Le Discours de la Méthode

L’information venait de tomber comme un couperet, dans un communiqué du Cabinet royal : « SM le Roi Mohammed VI met fin aux fonctions de M. Mohammed Boussaid » en tant que ministre de l’Economie et des Finances.

« Cette décision royale intervient en application du principe de la reddition des comptes que Sa Majesté le Roi est soucieux d’appliquer à tous les responsables quels que soient leurs rangs ou leurs appartenances. » annonçait le communiqué du Cabinet royal.

Cette nouvelle m’a poussée à faire une nouvelle lecture du Discours que SM le Roi a prononcé à l’occasion de la fête du Trône. A chaud, en le suivant le jour-même, quelque chose m’est restée au travers de la gorge. J’avais un sentiment d’inachevé et de frustration.

Il y avait ce quelque chose que j’attendais, comme tout le peuple d’ailleurs, mais qui n’y était pas.
J’attendais ardemment ce discours et j’imaginais les scénarios des châtiments que SM le Roi allait infliger à tous ceux qui ne se sont pas acquittés de leurs devoirs, qui ont failli à leurs responsabilités et qui ont trahi la confiance du Souverain et du peuple. Or, trois jours après, à l’annonce du limogeage de Mohamed Boussaïd, je me rends compte que le Roi Mohammed VI est non seulement un leader et un visionnaire mais que c’est quelqu’un de très réfléchi, calme et sage, qui prend son temps avant de trancher. Voilà donc « lmdaouikhs » vengés ! Mais derrière, il y a certainement le rapport de Driss Jettou et les plaintes formulées à l’endroit de Boussaîd concernant certains blocages de projets d’investissements majeurs. Pensons aussi au niveau élevé de la dette publique et son rythme croissant, à la problématique des arriérés de l’Etat au profit de certains établissements publics et entreprises privées engendrés principalement par la restitution de la TVA. Tout cela ne constitue-t-il pas des risques sur la durabilité des finances publiques ? Ajoutons à cela que le déficit financier du régime de retraites s’est aggravé encore plus, sans oublier les dysfonctionnements relevés au niveau de l’enseignement et de la santé. Auquel cas, une reddition des comptes serait nécessaire.

Un discours à double voix

Dans le discours royal, on relève deux messages : un Roi qui s’adresse fermement au gouvernement, aux partis politiques et à toutes les institutions. Et un « homme » qui s’adresse, avec compassion et empathie, aux Marocains. Un discours porteur d’emblèmes, d’une forte charge sociale et de promesses. Un discours qui reflète la profondeur des liens unissant le Souverain à ses citoyens. Un discours qui place l’intérêt du citoyen en tête des urgences et montre que SM le Roi Mohammed VI est non seulement à l’écoute de son peuple, de ses attentes et de ses préoccupations mais trace la feuille de route et propose des alternatives et des solutions.

 

J’attendais ardemment ce discours et j’imaginais les scénarios des châtiments que SM le Roi allait infliger à tous ceux qui ne se sont pas acquittés de leurs devoirs, qui ont failli à leurs responsabilités et qui ont trahi la confiance du Souverain et du peuple.

 

D’ailleurs, si le discours de l’année dernière s’est penché beaucoup plus sur le champ politique, celui de cette année a listé les obstacles qui entravent le processus de développement et les urgences que le Royaume est appelé à affronter sur les plans économique, mais surtout social et les défis qu’il est amené à relever. Certes, le Maroc est en progrès, mais le déficit social est alarmant. De facto, force est de rappeler que toute initiative royale a une portée significative et symbolique. Aussi le choix de la ville d’Al-Hoceima -où il passait ses vacances depuis le 23 juillet- pour prononcer son discours du Trône n’est-il pas fortuit. N’est-ce pas l’épicentre du Hirak et des contestations sociales ? En faisant de la «question sociale» au Maroc la priorité des priorités, le Souverain n’est-il pas en train de tourner la page des événements du Rif ? Ce discours n’est-il pas la réponse concrète au malaise social provoqué par les inégalités, le décalage entre les attentes et la réalité des Marocains, le chômage, la pauvreté etc… ? C’est à croire que les citoyens devaient passer par le Roi pour arriver à se faire entendre par un gouvernement qui est de l’autre côté de la barrière et qui ne bouge pas le petit doigt pour le peuple que s’il est recadré par la plus haute autorité du pays.

