Le Maroc dans l’Indo-Pacifique : Une approche inclusive pour un avenir partagé

Par Cherkaoui Roudani

En 2007, Al Gore, lauréat du prix Nobel de la paix et ancien 45e vice-président des États-Unis sous la présidence de Bill Clinton, exprimait la notion que notre monde avait évolué en un voisinage mondial, où les événements survenant dans une région ont la capacité d’exercer une influence sur d’autres. Cette affirmation éclaire la manière dont les frontières géographiques et politiques se sont graduellement effritées. La mondialisation a agi comme une force de transformation et de mutation, tissant notre planète en un vaste réseau interconnecté où les évolutions dans une zone peuvent engendrer des répercussions d’une ampleur considérable, parfois même inattendues, dans des contrées lointaines. Cette interconnexion découle des avancées technologiques, de la propagation instantanée de l’information et du commerce international. Un exemple saisissant réside dans la manière dont une crise économique localisée ou une pandémie, à l’image du Covid19, peut rapidement se propager à l’échelle mondiale, engendrant ainsi des répercussions touchant des millions d’individus à travers la planète. Cette réalité nous renvoie au fait que les limites des frontières ne sont plus en mesure de circonscrire les répercussions de certains événements. Ainsi, pour garantir la paix, la prospérité et la durabilité, les États ont adapté leurs formes de coopération internationale en établissant des partenariats stratégiques afin de confronter les défis issus de la mondialisation et de l’incertitude stratégique.

 

Dans cette optique, à l’aune d’une reconfiguration globale, les mécanismes des relations internationales prennent un virage inédit. Si la mondialisation a élargi les perspectives des nations, le conflit entre la Russie et l’Ukraine a dévoilé les lacunes de l’ordre international en vigueur. Parallèlement, les évolutions en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest, servent d’illustrations concrètes de cette mutation paradigmatique en cours. En effet, plusieurs régions du globe entament un processus de restructuration de leurs alliances afin de constituer un front uni pour répondre aux défis et enjeux en cours. Dans ce sens, l’ASEAN, par l’établissement de la Zone de libre-échange en 1992 et qui a concrétisé son projet de Communauté en 2015, a acquis un statut d’acteur majeur dans la configuration globale, notamment au sein de l’espace Indo-Pacifique.

Dans ce monde constamment connecté et en perpétuelle évolution, le statut du Maroc de partenaire du Dialogue sectoriel auprès de l’ASEAN, troisième puissance économique en Asie, peut grandement consolider sa position stratégique sur la scène internationale. Il offre la possibilité non seulement de renforcer son image et sa marque en tant que leader africain, mais également de stimuler une coopération multiforme tant à l’échelle régionale que mondiale. Cela permettrait à Rabat de mieux relever les défis et de saisir les opportunités qui se présentent dans moult domaine comme les énergies renouvelables, l’agriculture et la technologie. Il est crucial de noter que les alliances stratégiques actuellement formées par le Maroc sont guidées par une volonté royale de projection stratégique, visant à capitaliser sur les dynamiques inhérentes à des groupements régionaux tels que l’ASEAN, qui affiche une vision ambitieuse s’étendant jusqu’en 2025.  Il est misé de souligner que depuis le discours de Sa Majesté à Riad, le Royaume a mis en place une stratégie de diversification de ses relations. Dans ce sens, en 2016 le Maroc est dans sa quête d’accroître les paramètres dynamiques de sa force avait adhéré au Traité d’Amitié et de Coopération de l’Asean (TAC).

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Cette approche inclusive ne s’est pas limitée à cela, mais s’est également matérialisée à travers la participation active du Maroc aux organismes régionaux de l’Asie du Sud-Est. En effet, en 2017 et 2022, le Maroc a signé deux mémorandums d’entente avec la Commission du fleuve Mékong (MRC), qui regroupe le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam

En sus des avantages économiques qu’engendrerait une stratégie de développement de projets collaboratifs, cette alliance avec l’ASEAN pourrait potentiellement entraîner une augmentation significative des échanges commerciaux, grâce à l’accès préférentiel aux marchés communs des membres, ainsi qu’à la stimulation mutuelle des investissements. Sur le plan diplomatique, les groupements régionaux fournissent au Maroc une plateforme inestimable pour des dialogues politiques continus et coordonnés au sujet des enjeux régionaux et internationaux. De surcroît, au sein de l’ASEAN, le mode de fonctionnement entre les pays membres et les partenaires est fondé sur des principes clés tels que le respect mutuel de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’égalité entre les membres. Cette convergence diplomatique et politique permettra à Rabat d’élargir ses relations multilatérales et bilatérales tout en défendant les intérêts vitaux du Maroc, notamment le dossier de l’intégrité territoriale. De plus, le Maroc partage de nombreux points communs et objectifs avec les pays membres de l’ASEAN, tant en ce qui concerne les défis que les enjeux auxquels les deux parties font face. Au sein de cette organisation économique, la plupart des membres, à l’exception de la Thaïlande, ont tous connu la colonisation. Ils ont œuvré pour instaurer une « consolidation nationale » afin de répondre aux menaces de fragmentation et d’instabilité.

