Le Maroc : La diplomatie du soft power emerging
Le secret d’une ascension fulgurante
Par Dr. Youssef Chiheb (*)
Depuis une vingtaine d’années, le Maroc ne cesse de grappiller des échelons dans le classement des pays émergeants tous secteurs et critères géopolitiques confondus. D’un simple pays en voie de développement confronté, parmi tant d’autres, aux difficultés structurelles telles la pauvreté, la dette, une économie fragile, la mainmise des multinationales, les aides financières des pays du Golfe, la faible attractivité stratégique. Pourtant, il jouissait d’une position géographique singulière en tant que carrefour entre trois entités géopolitiques (Afrique, Monde arabe et Europe). Plusieurs chantiers à 360° ont été conçus autour de concepts de mise à niveau globale de nature à arrimer le Maroc à la mondialisation (Ports, aéroports, autoroutes, logistique, télécommunication…).
Des signes tangibles sont visibles au niveau interne, en dépit de l’ampleur des déficiences cumulées depuis l’indépendance du pays. Une stratégie nationale articulée autour de concepts pragmatiques visant le renforcement de sa résilience, la mise à niveau multisectoriels, l’attractivité des investissements, la modernisation de l’administration publique. En parallèle des projets à vocation nationale, le Maroc a pris également le temps de la réflexion et de l’analyse du volet géopolitique continental et international. Aujourd’hui, il fait l’objet de convoitises sans précédent des grandes puissances économiques. Comment peut-on décrypter une telle ascension fulgurante en deux décennies ?
Le Maroc à la croisée des géopolitiques : Redéfinition des relations et expansion économique en Afrique et au-delà
« Il est bon le jour où l’on rentre chez soi après une longue absence », telle a été la phrase marquante de l’allocution du Souverain du Maroc en réaction à la décision du Sommet d’Addis-Abeba qui marquait l’aboutissement d’intenses tractations diplomatiques amorcées au Sommet de Kigali. En 2015, 39 pays membres de l’UA sur 54 ont voté en faveur de la réadmission du Maroc, au sein de l’Organisation continentale, après une absence préjudiciable depuis 1984, qui a laissé le champ libre à l’Algérie et à sa diplomatie des valises pour y introduire le Polisario. Ce retour au sein de l’Organisation continentale, traduit également la stratégie marocaine, en amont du processus politique, qui a investi le champ économique, promu au cinquième rang, au niveau des cooptations des investissements économiques, après la Chine, la France, l’Afrique du Sud et la Turquie, ciblant, en particulier, les secteurs stratégiques dans un esprit de gagnant-gagnant. Un changement structurel de sa doctrine diplomatique, ignorant, au demeurant, la présence formelle du représentant de la milice séparatiste, et, par effet domino, la présence du Maroc, au sein de toutes les autres instances africaines, en particulier, le Comité de sécurité, celui des droits de l’Homme et de l’instance emblématique du Comité exécutif de football africain. Ce balisage diplomatique, économique et tactique a permis, entre autres, à Fouzi Lekjaa, président de la FRMF de s’ériger en bulldozer du football continental.
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La mise en œuvre du concept de coopération sud-sud, par le déploiement de sa force de frappe économique dans les secteurs sensibles et à haute valeur ajoutée (les banques, la logistique aérienne, le BTP, les télécommunications, les mines, l’automobile…) est, sans doute, une réalité géopolitique affirmée. Aujourd’hui, le Maroc est le cinquième acteur économique en Afrique, rivalisant ainsi avec la France, ce qui explique, en toile de fond, la crise silencieuse entre Paris et Rabat. Les investissements du Maroc, ont évolué, de manière exponentielle, passant de 100 millions de dollars en 2014, à 1,2 milliards de dollars en 2022, soit 43% de l’ensemble des investissements directs à l’étranger. L’Office Chérifien du Phosphate (OCP) est présent dans 16 pays africains. La conquête marocaine de nouveaux marchés en Afrique ne cesse de s’affirmer en dépit du ralentissement économique, lié à la pandémie du covid-19, à l’inflation mondialisée et aux tensions géopolitiques en Afrique. Conséquence : des changements de régimes politiques, de l’entrée de la Russie dans l’espace militaro-économique au Sahel et du rétrécissement, en peau de chagrin, de la zone d’influence de la France dans les vestiges de l’espace francophone.