Unis par les liens de foi et de patriotisme

« Le devenir du Maroc, comme son passé et son présent, relève de notre responsabilité à tous. Ensemble, Nous avons réalisé bien des choses, dans divers domaines. C’est ensemble encore que nous saurons relever les défis nouveaux et concrétiser les aspirations qui nous tiennent à coeur. En revanche, rien n’est acquis sans l’unité, la solidarité et la stabilité du pays, sans la foi dans la communauté de destin qui nous unit dans la joie comme dans la peine, sans un patriotisme sincère et un civisme responsable. » Ainsi donc s’adressait SM le Roi Mohammed VI à la Nation, dimanche 29 juillet, dans son discours à l’occasion de la célébration du 19e anniversaire de son accession au Trône. Mais avant, il s’était entretenu avec le gouverneur de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri, qui lui a fait un exposé de la situation économique et sociale du pays appelant à un sursaut économique, suivi de Driss Jettou qui lui a remis, à son tour, le rapport «fatidique» de la Cour des Comptes.

Ce discours, on l’attendait tous après tous les événements qui ont ponctué la scène politique. Et comme à l’accoutumée, le Roi a accompagné son discours de signes significatifs mais sans grande surprise cette fois-ci (pas de limogeage). La réception présidée au Palais Marchane, à Tanger, par SM le Roi à laquelle a pris part Mme Aicha El Khattabi, fille de feu Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, n’est-elle pas un symbole au vu du monde que le Maroc est et restera uni malgré les conspirations extérieures ou internes des «négativistes, nihilistes et autres marchands d’illusions» ayant voulu surfer sur « certains dysfonctionnements pour attenter à la sécurité et à la stabilité du Maroc ou pour déprécier ses acquis et ses réalisations »? A presqu’un mois du verdict contre les 53 accusés des événements du Rif, le Roi donne un discours orienté sur le social et les politiques que le gouvernement devra mener, urgemment, notamment, des initiatives et des mesures qui concernent l’enseignement, le Ramed, le dialogue social et l’INDH. Dans ce sens, le Souverain, qui a, de tout temps, accordé un intérêt particulier aux classes démunies a agi en « homme » sensible, fédérateur et proche de ses citoyens ; et a invité « le gouvernement et tous les acteurs concernés à entreprendre une restructuration globale et profonde des programmes et des politiques nationales d’appui et de protection sociale ».

Ce discours est, le moins que l’on puisse dire, un véritable « ordre de missions » où le Roi édicte plusieurs mesures sociales à mettre en oeuvre incessamment. Mais pour cela, il rappelle que la force du Royaume réside dans l’union du peuple autour des fondamentaux de la Nation : union, solidarité et paix.

A l’occasion de la fête du Trône, S.M. le Roi préside, à Tanger, une réception à laquelle a pris part Mme Aïcha El Khattabi

Partis politiques : le maillon faible de la chaîne ?

Il n’est pas étonnant que lui, qui est connu pour ses réformes constitutionnelles et juridiques audacieuses, parle d’autocritique et appelle au renouvellement des élites politiques. Il est, en effet, temps d’injecter du sang frais et neuf aux partis politiques vu que la génération actuelle, connaît, mieux que quiconque, ses besoins, ses préoccupations et ses aspirations. Aussi faut-il mobiliser les jeunes pour s’engager dans la vie politique et apporter le changement souhaité au sein des partis qui sont invités par le Souverain à « renouveler leurs méthodes de travail et rénover leurs modes de fonctionnement » et opter pour de nouveaux mécanismes en vue de réussir un projet de société répondant aux attentes des Marocains.

« Il importe aussi de dépasser les différends conjoncturels, d’oeuvrer à l’amélioration du rendement de l’Administration et de veiller au bon fonctionnement des institutions, car, in fine, il importe de renforcer le climat de confiance et de sérénité au sein de la société et toutes ses composantes », a rappelé le Souverain. Sauf que ce n’est, malheureusement, pas la première fois que le discours royal s’adresse à ces partis politiques et que cela tombe toujours dans les oreilles de sourds tellement ils résistent au changement qu’ils appréhendent assurément.

Le citoyen au coeur des préoccupations royales

Dans son discours, le Roi fait état d’un échec de gouvernance en annonçant, avec amertume, que «quelque chose continue à nous faire défaut en matière sociale » d’où son appel au renouvellement du modèle de développement national. Allant directement au but, SM le Roi n’hésite pas à sommer le gouvernement, « Il est insensé que plus de cent programmes de soutien et de protection sociale, de différents formats et se voyant affecter des dizaines de milliards de dirhams, soient éparpillés entre plusieurs départements ministériels et de multiples intervenants publics » en pointant « un manque de coordination entre l’Exécutif et les partis politiques» qui doivent opérer une véritable « autocritique ».