C’est dans cette optique que le Maroc a la possibilité de récolter d’importants bénéfices en jouant le rôle de partenaire privilégié au sein de ce groupement régional. Établir une relation avec un groupement régional contribuerait également au renforcement de la paix et de la stabilité dans la région, à la promotion du développement économique et social, à la collaboration dans des domaines cruciaux tels que l’éducation, la culture et la science, tout en encourageant la coopération tant à l’échelle régionale que mondiale.

Cette position offrirait une base solide pour l’établissement d’une relation durable et soutenue avec une région caractérisée par des spécificités géopolitiques marquées. De plus, il convient de souligner que le Maroc possède des leviers géostratégiques significatifs qui pourraient lui permettre d’étendre ses réseaux au sein d’un continent à fort potentiel, tel que l’Asie. En ce sens, il est important de garder à l’esprit que diverses doctrines géopolitiques à l’échelle mondiale se jouent au sein de ce continent, notamment au sein de la région de l’Asie du Sud-Est, qui ne cesse de renforcer sa présence sur la scène internationale.

Aujourd’hui, l’ASEAN gagne en influence dans le commerce international, attirant ainsi d’autres puissances économiques pour former ainsi l’ASEAN+3, incluant la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Avec plus de 700 millions d’habitants (à peu près 9% de la population mondiale), cette Communauté économique constitue un marché de choix et se classe au 5ᵉ rang des blocs économiques mondiaux, aux côtés de l’UE, des USA, de la Chine et du Japon avec un PIB de 2600 milliards de dollars. Les « tigres asiatiques », comme ils sont couramment surnommés, tirent avantage de leur position géographique stratégique dans le réseau économique mondial. Cette organisation, en tant que communauté économique, socio-culturelle, politique et de sécurité, offre de nombreuses opportunités au Maroc pour renforcer sa visibilité internationale et s’approcher des États de plus en plus influents dans les domaines financier, économique et diplomatique à l’échelle mondiale. Pour ce faire, plusieurs avenues sont envisageables. En matière de partenariats économiques, Rabat pourrait explorer la conclusion d’accords commerciaux et de partenariats économiques, notamment dans les domaines de la technologie, de l’agriculture et du tourisme. Cette approche pourrait également créer des synergies triangulaires, attirant ainsi des investissements au niveau national et continental. Sur le plan stratégique, les relations du Maroc avec Pékin et Washington pourraient gagner en dynamisme au sein de cet espace qui revêt une importance majeure dans le contexte géopolitique mondial. Par ailleurs, l’ASEAN se distingue comme une région économiquement dynamique, marquée par une croissance significative et un potentiel de marché élevé. Il est à noter que cette région, notamment avec la guerre russo-ukrainienne, se révèle être un terrain crucial où se jouent des enjeux géopolitiques et économiques majeurs, dans le cadre de la compétition mondiale pour la suprématie entre Washington et Pékin. En effet, l’Asie du Sud-Est se présente comme un carrefour stratégique, une région de transition, un couloir d’échanges et un théâtre d’actions décisives. Elle occupe cette position clé en tant qu’angle maritime essentiel qui relie l’océan Indien à l’océan Pacifique. C’est pourquoi, cette région revête une importance fondamentale au sein de l’agencement régional de l’Indo-Pacifique. En plus du RCEP, qui est le plus vaste accord de libre-échange au monde, établi entre l’ASEAN et la Chine, d’autres initiatives stratégiques telles que le CPTPP (Partenariat transpacifique global et progressiste) et le nouveau cadre économique américain pour l’Indo-Pacifique (IPEF) illustrent clairement l’importance géostratégique de la zone. L’ensemble de ces éléments, conjugués à l’initiative européenne « Global Gateway » dotée d’un financement de 300 milliards d’euros pour établir un réseau interconnecté fondamental pour le commerce international, est en train de rééquilibrer les dynamiques stratégiques au sein de la région de l’Indo-Pacifique. Dans ce contexte, le Maroc, en adoptant une approche inclusive de l’Indo-Pacifique, privilégie l’ASEAN en tant que partenaire majeur dans la région de l’Asie du Sud-Est. Cette démarche lui confère l’opportunité d’un repositionnement stratégique et de jouer un rôle central dans l’élaboration d’une stratégie globale de développement pour le continent africain. D’ailleurs, les pays membres de cette organisation sont positionnés tout autour de la voie de navigation cruciale qui relie l’Asie de l’Est au Moyen-Orient et à l’Afrique. Cette spécificité permettra au Royaume de forger des partenariats solides avec cette organisation, le Maroc – qui est d’ailleurs le premier pays africain à avoir été accepté en tant que partenaire au sein de l’ASEAN – aurait l’opportunité de jouer un rôle essentiel dans l’élaboration d’une relation stratégique qui relierait cette région à l’Afrique continentale. Dans ce sens, le renforcement des relations géoéconomiques du Maroc avec cette région aura un impact majeur sur les intérêts stratégiques et vitaux du Royaume. En ce sens, le Maroc pourrait accroître ses exportations vers la région et attirer des investissements en provenance des pays membres. En ce qui concerne la sécurité et la lutte contre le terrorisme, le Maroc jouit d’une expertise internationalement reconnue. Face aux défis sécuritaires régionaux, Rabat pourrait apporter sa contribution à l’élaboration d’une philosophie sécuritaire, renforçant ainsi la politique de sécurité des pays de la région ASEAN.

