Le Maroc à la Croisée des Chemins : À l’aune de la crise politique de l’Espagne
Par M’Fadel El Halaissi (*)
La crise politique et diplomatique qui règne actuellement sur les relations entre le Maroc et l’Espagne gardera certainement des traces indélébiles dans l’histoire des relations communes des deux pays et conditionnera inévitablement les rapports de force de l’avenir des relations entre les deux nations.
La mécanique de la machine diplomatique reprendra – probablement bientôt et certainement à termes- le service pour des raisons pragmatiques d’intérêts mutuels, mais plus rien ne sera comme avant. Le Maroc a subi une offense, un outrage de la part du gouvernement espagnol, qui ne peut être oublié, ni pardonné sous l’autel de sauvegarde des relations de bon voisinage.
Cette crise créée par l’Espagne, a mis le Royaume du Maroc devant des choix stratégiques, et orientations prioritaires pour l’ancrage de la nation marocaine dans son environnement géopolitique pour les décennies, voire le siècle à venir. Le Royaume est à la croisée des chemins ! Fort de ses nombreux atouts, sa géographie, sa profondeur historique, sa stabilité politique et sociale, sa richesse culturelle ethnique et humaine, sa fierté légitime de son état fort, etc. le Maroc a toute la capacité d’imposer actuellement, et plus que jamais, ses propres choix pour l’avenir de la nation.
Le temps des effets néfastes de l’acte d’Algesiras de 1906 est bien révolu. Le Maroc fort, libre et souverain dans ses choix stratégiques de développement est déjà là.
Eu égard à sa position géographique exceptionnelle, la croisée des chemins stratégique offre au Royaume du Maroc des choix à hiérarchiser selon les points cardinaux géographiques et astronomiques suivants :
- Au nord, l’espace économique de l’Union Européenne
- À l’Est, le Monde Arabe,
- Au Sud, le continent Africain,
- Et à l’Ouest, l’espace américain au-delà de l’océan.
Certes, les orientations stratégiques peuvent être multiples et non exclusives, mais, le choix fondamentale de l’inclusion économique et sociale, de souveraineté géostratégique est déterminante dans une vision de stratégie économique et politique aux lointains horizons !
Cette vision stratégique impose la maîtrise des objectifs souhaités à atteindre et l’engagement irrévocable de la mise en œuvre des moyens pour y parvenir, avec la lucidité et la connaissance parfaite des capacités économiques réelles d’aujourd’hui et de demain.
Aussi, l’optimisation de la combinaison de cette trilogie, fait que des économies soient fortes, prennent le leadership dans un espace économique donné, et aboutissent à l’émergence de nations fortes. Aujourd’hui, le Maroc dispose de suffisamment d’atouts pour broder les interactions de la trilogie susvisée, afin de dessiner l’économie marocaine de demain, pour une nation forte.
1- L’Espace économique Européen :
Le Maroc est considéré comme le partenaire privilégié de l’Europe dès la création du premier espace économique intégré en 1957 à Rome, donnant naissance à la C.E.E (Communauté Économique Européenne). Le Maroc a été invité à signer le premier accord commercial (Association) en 1969, renforcé par celui de 1976 en accord de coopération.
Les relations liant les deux partenaires sont tellement exemplaires que le roi Hassan II avait déposé une demande d’adhésion à la C.E.E le 25 juin 1984.
Puis, un accord d’association avec l’Union Européenne de 15 membres fut signé en 1996 (mis en vigueur en 2000), laissant ensuite au Maroc le bénéfice du statut avancé.
Ces différents accords, et bien d’autres qui suivirent, laissèrent entrevoir une singularité toute particulière, tissée tout au long de l’histoire dans la confection des relations liant les deux parties.
Toutefois, on est en droit de se demander si le choix de l’arrimage du Maroc au vieux continent n’était pas une simple évolution historique, plutôt qu’un choix délibéré, réfléchi et souverain. On dira aussi, y avait-il pour le Maroc à l’aube de son indépendance, une autre alternative meilleure en Europe ?
Le bilan de ce partenariat a été certes fructueux pour les deux parties, mais certainement déséquilibré au regard des rapports de force économiques lors des négociations des accords de coopération, notamment ceux relatifs à la libre échange.
Si le Maroc avait été adossé à un espace économique plus large tel celui de l’UMA, il est certain que les conditions de négociations seraient différentes !
L’analyse Coûts – Avantages économiques de ce choix de partenariat avec l’Union Européenne nous révèle à priori que la balance penche plutôt vers les avantages que vers les coûts dans une vision court-termiste.