La refonte du partenariat entre le Maroc et l’Union européenne a été négociée par une série de négociations de nature à redéfinir le périmètre des échanges économiques et politiques, depuis 2008, date à laquelle l’UE lui a accordé le statut avancé (une première pour un pays non européen). Cette refonte s’est imposée par un changement de paradigmes, à l’aune des bouleversements géostratégiques et la prise de conscience mutuelle (Maroc-UE) du fait que la position géographique et le poids économique du Royaume sont devenus désormais, des variables d’ajustement dans le bras de fer auquel se livrent les deux protagonistes. L’apparition des nouveaux enjeux stratégiques que recèlent les relations compliquées entre l’Afrique et l’UE (sécurité maritime, migration, lutte contre le terrorisme, aide au développement, pénétration de la Russie…) fait office d’injonctions objectives formulées par le Royaume.
Le Maroc, Carrefour d’entités géographiques sensibles (Mena, Afrique, Europe, Méditerranée), fait valoir ses atouts et propose une nouvelle gouvernance économique et stratégique plus équitable qui récuse le rôle de supplétif ou de gendarme de l’Europe du Sud. Dans ce contexte, le Maroc, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a, ainsi, résumé la politique étrangère du Royaume : « le Maro, d’aujourd’hui n’est plus le Maroc d’hier » et en creux, « les pays européens doivent sortir de leur zone de confort, des postures à géométrie variable et d’un paternalisme révolu ».
Les récentes tensions entre le Royaume et l’UE traduisent ce changement dans les rapports de force entre les deux partenaires (l’affaire Pegasus, le vote du Parlement européen condamnant le Maroc au sujet de la liberté de la presse, la réduction de moitié du nombre de visas accordés par le Quai d’Orsay aux ressortissants marocains, la vacance du poste d’ambassadeur du Maroc à Paris, les visites maintes fois annoncées puis annulées du Président Macron à Rabat). Le Maroc qualifie les positions politiques de l’UE comme étant des mesures de rétorsion ou de pression téléguidées par la France, sur fond de compétitivité en Afrique et au Proche-Orient, notamment depuis la signature des accords d’Abraham par le Royaume, aux côtés d’Israël et des États-unis. Quant à la France, elle reproche, implicitement au Maroc, sa stratégie de rupture et de sortie, par paliers, de l’emprise économique française dans un contexte géopolitique où plusieurs pays francophones se dirigent vers une sortie brutale de la sphère d’influence de Paris. La volonté assumée du Maroc de sortir progressivement de la dépendance structurelle vis-à-vis de la France, s’est mise en mouvement depuis la visite historique du Souverain en Chine, en mai 2016. Un tournant majeur de la stratégie marocaine désormais basée sur la diversification de ses partenaires économiques et sa détermination à se détacher progressivement des puissances occidentales (Amérique non comprise). Le partenariat Maroco-chinois se base, au-delà des questions économiques et stratégiques, sur un dialogue politique conduisant la première puissance économique mondiale et le cinquième membre permanent du Conseil de sécurité à revoir sa position quant à la marocanité du Sahara et à la coexistence économique intelligente en Afrique.
