Le Maroc, la Palestine et la Pax Americana
Par Hassan Alaoui
Sorti de son chapeau, le plan de paix de Donald Trump, appelé non sans arrogance « deal du siècle » pour le règlement du conflit palestinien, nous laisse à vrai dire dubitatif. Il nous rappelle ni plus ni moins les dizaines d’initiatives lancées depuis 60 ans maintenant et plus pour arriver à bout d’un conflit dont le dénominateur commun est tout simplement une injustice historique, faite quoi qu’on en dise au peuple palestinien. Il nous semble prétentieux ici de décrire les caractéristiques de la longue histoire du conflit qui a commencé au milieu du siècle dernier, marquée par trois guerres majeures, en 1948, en 1967 et 1973, sans compter les soulèvements populaires du peuple palestinien écrasés dans le sang, les révoltes sporadiques, sur fond d’une répression féroce qui laisse indifférente l’opinion mondiale, divise cruellement le monde arabe, et, in fine bloque toute tentative de règlement juste et durable.
Jared Kushner, conseiller spécial du président américain et néanmoins son gendre, aura beau imaginer jouer un rôle pour favoriser un consensus autour de son plan de paix. Il aura beau également se réjouir que certains Etats et gouvernements arabes – ouvertement inféodés à Donald Trump – applaudissent des deux mains à son initiative.
Depuis plusieurs mois, en effet, une campagne de communication ciblée ne cesse de nous abreuver sur ce qui sera le « plan miracle » pour l’instauration d’une paix définitive en Palestine. Autrement dit, la mise en oeuvre d’une vision sommaire du problème concoctée entre Donald Trump et son protégé Benjamin Netanyahu et imposée aux Palestiniens. On oublie simplement qu’il y a quelques mois, pour mieux punir les rêveurs du mythe de Trump, celui-ci a supprimé le dérisoire financement accordé par son gouvernement à l’UNRWA…et donc à la Palestine. Mieux ou pis : cette vision écarte d’emblée la dimension politique, plus qu’importante, et se concentre sur la création d’un espace économique où, on le devine, se croiseraient investissements divers, dont ceux de certains pays du Golfe dans une gouvernance inédite et confiée à une banque étrangère…
Aux Palestiniens, invités à y souscrire, ne resteraient en revanche que des miettes et, sans doute, les larmes encore et le statut officiel d’assistés.
Les Etats-Unis mettraient sur la table la bagatelle de 50 milliards de dollars, suivis par leurs alliés saoudiens et émiratis. Cette vision mercantile est le propre de la politique actuelle des Etats-Unis, à l’image des fantasmes d’un Donald Trump qui élève – fidèle à sa culture – l’argent au rang d’argument de puissance et de contrainte. Le même qui, non content de mettre à genoux l’orgueil des Arabes, n’hésite pas à exhiber les chèques de 400 milliards de dollars que les dirigeants saoudiens lui ont offerts. Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne, qui rejette ce plan machiavélique, estime que « La situation économique ne doit pas être discutée avant qu’il y ait une discussion de la situation politique, et tant qu’il n’y a pas de discussion de la situation politique, nous ne parlerons d’aucune situation économique ».
Le plan de règlement que défend Jared Kushner exclut d’emblée l’aspect politique, à savoir la solution de deux Etats vivant côte à côte, un palestinien et l’autre israélien, le statut de Jérusalem annexé violemment à la manière d’un hold-up, la situation des réfugiés palestiniens éparpillés dans le monde depuis 1948 et au retour desquels le gouvernement israélien s’oppose farouchement, le blocus imposé sur Gaza, la colonisation battant son plein avec son corollaire ahurissant d’expropriation des terres palestiniennes, le sabotage du commerce et des voies de communication – aériennes, terrestres et des eaux territoriales.
Tant que la dimension politique, autrement dit répondant aux critères et aux paramètres internationaux défendus par les Nations unies, les grandes puissances et les peuples du monde entier, n’est pas respectée par Israël, aucune solution ne saura être envisageable. A contrario, le plan que défend Jared Kushner donne un chèque en blanc à Netanyahu pour sa politique expansionniste et répressive et dont l’ambition avouée est d’instituer une sorte de modèle d’Apartheid sud-africain en Palestine. Jamais un « plan de règlement » n’aura été si éloigné et contraire à la réalité que celui de cet ubuesque « deal du siècle ». Autrement dit, un net recul de toutes les initiatives des prédécesseurs de Trump et de la communauté mondiale. Il n’est pas jusqu’à des citoyens israéliens eux-mêmes qui n’aient dénoncé dans ce plan virtuel du président américain les germes d’un futur chaos et l’illustration de l’injustice.
Le Roi Mohammed VI, qui bien entendu n’a pas acquiescé à cette initiative américaine, n’en reste pas moins attentif à toute évolution concernant la Palestine. En sa qualité de Président du Comité Al-Qods et son premier défenseur, il ne cesse de rappeler à la communauté mondiale et aux peuples la nécessité impérieuse de respecter la légalité et les droits du peuple palestinien. Le Maroc se fait fort en effet d’être à l’avant-garde du combat légitime pour l’instauration et la reconnaissance d’un Etat palestinien avec ses attributions irréfragables. C’est une vocation et plus qu’une responsabilité, à vrai dire, la place et le rôle du Maroc étant souligné et mis en exergue depuis des décennies dans le principe de solidarité qu’il exprime envers les Palestiniens.
Mohammed VI, tout en s’opposant vigoureusement à l’altération du statut multiple d’al-Qods, dénonce régulièrement les atteintes à son caractère tri-confessionnel et civilisationnel et veille, à travers Bayt Mal-Al-Qods acharif à son programme et ses projets de développement. Or, au-delà de cette dimension, il y a l’engagement du Maroc au plan politique inscrit sur le fronton des préoccupations du Souverain et du peuple marocain, dans le cadre d’une solidarité renouvelée et agissante.
Le peuple marocain ne saurait en conséquence renier ses engagements de soutien indéfectible à la cause palestinienne et donc accepter tout bonnement un plan de paix américain qui offre à Netanyahu le blanc-seing rêvé pour la sacrifier sur l’autel du machiavélisme. La « pax americana » constitue de nouveau un leurre supplémentaire, une manière de fourvoyer la communauté internationale en enfonçant dans les sables mouvants toute solution possible, au motif qu’Israël serait menacé par une petite entité, réduite à une peau de chagrin et appelée la bande de Gaza…