Cependant, en aliénant son économie à l’espace économique Européen, le Maroc restera un satellite gravitant autour de la planète européenne. Le passif colonial continuera à peser dans les rapports communs, en rappelant à chaque occasion où c’est nécessaire, le rang qu’exige le colonisateur du colonisé.
La crise diplomatique frappant les relations marocco-espagnoles ces derniers mois a mis à nu la fragilité et les limites de ce partenariat, exacerbé par le principe de la solidarité des membres de l’Union (certes timide mais inévitable) avec l’Espagne.
Néanmoins, au-delà de cette crise bilatérale entre le Maroc et l’Espagne, les deux voisins sont condamnés à cohabiter en intelligence dans les intérêts mutuels des deux pays.
Le Maroc ne doit pas se tromper d’ennemi. Celui-ci est connu, bien identifié, se limitant à certaines catégories de personnes. La crise Espagnole n’est qu’un dégât collatéral provoqué par ce même ennemi.
2- L’Espace économique du Monde Arabe :
En réalité, il s’agit plutôt d’un espace géographique sans aucune volonté de rechercher une intégration économique pour créer probablement l’un des plus importants espaces économiques dans le monde.
L’histoire nous enseigne que depuis la chute de l’empire des Abbassides, symbolisée par la chute de Bagdad en 1258, suivi par la chute des califats en Andalousie, symbolisée par la chute de Grenade en 1492, le Monde Arabe n’a jamais pu trouver un leader cherchant à unifier cet immense espace géographique à l’instar d’un Bismarck en Allemagne.
Les périodes coloniales du 19ème et 20ème siècle ont fini par découper cet espace en plusieurs morceaux, souvent au gré des intérêts des puissances coloniales, gangrénant ainsi ce corps qui avait l’essentiel pour se ramasser.
Aujourd’hui, on est bien loin de simples échanges commerciaux à l’intérieur de cet espace très atomisé, divisé et désintégré.
Dans ses choix stratégiques, le Monde Arabe semble être bien loin de ses priorités.
3- Le Continent Africain :
L’économie marocaine a réalisé des performances exceptionnelles sur le continent aux cours des deux dernières décennies.
Les appuis politiques apportés par Sa Majesté le Roi Mohamed VI ont été déterminants.
Les succès réalisés sur cet espace aussi bien diplomatiques qu’économiques sont bien réels. Ils attisent la jalousie des adversaires du Maroc, l’admiration et le respect de ses amis.
Le Maroc doit tirer les bonnes leçons de ses expériences de partenariat entre les voisins du Nord et ceux du Sud. Incontestablement, la qualité des rapports est bien différente.
Le choix stratégique doit impérativement intégrer, outre les éléments quantitatifs, les aspects qualitatifs des rapports économiques, car ils sont le gage de la pérennité et par voie de conséquence, pour un ancrage économique plus profond.
Les liens historiques, culturels et religieux entre le Royaume chérifien et l’espace géographique de l’Afrique de l’Ouest sont le ciment de l’édifice d’un partenariat économique exemplaire. Un ancrage civilisationnel renforcé au fil du temps par les différentes dynasties qui se sont succédé au Maroc depuis 12 siècles.
Le Maroc a un atout exceptionnel pour se servir de son influence historique au sud du Sahara, pour atteindre les autres contrées du continent. Un grand espace économique s’offre au Royaume, dénué de tout passif colonial, et nourri par l’actif civilisationnel.
Le choix stratégique prioritaire est bien là. La métaphore de Feu le Roi Hassan II symbolisant le Maroc d’arbre dont les racines sont en Afrique et les branches en Europe, est bien appropriée. Cependant, quand les branches perdent de leur vigueur, et les feuilles se fragilisent, il est temps d’entretenir les racines.
4- Les Espaces de l’Ouest :
On parle d’espaces au pluriel, car le continent Américain est un espace économique hétérogène composé de plusieurs catégories d’espaces économiques. Ceux-ci posent une contrainte majeure pour le choix stratégique du Maroc, à la dimension d’un océan qui le sépare de ces espaces !
Les relations économiques connaissent un réchauffement ces dernières années, mais demeurent en dessous du potentiel gigantesque qu’offre cet immense espace économique. Les freins sont multiples et variés notamment de natures culturelles et logistiques.
Beaucoup d’efforts sont à déployer pour espérer marquer une pénétration significative à l’échelle de l’économie marocaine sur cet espace économique.
Ceci est aussi valable pour le 2ème espace économique mondial que représente la Chine.
Il en découle que le Maroc a plus à gagner dans le maintien et le renforcement de sa stratégie d’ancrage de son économie dans l’espace économique sub-saharien qu’ailleurs !
Jules César disait : « j’aimerais mieux être le premier dans ce village que le second à Rome »
(*) Directeur Général Délégué BANK OF AFRICA