Quelques semaines auparavant, le souverain s’est rendu en Russie, dans le même état d’esprit, tout en restant à équidistance entre Poutine et l’oncle Sam, son allié de toujours. Une visite historique ayant sur son un agenda deux axes majeurs : le dialogue et la coopération. Le premier est de nature politique, en l’occurrence, la perspective de faire évoluer la position de Moscou sur le conflit du Sahara, tant au niveau du soutien au Polisario qu’au niveau du vote au Conseil de sécurité. Le deuxième axe revêt un caractère économique. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont progressé, depuis la visite de Poutine au Maroc en 2006, et ont atteint 850 millions de dollars en 2015 avec toutefois un déficit pénalisant le Maroc. Aujourd’hui, le volume des échanges entre les deux pays a augmenté de 42% et s’élève à 1,6 milliard de dollars, faisant du Maroc le partenaire commercial le plus important de la Russie en Afrique, en dehors des exportations d’armes où l’Algérie vient en tête.
Dans le même sillage, le Vice-président de l’Inde a effectué une visite officielle au Maroc en 2016 pour traduire concrètement les accords conclus lors du Sommet Inde-Afrique de New Delhi. Ainsi, après la Russie, la Chine et les pays du Golfe, le Maroc a pu tisser des relations stratégiques avec une autre puissance émergente, au-delà de l’UE et des États-unis. Toujours en fil rouge, le renforcement du dialogue politique au sujet de la marocanité du Sahara et la consolidation des partenariats économiques. Les échanges diplomatiques entre les deux pays se sont traduits par la mise en place de la Chambre de Commerce maroco-indienne et la participation du Souverain à New Delhi au forum Afrique-Inde. En ce sens, le Royaume espère renforcer ses relations stratégiques avec l’Inde, avec qui il affiche une balance commerciale excédentaire. En 2022, les échanges ont atteint deux milliards de dollars dont 40% d’exportations, d’engrais et d’autres dérivés de phosphate.
Loin de l’Asie, le Maroc consolide ses relations politiques et économiques avec le géant sud-américain, le Brésil. Les échanges ont atteint 641 millions de dollars au premier trimestre de 2023, avec une progression de 37% par rapport à la même période de l’année précédente. Les exportations du Maroc ont atteint 340 millions de dollars, soit une hausse de 49,3% par rapport à 2022. Quant à ses importations, elles sont stabilisées à environ 307 millions de dollars, soit une augmentation de 26%. Ainsi pour la première fois, le Maroc inverse la balance commerciale en sa faveur, passant de 20 millions de dollars de déficit à 26 millions d’excédent commercial.
Le Brésil est devenu, à son tour, l’un des principaux partenaires du Maroc, affichant un volume d’échanges commerciaux record, de plus de 3 milliards de dollars, notamment autour des produits dérivés du phosphate et de l’agro-alimentaire. Cette progression fulgurante s’est amorcée depuis la visite du Roi Mohammed VI au Brésil en 2004, lors de la même présidence de Loula Da Silva, réélu en janvier 2022. En marge des accords économiques et politiques entre les deux pays émergents, en mai 2023, les deux Chambres (Parlement et Sénat) brésiliens ont approuvé l’accord-cadre stratégique de défense. Un accord qui acte une coopération militaire, l’acquisition des produits et services de défense et des manœuvres communes d’entraînement. Au total, sept accords ont été signés, allant des investissements, des échanges commerciaux à la sphère relevant des questions de défense et d’armement, en passant par le transport maritime et aérien et la coopération judiciaire.
En considération de la déflagration du printemps arabe et ses effets collatéraux sur la sécurité au Moyen-Orient, le Maroc a rejoint, dans un premier temps, la coalition des monarchies du Golfe en réaction à la chute des régimes contestés et la montée en puissance de l’État islamique du Levant, en envoyant une escadrille d’avions de combat entre 2015 et 2019 pour venir en aide à ses frères confrontés à la menace des milices houties, soutenues par l’Iran. Sa participation fut symbolique cependant elle a suscité la colère de la rue marocaine, particulièrement après le crash d’un avion marocain et la mort du pilote. Le Maroc a fait valoir ses relations et son devoir de protéger le pays qui abrite les deux lieux saints de l’islam, de préserver ses intérêts vitaux dans la région et de réagir face à l’hégémonie iranienne et son soutien militaire aux milices du Hezbollah et celles du Polisario. Dans ce contexte, le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec le régime de Téhéran en 2018.