Du coup, le Souverain a réitéré son appel d’octobre 2017 pour la refonte du modèle de développement du Maroc, en mettant l’accent sur l’enseignement, la santé et l’emploi qui constituent des piliers fondamentaux dans le nouveau modèle.

Pour ce faire, et « pour garantir un impact direct et tangible », le Souverain a insisté sur la lutte contre la déperdition scolaire en apportant le soutien nécessaire aux familles nécessiteuses, le lancement de la 3e phase de l’INDH en mettant le capital humain au coeur de ses programmes, la refonte en profondeur du système national de santé pour assurer une justice sociale et la réparation des dysfonctionnements qui entachent le programme de couverture médicale RAMED dont le ciblage avait été, récemment, critiqué par l’Observatoire national du développement humain (ONDH). Conscient de l’importance du dialogue social, le Roi exhorte les différents acteurs sociaux à mettre l’intérêt du pays avant toute considération et oeuvrer pour l’instauration d’un pacte social durable.

SM le Roi Mohammed VI a également évoqué, dans son discours, la nouvelle initiative du «Registre Social Unique » (RSU) pour garantir que « Les ménages habilités à jouir des prestations de ce régime, seront déterminés selon de rigoureux critères objectifs et grâce aux nouvelles technologies ».

Toutefois, le Roi n’a pas oublié de souligner qu’une justice sociale ne peut avoir lieu sans la préservation des ressources en eau aussi l’élaboration du plan d’action à l’horizon 2025 s’impose-t-elle.

L’investissement, moteur de développement social

Parmi les pistes de réformes à caractère social que SM le Roi a suggérées, il estime que « la forme suprême de protection sociale est celle qui passe par la création d’emplois productifs ». D’où la nécessité de promouvoir et d’accélérer la réforme du cadre de l’investissement et de l’accompagnement des entreprises afin de relancer la machine économique dans le monde des affaires pour la création de nouveaux emplois, la finalisation de la Charte de l’investissement, d’une part, et la Charte de la déconcentration administrative, de l’autre, et ce d’ici le mois d’octobre prochain. Dans le même esprit, le Souverain n’a pas omis d’insister sur la réforme des Centres Régionaux d’Investissement (CRI) qui constituent un levier de développement pour «mettre un terme aux blocages et aux prétextes invoqués par certains départements ministériels ».

 

Malheureusement, pas la première fois que le discours royal s’adresse à ces partis politiques et que cela tombe dans les oreilles de sourds tellement ils résistent au changement qu’ils appréhendent assurément.

 

Ce que le discours du Trône apporte aussi ce sont les deadlines fixés et imposés par les directives royales à l’Exécutif qui ne laissent aucune place à la paresse ni à la lenteur pour accélérer les refontes exigées. Surtout que le Roi a fait référence au pouvoir d’achat et au dialogue social dans un contexte récemment marqué par le boycott, un malaise social latent et une année mouvementée par des revendications et des manifestations à caractère social.
Dans ce sens, le Roi prône l’adoption de textes juridiques fixant un délai d’un mois à certaines administrations pour répondre aux demandes qui leur sont adressées dans le domaine de l’investissement.

En somme, en dressant les grandes lignes d’un vaste chantier de réformes sociales et économiques destinées à l’ensemble du territoire national, SM le Roi rappelle que les différentes instances politiques et partisanes sont tenues de se montrer « réceptives aux doléances des citoyens, qu’elles interagissent sans délai avec les événements et les évolutions de la société » au lieu de laisser les choses dégénérer.

Faut-il dès lors s’étonner que le Roi a présidé illico une réunion consacrée à « l’activation des mesures contenues » dans son discours, à laquelle ont pris part le chef du gouvernement et les ministres concernés par les principales questions abordées par ce Discours Royal ?

Le temps étant à l’urgence, SM le Roi exige des mesures rapides et draconiennes soulignant la nécessité d’une coordination et d’une synergie totale dans l’action des différents intervenants, et insistant sur le besoin d’adopter une approche participative en se concentrant sur la réalisation des chantiers afin de répondre aux attentes des citoyens qui espèrent des promesses tenues et des résultats tangibles.

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