maroc, pour lui avoir assuré une grande visibilité tant en matière de tourisme que par ses capacités d’organisation et d’accueil qu’il a su mettre en œuvre, ce qui lui a assuré une large une reconnaissance internationale.
La Maroc jouit d’un véritable atout, du fait de sa proximité avec l’Europe ; Nos voisins du Nord, l’Espagne et le Portugal ne sont qu’à quelques heures de vols. Cette organisation tripartite du Mondial aussi inédit, a l’avantage de remettre sur la table le projet tant rêvé par Feu SM Hassan II, à savoir la liaison Afrique – Europe par le détroit de Gibraltar. Un projet pharaonique dont les études sont presque ficelées et ne manquent que de fonds pour l’entame des travaux. Il convient de souligner qu’un tel projet nécessite un appel à contribution, car il y va de l’intérêt tant de l’Afrique que de l’Eurasie.
Quelle doit être la stratégie du gouvernement pour renforcer les infrastructures sportives existantes et en créer de nouvelles, en tenant compte des besoins des différentes disciplines, des acteurs du sport et des populations locales ?
A vrai dire, le Maroc a su tirer bien des leçons de ses candidatures antérieures pour l’organisation de la Coupe du Monde. Ce qui lui a permis de lancer bien des chantiers depuis. Malgré l’existence de stades répondant aux normes, l’Etat n’a pas lésiné sur les moyens, leur mise à niveau, voir leur rénovation, pour aller jusqu’à démolir certains d’entre eux, en vue de leur reconstruction et leur livraison à l’état neuf le jour « j ». Le cas du Complexe Moulay Abdellah, démoli pour construire deux stades : Un spécial Football et un autre dédié à l’Athlétisme, et pas seulement ; Ceux qui suivent de près, auront à constater l’ouverture de 4 chantiers sur site : Ceux des deux stades cités qui seront desservis par un parking sous terrain à proximité, une gare « spécial TGV » et une trémie pour s’ouvrir sur le trafic viaire du quartier chic de Hay Ryad. C’est dire que le complexe Moulay Abdellah, hier isolé, va s’intégrer désormais dans un environnement urbain à l’horizon 2030, qui fera de son site une véritable cité de sports et loisirs.
Le Maroc est presque fin prêt pour la CAN 2025, avec les 6 stades en cours de rénovation. Le projet de grand stade de Casablanca, qui sera édifié entre Mansouria et Benslimane viendra renforcer les capacités du Royaume pour la Coupe du Monde de 2030. En plus du Football, il ne faut pas perdre de vue, l’Athlétisme dont la ville de Rabat est inscrite au Tableau de la Diamond League. C’est dans ce sens que les autorités ont eu recours, avec la démolition du Stade Moulay Abdellah, pour la construction d’un nouveau stade dédié à l’Athlétisme.
A l’instar de Casablanca et de Tanger, Rabat, Agadir et Fès connaîtront l’aménagement de citées sportives multidisciplinaires pour être dotés de piscines olympiques, et de salles omnisports et courts de Tennis. Le sport est désormais une industrie qui s’impose d’elle-même.
Quels sont les impacts socio-économiques et environnementaux des infrastructures sportives au Maroc, sur le plan local et national ? Comment optimiser ces impacts, en termes de création d’emplois, de promotion du tourisme, de développement durable, etc ?
Les impacts socio-économiques et environnementaux des infrastructures sportives au Maroc, sont multiples et combien avantageux, pour espérer en faire des leviers de développement sur tous les plans ; Au niveau local et même national, compte tenu de la pyramide d’âge qui dégage une prépondérance de la jeunesse.
C’est une donne qui doit interpeller les décideurs sur la nécessité d’assurer et garantir à cette jeunesse, les moyens de son épanouissement, tant en matière d’éducation, l’emploi et le bien être par le sport et la santé.
Les deux événements permettront à coup sûr de créer des opportunités d’emplois, à même de résorber le chômage. Le sport favorise la cohésion sociale, les associations sportives sont des lieux privilégiés de rencontres pour bien grandir et s’épanouir, dans le respect d’autrui, ce qui permet de gagner en confiance et en autonomie.
