Le Maroc, à la peine dans le financement des start-ups africaines
Le Maroc a connu une année noire pour son écosystème entrepreneurial en 2023. Selon le rapport annuel du site « Africa : The Big Deal », spécialisé dans l’actualité des start-ups africaines, le royaume n’a attiré que 17 millions de dollars américains de financement, soit seulement 0,4% du total continental. Ce chiffre place le Maroc en queue de peloton, loin derrière les géants du continent comme le Kenya, l’Egypte, l’Afrique du Sud et le Nigeria, qui ont capté à eux quatre 87% des 3,2 milliards de dollars levés par les start-ups africaines en 2023.
Ce montant représente une baisse de 39% par rapport à l’année 2022, qui avait vu les start-ups africaines lever un record de 5,3 milliards de dollars. Malgré ce recul, le rapport souligne que l’Afrique reste un continent attractif pour les investisseurs, notamment dans les secteurs de la fintech, de l’e-commerce, de l’éducation, de la santé et de l’énergie. La collecte de fonds a représenté 2,9 milliards de dollars, tandis que les acquisitions et les sorties ont totalisé 300 millions de dollars.
Le Maroc, qui se veut un hub régional pour l’innovation, n’a pas su profiter de cette dynamique. Malgré les efforts du gouvernement pour soutenir les start-ups, notamment à travers la loi sur les sociétés innovantes, le fonds Innov Invest, le programme Maroc Numeric Fund ou encore le label CFC, le pays n’a pas réussi à créer un environnement propice à l’éclosion et à la croissance des jeunes pousses. Le rapport pointe du doigt le manque de financement adapté aux besoins des start-ups, le faible accès au marché, la complexité administrative et fiscale, ainsi que la pénurie de talents qualifiés.
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Le Maroc fait pâle figure face à ses concurrents africains, qui ont su se positionner comme des leaders dans leurs domaines respectifs. Le Kenya, par exemple, a levé 800 millions de dollars en 2023, grâce à des start-ups comme M-Pesa, la plateforme de paiement mobile qui compte plus de 40 millions d’utilisateurs, ou Twiga Foods, la plateforme de distribution de produits agricoles qui a levé 30 millions de dollars en série B. L’Egypte, quant à elle, a attiré 640 millions de dollars, portée par des start-ups comme Swvl, le service de transport en commun qui a levé 42 millions de dollars en série C, ou Vezeeta, la plateforme de réservation de rendez-vous médicaux qui a levé 40 millions de dollars en série D.
L’Afrique du Sud, qui a levé 600 millions de dollars, se distingue par sa diversité sectorielle, avec des start-ups comme Jumo, la plateforme de services financiers qui a levé 55 millions de dollars, SweepSouth, la plateforme de services à domicile qui a levé 15 millions de dollars, ou Aerobotics, la start-up d’agriculture de précision qui a levé 17 millions de dollars. Le Nigeria, enfin, qui a levé 410 millions de dollars, reste le leader incontesté de la fintech en Afrique, avec des start-ups comme Flutterwave, la plateforme de paiement qui a levé 170 millions de dollars en série C, ou Paystack, la start-up de paiement en ligne qui a été rachetée par Stripe pour 200 millions de dollars.
D’autres pays africains, moins médiatisés, ont également su se faire remarquer par les investisseurs. C’est le cas du Bénin, qui a levé 71 millions de dollars, grâce à la start-up de télécommunications Isocel, qui a obtenu un prêt de 60 millions de dollars de la Banque africaine de développement. C’est aussi le cas de la République démocratique du Congo, qui a levé 62 millions de dollars, portée par la start-up de logistique Kobo360, qui a levé 20 millions de dollars en série A. Le Ghana, le Sénégal et le Rwanda ont également dépassé la barre des 40 millions de dollars de financement chacun.
Le Maroc, qui se classe 14e sur le continent, fait moins bien que la Tunisie, qui a levé 4 millions de dollars, mais qui compte des start-ups prometteuses comme IntiGo, la plateforme de transport à la demande qui a levé 1,6 million de dollars, ou Expensya, la start-up de gestion des notes de frais qui a levé 1,1 million de dollars. Le Maroc est également devancé par des pays comme le Cameroun, le Mali, le Togo ou le Zimbabwe, qui ont levé entre 5 et 10 millions de dollars chacun.
Le rapport souligne que le financement des start-ups africaines reste très concentré, avec 10 pays qui représentent 97% du total, et 10 start-ups qui représentent 54% du total. Il appelle à une plus grande diversification géographique et sectorielle, ainsi qu’à une plus grande inclusion des femmes et des jeunes dans l’écosystème entrepreneurial. Il met également en garde contre les effets de la crise sanitaire et économique, qui risque de réduire encore plus le financement du capital-risque en 2024. Le Nigeria, qui a longtemps été considéré comme le marché le plus attractif du continent, a connu une chute de 67% de son financement en 2023, atteignant son plus bas niveau depuis 2019.
Le Maroc, qui aspire à devenir un leader régional dans le domaine de l’innovation, doit donc relever de nombreux défis pour rattraper son retard et profiter du potentiel du continent africain. Il doit notamment renforcer son cadre réglementaire, faciliter l’accès au financement, encourager la collaboration entre les acteurs de l’écosystème, développer les compétences et les talents, et favoriser l’ouverture sur les marchés régionaux et internationaux. Il doit également miser sur ses atouts, comme sa stabilité politique, sa proximité géographique et culturelle avec l’Europe, son infrastructure de qualité, ou encore sa diversité linguistique.
Le Maroc a encore un long chemin à parcourir pour réaliser pleinement son potentiel entrepreneurial. Mais il n’est pas trop tard pour se réveiller et saisir les opportunités offertes par le continent africain, qui est en pleine transformation digitale.