Le gouvernement exprime son “grand étonnement” suite à l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire au sujet de l’affaire Bouachrine
Le gouvernement marocain a pris connaissance avec “grand étonnement” de l’avis émis par le Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) au sujet de l’affaire Taoufik Bouachrine, a affirmé, mercredi à Rabat, le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar.
Dans une déclaration à la MAP, M. Aujjar a souligné que l’étonnement du gouvernement “émane de notre forte croyance en l’importance des mécanismes des Nations unies dans le domaine des droits de l’Homme et de la coopération avec ces mécanismes”.
Dans le cas précis de cette affaire et malgré l’interaction positive et la coopération spontanée du gouvernement à l’égard de la correspondance du GTDA, en lui fournissant les données et observations requises au sujet de la plainte objet de ce dossier, le gouvernement a été surpris par la démarche du groupe qui a émis son avis “sans nous laisser l’opportunité de présenter les données sur les observations complémentaires, alors que les mécanismes de travail du groupe prévoient la possibilité de demander au gouvernement des éclaircissements supplémentaires”, a-t-il expliqué.
Le ministre a souligné, à cet égard, que “le gouvernement était disposé à interagir de nouveau avec les observations complémentaires avancées par la partie plaignante”, notant que “notre étonnement émane aussi du fait que le Maroc a mis fin définitivement à ces pratiques depuis les années 90, une orientation qui a été confortée par l’article 23 de la Constitution de 2011 selon lequel +la détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée sont des crimes de la plus grande gravité et exposent leurs auteurs aux punitions les plus sévères+”.
“L’étonnement du gouvernement s’explique également par le fait que l’avis du GTDA intervient à un moment où le Royaume poursuit ses efforts de consolidation des droits de l’Homme et de l’Etat de droit et des institutions, des efforts qui ont été couronnés par la mise en place d’un pouvoir judiciaire indépendant”, a ajouté le ministre, relevant que cette réalisation a été saluée par plusieurs pays démocratiques et organisations internationales des droits de l’Homme.
Le ministre relève, en outre, qu’”au moment où nous attendions que ce mécanisme apporte son appui et accompagne les efforts réformistes du système judiciaire, dont l’indépendance demeure un souci permanent pour le gouvernement, nous avons été surpris par l’avis émis sur un dossier encore instruit devant la justice auprès de la Chambre criminelle près la Cour d’appel”.
Concernant le cadre de travail de ce mécanisme, le ministre a précisé que le GTDA reste un des mécanismes non-conventionnels du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU (plus de 30 mécanismes au total), et que “ces mécanismes effectuent des visites de travail dans les Etats et élaborent des rapports en relation avec leurs domaines de compétence en coordination avec les pays concernés”.
“Ce groupe est chargé du dossier de la détention arbitraire. Il examine les recours qui lui sont soumis, émet des avis et prépare des rapports, à l’instar des autres mécanismes”, a-t-il dit.
Le ministre a rappelé que le GTDA avait déjà émis des avis concernant nombre de pays, y compris des pays démocratiques comme la France, l’Espagne et l’Australie, lesquels avaient vivement critiqué la méthodologie et le traitement réservé par ce groupe à plusieurs cas, autant sur la forme que sur le contenu.
Le groupe onusien s’était rendu en visite au Maroc en 2013, un déplacement qui lui a permis de prendre connaissance des réalisations du Royaume dans le domaine des droits de l’Homme et a exprimé son admiration pour l’expérience marocaine en matière de transition démocratique et des progrès accomplis dans le domaine des droits de l’Homme ainsi que la place de choix qui leur est accordée par la Constitution, a-t-il poursuivi.
Par ailleurs, M. Aujjar a formulé un ensemble d’observations sur l’avis du GTDA, notant à cet égard que le premier alinéa de l’article 9 du Pacte international sur les droits civils et politiques, principal référentiel du groupe, dispose que “nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi”.
La personne intéressée, a-t-il fait observer, est poursuivie dans le strict respect des dispositions de cet article, puisque les données objet de l’avis confirment que “les mesures relatives à son arrestation, à l’enquête et au procès se sont déroulées conformément aux lois en vigueur, appliquées à l’ensemble des personnes présentées devant la justice pour un crime de droit commun”.