Face à ces évolutions, dépasser les contraintes imposées par la géographie révèle un potentiel incommensurable pour la collaboration entre les êtres humains. Alors que la géographie se contente de tracer des cartes, ce sont les alliances et les partenariats qui esquissent les contours des perspectives à venir, en définissant les formes que prendront nos futurs partagés.

Dans cette vision, la géographie du Maroc comme celle de la zone Asean n’est plus une barrière, mais une opportunité à exploiter conjointement. Le partenariat entre les deux parties se révèle être les véhicules propulsant au-delà des frontières géographiques, ouvrant ainsi les voies vers des partenariats solides et une compréhension mutuelle. Ce rapprochement outrepasse les distances physiques pour établir des liens puissants entre des entités qui jadis étaient séparées par des océans et des continents. Avec cette perspective d’évolution des relations qui se sont amorcées en 2016, le Maroc et l’Asie du Sud-est s’engagent dans un périple visant à concrétiser des objectifs communs, tissant ainsi les fils d’un avenir harmonieux et fructueux.

Dans l’histoire politique, la géographie, bien qu’incontestablement significative, n’a jamais dicté les limites de notre potentiel. Pour le Maroc et les pays de l’Asie du Sud-Est, elle devient un point de départ plutôt qu’un obstacle, un tremplin pour explorer de nouvelles opportunités et d’autres possibilités. Enfin, l’histoire de l’humanité nous rappelle que les obstacles posés par la distance perdent de leur importance face à la volonté et à l’engagement communs. Comme les différences culturelles et linguistiques peuvent se métamorphoser en atouts qui enrichissent les interactions et élargissent les perspectives et les horizons.

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Enfin, le devenir de la planète est inextricablement lié aux régions qui s’étendent vers le sud du globe, et cela revêt une importance particulièrement marquée pour l’Afrique, l’Amérique latine et les nations d’Asie du Sud. Dans ce contexte, il est essentiel de mettre en évidence que le Maroc et l’ASEAN ont la capacité de jouer un rôle profondément significatif en renforçant les liens entre les nations de ces régions méridionales.

Le Maroc, situé à la confluence de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne et de l’Ouest, détient une position géographique d’une importance stratégique indéniable. Il peut servir de lien vital entre ces deux régions, facilitant ainsi une coopération fructueuse tant sur le plan économique que politique, et en matière de partage culturel. Parallèlement, l’ASEAN réunit plusieurs nations dynamiques d’Asie du Sud-Est, et en tant que telle, elle détient le potentiel de jouer un rôle central dans le renforcement des liens entre les pays de cette région, offrant ainsi une opportunité précieuse pour le progrès collectif.

À travers une collaboration proactive avec d’autres nations situées dans les régions méridionales, notamment en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud, le Maroc et l’ASEAN peuvent conjointement contribuer à façonner l’émergence d’un ordre mondial qui prône l’équilibre et l’inclusion. En stimulant les échanges commerciaux, en encourageant les investissements réciproques, en favorisant le partage technologique et en entreprenant des initiatives conjointes, ils ont la capacité de façonner un avenir où les régions méridionales jouent un rôle central dans les affaires mondiales et dans la promotion de la coopération internationale.

(*) Professeur Universitaire et Expert en géostratégie et Sécurité

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