Le Maroc a entrepris depuis ses premières candidatures, des réformes politiques et institutionnelles, marquées souvent de métaphores tels que l’ajustement, la mise à niveau, la régulation, ce qui nous a amené à connaître des cycles variables et caractérisés par une certaine léthargie et ce, malgré les hautes instructions royales ayant fait l’objet d’une lettre aux assises du sport tenues en 2008 à Skhirat, pour ne citer que ce passage édifiant :
« … Notre objectif ultime est de redynamiser la pratique du sport dans nos villes, nos villages et nos quartiers, surtout populaires, qui constituent un réservoir inépuisable de sportifs pour notre pays … Nous exhortons plus particulièrement les collectivités locales et le secteur privé à s’investir pleinement et efficacement comme partenaire du nouveau plan intégré de développement du sport marocain … Une stratégie de sport, une société sportive et une économie du sport … Nous voulons également que notre pays, le secteur du sport soit synonyme d’innovation et de grande créativité, les nouveaux sports doivent donc être encouragés pour tirer le meilleur parti des atouts naturel du royaume et des potentialités de ses jeunes … Il importe aussi d’élaborer, en matière des projets porteurs et à haute valeur ajoutée… », fin de citation.
Comment assurer la pérennité et la rentabilité des infrastructures sportives au Maroc, en garantissant leur utilisation optimale, leur adaptation aux besoins évolutifs et leur intégration dans le tissu urbain et social ?
Il est vrai qu’il ne suffit pas de construire des installations sportives, car le plus grand défi est de les entretenir et les maintenir en bon état, mais encore plus, en faire de véritables sources de revenus. Ce qui ne pourrait être assuré que par l’événementiel, autrement dit, par l’animation et la création de festivités para et extra sportives. L’expérience à démontré, malgré les craintes sécuritaires d’antan, ayant été à l’origine d’un certain mode de construction des bâtisses sportives éloignées pour être désertées, à l’issue de l’événement pour lequel elles avaient construites.
Les acteurs du sport d’aujourd’hui ont de nouvelles visions à même de maintenir en vie les installations et d’y créer une animation en continue, qui assurera un retour sur investissement et bien d’autres avantages au profit de la société et de la jeunesse en particulier.
Comment favoriser l’accès et la démocratisation des infrastructures sportives au Maroc, en veillant à réduire les inégalités territoriales, sociales et de genre, et à encourager la pratique sportive de masse et l’inclusion par le sport ?
La démocratisation de l’accès aux infrastructures sportives doit interpeler les élus, mais avant, il faudra déterminer de quelle infrastructure, si non de quel sport parlons-nous ? Car il y a le sport scolaire et le sport d’élite, sans oublier le sport de plaisance ou de loisirs.
Pour ce qui relève du sport scolaire, l’Etat se doit de réviser sa politique dans ce domaine, laisser pour compte depuis bien longtemps, pour avoir subi les pressions dues à l’ajustement structurel des années 80, qui était à l’origine de l’abandon des installations sportives dans les programmes de constructions scolaires. N’oublions pas que le sport scolaire avait – des années durant – constitué le réservoir d’alimentation des clubs, que ce soit pour le sport individuel ou de masse.
Le ministère des Sports a subi lui aussi, depuis le Gouvernement Jettou, des défections qui l’ont affaibli, face aux Fédérations qu’il est censé géré par une politique sportive véritable à l’échelon nationale.
Pour ce qui concerne le sport d’élite, chasse gardée des clubs, les moyens leurs font défaut. Seuls quelques nantis, parce que siégeant dans les grandes villes à l’image des clubs de Casablanca, Rabat, Tanger, Fès, Meknès Marrakech et Agadir, ont pu garder le cap.
La cartographie met en exergue, un déficit chronique en matière d’inégalités territoriales. Là encore, ce sont les collectivités territoriales qui sont déconnectées de la réalité du sport et de son impact sur la vie sociale.
La pratique du sport et des activités physiques peut avoir un impact significatif sur la santé des individus, voir des communautés. Les bénéfices physiques, sociaux, émotionnels et cognitifs du sport ont fait l’objet de travaux importants de recherches, car ils sont intimement liés à la diminution non seulement des maladies mais aussi de la criminalité. SM Hassan II que Dieu ai son âme au Paradis, de son vivant l’avait si bien rappelé, dans l’un de ses discours.
Dieu merci, on assiste ces temps-ci à une prise de conscience, du justement à ces candidatures CAN 2025 et la World Cup 2030 qui vont faire rayonner plus encore l’image du Royaume du Maroc.