Le caractère meurtrier de cette attaque dont la population civile yéménite a été victime, fut dénoncé avec un bilan de 21.000 morts et près de trois millions de déplacés ainsi que 85% de la population sous perfusion d’aides humanitaires. Les nouvelles tournures de l’opération militaire ont fini par provoquer une crise dans la crise, suite au refus du Qatar d’y participer et de s’aligner sur la position de la coalition, menée par Ryad et, plus beau globalement, de par le soutien de l’Émirat aux Frères musulmans. L’Arabie Saoudite impose un blocus total et rompt ses relations diplomatiques avec Doha en 2017. Dans ce contexte géopolitique inflammable, le Maroc s’est vu contraint de se retirer de la coalition et d’apporter son assistance humanitaire au Qatar. En parallèle, le Maroc a déployé sa diplomatie et sa médiation pour parvenir à une solution politique, tout en ménageant la chèvre et le chou, notamment au regard du risque potentiel de perdre un soutien de premier plan au sujet de la marocanité du Sahara.
Plusieurs leçons ont été tirées des crises cycliques qui secouent la matrice géopolitique du monde arabe. Le Maroc a pris conscience de la sismicité et la volatilité politique conséquentes du printemps arabe (changement de régimes en Tunisie, Libye, Irak, Syrie, Yémen, Liban, Égypte et scission intra-palestinienne), du danger majeur, incarné par la montée en puissance de l’hégémonie iranienne, de la reprise du service par Al Qaïda, de l’expansion de Daech. Il s’est résolu, en conséquence, à opérer un changement à 180° de sa diplomatie arabe et sa quête de nouveaux espaces géopolitiques stables en nouant ou contractant de nouvelles alliances géostratégiques.
Maroc : Stratégies diplomatiques et virage économique face aux défis géopolitiques contemporains
En fin de mandat, le Président américain, Donald Trump prend une initiative politique qui allait bouleverser la géopolitique au Proche-Orient. Après d’intenses négociations secrètes, le Président américain a supervisé, en septembre 2020, la signature des Accords d’Abraham en actant la normalisation des relations diplomatiques entre Israël, le Bahreïn et les Émirats arabes unis à Washington. Deux mois plus tard, le Maroc et le Soudan ont enjambé le pas au clan des normalisateurs dans un objectif de réanimation du processus de paix global y compris la création d’un État palestinien. Cependant, avec le temps, chaque pays a, en réalité, conçu et interprété le cadre de normalisation selon ses propres intérêts et non à partir d’une vision partagée ou commune en vue d’une stabilité durable. Chaque pays s’est inscrit dans une stratégie politique différenciée, d’autant plus qu’aucun des cinq signataires des Accords d’Abraham n’a de frontières communes ou de contentieux territorial avec l’État hébreu.
Pour ce qui est du Maroc, sa normalisation avec Israël, reste une singularité par rapport au reste des pays du monde arabe. Le Royaume avait toujours entretenu des relations informelles, voire amicale avec l’État hébreu. D’un côté, l’existence de près d’un million de Juifs marocains résidant en Israël, ayant des liens historiques avec le pays de leurs ancêtres ou/et des rapports d’allégeance aux souverains marocains. De l’autre côté, l’existence d’une discrète coopération sécuritaire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Deux années se sont écoulées après la normalisation avec Israël, fort de constater que la diplomatie marocaine est parvenue à tirer le meilleur profit de cette nouvelle alliance politique. Plusieurs accords économique, stratégique, militaire et culturel ont été signés. La situation militaire dans le Sahara s’est nettement stabilisée. Le Polisario est militairement affaibli et politiquement isolé. Le Maroc tente de faire parvenir l’autorité palestinienne et Israël, à un accord conduisant à la cohabitation des deux États et de sanctuariser le caractère spirituel de Jérusalem-Est, contenu du statut du Comité Al Qods, dont la présidence fut octroyée au Maroc depuis le Roi Hassan II.