En deuxième lieu, le ministre a signalé que le GTDA a rendu son avis alors que l’affaire est encore devant la justice nationale, rappelant, à ce propos, l’article 109 de la Constitution selon lequel “est proscrite toute intervention dans les affaires soumises à la Justice. Dans sa fonction judiciaire, le juge ne saurait recevoir d’injonction ou instruction, ni être soumis à une quelconque pression”.
Ces dispositions ont pour objectif de “garantir le respect du principe de l’indépendance de la justice auquel veillent tous les mécanismes des droits de l’Homme contractuels et non-contractuels, dont le rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, attendu le mois prochain au Royaume”, a-t-il souligné.
Il s’est interrogé, dans ce cadre, sur le motif de l’émission de l’avis du GTDA alors que les étapes de la procédure judiciaire n’ont pas été toutes épuisées, si ce n’est une volonté d’influencer le cours de la justice, exprimant le rejet total par le gouvernement de cette orientation que le Maroc ne saurait accepter puisqu’elle portait préjudice à l’indépendance de la justice.
En troisième lieu, M. Aujjar a constaté que le sujet de la plainte a déjà fait l’objet d’une plaidoirie devant le tribunal et que la chambre criminelle de première instance s’est prononcée à ce sujet, après que le plaignant a bénéficié de toutes les garanties du procès équitable.
En plus, a-t-il ajouté, la loi marocaine permet au plaignant d’interjeter appel du jugement prononcé à son encontre, démarche qui a été suivie par l’intéressé, l’affaire étant à présent soumise pour jugement à la chambre criminelle près la Cour d’appel. Ce dernier a le droit de présenter ses observations et plaidoiries devant cette chambre, a expliqué M. Aujjar, se disant confiant que la justice va statuer dans cette affaire dans le plein respect de la loi et des principes d’un procès équitable.
La quatrième observation formulée par le ministre concerne la procédure d’arrestation qui s’est déroulée sur ordre judiciaire émis par le parquet et dans le respect total des procédures et modalités prévues par le Code de procédure pénale, ce qui atteste de la conformité de cette mesure aux dispositions de l’article 9 du Pacte international sur les droits civils et politiques.
En cinquième lieu, le gouvernement marocain s’étonne de l’appel qui lui a été adressé par le GTDA pour la remise en liberté de l’intéressé, sachant que cette affaire ne relève pas du ressort du pouvoir exécutif mais des compétences exclusives du pouvoir judiciaire et qu’il est interdit d’attenter à son indépendance ou même d’influencer son travail, a-t-il fait valoir.
Partant, M. Aujjar s’est demandé “comment un groupe de travail relevant du Conseil des droits de l’Homme peut-il se permettre d’appeler le gouvernement à intervenir dans des questions relevant des attributions du pouvoir judiciaire, en flagrante violation de tous les principes et normes contenus dans les conventions internationales. Il a rappelé que le suivi et le contrôle du respect de ces principes s’inscrivent au cœur de l’action du Conseil.
La sixième observation est relative au fait que l’avis du GTDA confisque en soi le droit des ayants-droit des victimes qui ont eu recours à la justice, a expliqué M. Aujjar, ajoutant que le gouvernement est surpris face à la négligence des accusations des plaignantes, ce qui constitue “une violation du principe du droit à l’équité et à l’accès à la justice pour tous”. “Le Groupe accepterait-il que les victimes présumées soient privées de leur droit humain d’accéder à la justice pour clamer équité?”, s’est-il interrogé.
Les autorités marocaines appellent le GTDA à reconsidérer son avis à la lumière des données qui lui seront parvenues et exige la publication des données et des réponses du Maroc de la même manière avec laquelle a été émis son avis, insiste le ministre.
“Malgré toutes ces remarques, nous réitérons notre ferme détermination et notre volonté profonde de poursuivre la coopération et l’interaction positive avec le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU et ses mécanismes, le respect des droits de l’Homme et leur promotion étant une conviction et un choix stratégique du Maroc jouissant de l’unanimité de toutes les composantes de la société marocaine”, a-t-il relevé.