Sur le plan énergétique, notamment les ressources gazières, le Maroc semble se diriger vers une refondation de sa géopolitique énergétique. Deux événements majeurs ont accéléré sa stratégie de diversification de ses fournisseurs. Tout d’abord, la fermeture du gazoduc algérien qui la relie à l’Espagne via le Maroc comme mesure de rétorsion, parmi d’autres, des autorités algériennes, qui se sont aggravées par la fermeture de l’espace aérien à la navigation civile et militaire aux aéronefs du Maroc et finalement par la rupture des relations diplomatiques entre Rabat et Alger, en août 2021. Ensuite, la guerre Russo-ukrainienne qui a fortement impacté les marchés internationaux du gaz. Face à l’impact du surcoût financier qui a alourdi sa facture énergétique, le Maroc a fait le choix d’accélérer ses options palliatives en vue d’infléchir sa dépendance structurelle vis-à-vis des marchés instables et volatiles. Il a signé des accords avec les grandes firmes d’exploration des ressources gazières, notamment Sound Energy, Gas Oil et Sdx. Des sociétés britanniques pour l’exploration et l’exploitation des gisements gaziers de la région, de Tindrara à la frontière algéro-marocaine et dans le bassin de Sebou, près de Larache à l’ouest du pays. Il a également pris une option avancée par la construction de plateformes offshore au large de ses côtes atlantiques. Les prévisions évoquent l’exploitabilité de 40 puits sur 67 en 2025 et l’existence affirmée de près de 993 milliards de mètres cubes de réserves. L’enjeu est de taille, en l’occurrence, l’autosuffisance du Maroc en gaz naturel, en 2028, et le début d’exportation vers le marché de l’UE à l’horizon de 2035.
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En parallèle, le projet pharaonique du gazoduc Maroc-Nigéria a fait l’objet d’intenses négociations entre les deux pays en dépit de la concurrence du projet rival Nigéria-Niger-Algérie. Les experts en prospectives énergétiques restent prudents quant à la faisabilité des deux projets. Le projet Algérie-Nigeria a peu de chances d’aboutir compte tenu de l’insécurité et de l’instabilité endémiques au Niger, et plus globalement, face au danger de la montée en puissance des mouvements jihadistes dans la région du Sahel et de la difficulté du Nigeria et de l’Algérie, tous deux producteurs-concurrents sur le marché européen à trouver un compromis. Quant au projet Maroc-Nigéria, il est confronté à des défis de soutenabilité financière au regard des 25 milliards de dollars d’investissements nécessaires à sa réalisation et à sa faisabilité technique, du fait qu’une grande partie du gazoduc ouest devrait être sous-marine, le long des côtes de douze pays de l’Afrique de l’Ouest, avant de se transformer en gazoduc terrestre à partir du Sahara marocain. Près de 5600 kilomètres, de distance que doit parcourir ce gazoduc, nécessitant des dizaines d’années de travaux. Là aussi, l’enjeu est de taille. Les études d’opportunités et de faisabilité avancent des chiffres astronomiques de l’ordre de 30 milliards de mètres cubes de production, dont 18 milliards exportables vers l’UE et le reste pour alimenter les pays par qui transite le gazoduc.
La demande d’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), en 2017, semble s’inscrire dans sa stratégie de consolidation économique et de coopération déjà mise en place depuis le retour du Maroc à l’UA en 2016. La Cedeao et le Royaume ont signé la déclaration de Lâayoune en 2022, même s’il n’y est toujours pas membre de droit. Cependant, l’accord est toujours en mode pause, en creux, éventuellement, la perspective du statut juridique définitif du conflit du Sahara qui semble différer cette adhésion. Des États tiers usent de leur poids pour ralentir l’adhésion de la cinquième puissance économique continentale. La France, l’Algérie et l’Afrique du Sud semblent entraver cette adhésion du fait que le Maroc est le premier partenaire (Investissements, exportations, banques, télécommunications…) de l’organisation régionale.
Cependant, dans les coulisses de la diplomatie de la Cedeao, et faisant suite aux études d’impacts, certains chefs d’États de l’organisation ont confirmé l’irréversibilité du processus d’adhésion : « Nous sommes déjà allés trop loin dans le processus, il faut considérer que le Maroc est déjà membre) ».
Une annonce d’adhésion de droit se dessine à l’horizon des cinq prochaines années à l’aune des bouleversements géopolitiques de la région propres aux pays membres de la Cedeao.
Sur le front asiatique, le Maroc semble également résolu à avancer ses pions dans le jeu d’échec géopolitique complexe propre à l’Asie du Sud-Est. La diplomatie marocaine, conduite par son ministre des affaires étrangères, Nasser Bourita, tente de tisser des liens stratégiques et économiques avec l’organisation des dragons émergeants. Au cours de l’année 2023, le Maroc s’est vu attribuer le statut du premier pays d’Afrique du Nord partenaire de dialogue sectoriel, auprès de l’Association des Nations de Asie du Sud-Est (Asean) ; une avancée diplomatique majeure qui conforte le Maroc, en tant que « force stabilisatrice en Afrique et dans le monde arabe ». L’association Asean, composée de dix États en pleine croissance économique, a octroyé le même statut à des puissances émergentes. Ce fut le cas de la Turquie, du Pakistan, du Brésil, des Émirats et de l’Afrique du Sud. Un accord qui vient consolider la stratégie de la Soft Power Emerging, définie par le Maroc dont les retombées économiques prévisionnelles sont estimées, selon les experts, à 20 milliards de dollars d’exportations des produits et services du Maroc vers la zone de l’Asean, à l’horizon de 2030.
Cerise sur le gâteau, le Maroc vient d’obtenir la co-organisation de la Coupe du monde de football de 2030, aux côtés de l’Espagne et du Portugal, après cinq tentatives de candidature, seul face à des puissances mondiales. Une victoire diplomatique qui s’inscrit dans la nouvelle doctrine d’expansion, de leadership et de notoriété sous le règne du Roi Mohammed VI.
En somme, en l’espace de deux décennies, le Maroc, derrière son Souverain, son armée et son ministre des Affaires étrangères, ainsi que son collègue chargé du football, le duo, Bourita-Lekjaa, et plus globalement, à travers son réseau diplomatique déployé à l’étranger et la performance de ses entreprises stratégiques, a pu déployer et densifier sa toile, consolider ses intérêts et diversifier ses partenaires dans les quatre continents sur la base du principe équitable du gagnant-gagnant, pour faire du Royaume chérifien, un carrefour de convergences, de performances et d’attractivités. Selon les Anglo-Saxons, l’ascension du Maroc s’inspire du concept défini par Bill Clinton : « the soft power emerging diplomacy », loin des conflictualités géopolitiques et des tensions militaires.
Toutes ces accumulations de victoires diplomatiques, d’avancées économiques, d’expansion stratégique et de notoriété, font que ses adversaires classiques ou latents, remuent, ciel et terre et affichent leur hostilité et leur cynisme à travers des éléments de langage ambivalents, traduisant, par la même occasion, les symptômes de leurs échecs, de leurs politiques désastreuses, pour ne pas dire leur déclin ou leur obsolescence programmée.
En définitive, si le Maroc d’hier n’est plus le Maroc d’aujourd’hui, il ne sera sans doute pas le Maroc, a fortiori de demain et des prochaines années. Alors, bon vent au « Commandant du vaisseau amiral Maroc », qui suit son cap et sa trajectoire, avec persévérance, dans un monde anxiogène où s’affrontent le pragmatisme, dicté par les intérêts et le dogmatisme révolu qui conduit ses adeptes inéluctablement à l’impasse.
(*) Dr. Youssef Chiheb : Professeur de Géostratégie, Développement international, Université Sorbonne Paris