Le Maroc, un front oublié de la Guerre civile espagnole
Par : Bouhadi Bouber
Prendant longtemps, le Maroc a été, et continue d’être, le front oublié de la Guerre civile espagnole. Chaque fois qu’il est évoqué par l’historiographie espagnole, il reste intimement lié à deux événements: le coup militaire franquiste dans la zone nord du protectorat espagnol le 17 juillet 1936 et puis la participation de milliers de Marocains aux rangs de l’armée rebelle, participation souvent entachée de brutalité et d’horreur, faisant sombrer davantage l’image du Marocain/moro dans tout ce que l’imaginaire espagnol a dû inventer d’ubuesque et d’effrayant. Mais ce qu’oublie cette historiographie, c’est que le Maroc était non seulement une autre scène/front où se déroulaient plusieurs épisodes du conflit espagnol, mais également un autre facteur qui avait aggravé, par le fiasco de la politique coloniale, la difficile situation espagnole et nui à la crédibilité de ses institutions politiques et militaires, poussant le pays encore plus vers la déstabilisation et la confrontation.
Cela dit, l’objectif de cet article est de démontrer l’intensité et la profondeur des séquelles de la Guerre civile espagnole dans tous les aspects de la vie, non seulement de la zone du protectorat espagnol, mais aussi des autres zones qui ont formé ce qu’on appelait alors le Maroc colonial: Zone d’Influence espagnole, Zone de Protectorat français et Zone internationale de Tanger
Le Maroc comme front de guerre: Zone du Protectorat espagnol
Cette zone, qui a passé sans grande résistance entre les mains des insurgés franquistes entre le 17 et 19 juillet 1936, allait subir les premiers actes de violence du conflit espagnol. Ses habitants; musulmans, hébreux et résidents espagnols, ont été témoins et victimes des atrocités des militaires franquistes. Dès le premier jour du coup d’État militaire, le 17 juillet 1936, la région est déclarée en état de guerre et isolée de tout contact avec l’extérieur. Commença immédiatement une campagne d’arrestation et l’élimination physique de ses autorités militaires et civiles restées fidèles au gouvernement républicain. Ainsi fut exécuté: le Haut-Commissaire intérimaire Álvarez Buyla, le chef de l’armée coloniale, le général Gómez Morato, le chef militaire de la région Orientale le général Manuel Romerales et de nombreux autres officiers et fonctionnaires simplement pour avoir voulu rester fidèles au gouvernement du Front populaire à Madrid. Durant la seule nuit du 17 au 18 juillet, 225 personnes ont été liquidées par les militaires de sang-froid et sans aucune instruction ou jugement préliminaire. Les instructions ont été fermes incitant à liquider, sans hésitation, toute personne susceptible de manifester son opposition aux rebelles militaires, ainsi que la persécution et l’arrestation des partisans des parties et syndicats de gauche dans la zone espagnole.
De nombreux témoignages relataient le climat de terreur que les militaires ont instauré dans la région, prélude de la rude épreuve que les Espagnols de la péninsule subiraient dans leur chair avec beaucoup de cruauté durant toute la guerre, comme cela s’est produit à Malaga et Badajoz. Des événements horribles et scandaleux qui ont provoqué une grande indignation dans la presse mondiale.
L’un des aspects de ce climat de terreur qui régnait dans la zone du protectorat espagnol au Maroc est ce qu’on appelait alors la terreur bleue « El Terror Azul ». Dès les premiers jours du coup d’État militaire, les phalangistes, miliciens d’obédience fascistes, vêtus de leurs chemises bleues, ont surgi dans les villes du protectorat pour soutenir les militaires et assurer l’ordre et la vigilance, se donnant une liberté absolue pour arrêter et assassiner leurs opposants politiques et syndicaux.
Ce sont les phalangistes qui ont mené une véritable chasse aux francs-maçons dans toutes les villes de la région, après avoir pris d’assaut leurs loges et saisi leurs documents, ce qui leur a permis de découvrir les noms de leurs membres et de les dévoiler dans les journaux en tant que traîtres et ennemis du « soulèvement national ». Cette campagne menée par les phalangistes, sellera la fin de l’existence de la franc-maçonnerie dans la région du protectorat après un demi-siècle d’efforts pour implanter ses loges et recruter ses adeptes tant au milieu de la communauté espagnole qu’au sein de la population juive et musulmane de la région.
Parmi les cibles privilégiées de cette « terreur bleue » figurent les membres de la communauté israélite marocaine. Beaucoup d’entre eux ont été persécutés en raison de leur passé maçonnique ou de leur sympathie avec des partis républicains. Certains d’entre eux ont été exécutés à Tétouan et à Melilla, d’autres ont été dépossédés de leurs biens et beaucoup de commerçants et de familles aisées ont été obligés par les phalangistes à contribuer, par leur argent et bijoux, aux souscriptions en faveur du Mouvement national franquiste.
Ce climat de terreur a poussé beaucoup de personnes (espagnoles, juives, musulmanes …) à fuir la zone et chercher refuge et sécurité dans la zone du protectorat français, la zone de Tanger, ainsi que dans la colonie de Gibraltar, sachant que cette aventure supposait un risque de mort et de représailles, vu l’extrême vigilance renforcée par les militaires tout au long des frontières de la zone pour empêcher toute opération de fuite.
Certains de ces évadés qui ont pu atteindre la zone française ont déclaré à ces autorités coloniales que la cause principale de leur fuite n’était pas leurs convictions républicaines, mais le climat de terreur instauré par les militaires dans toute la zone espagnole. Cette situation difficile dans laquelle vivait la population de la région a été aggravée davantage par les bombardements aériens et navals menés par la République pour étouffer la rébellion militaire à sa base. La plupart des villes du nord du Maroc ont été la cible des attaques des avions et des navires de guerre, causant des dégâts matériels et des pertes civiles même au sein des quartiers musulmans. Ainsi, le 18 juillet 1936, Tétouan, capitale du protectorat, fut attaquée par des avions militaires républicains. Des attaques similaires ont été menées contre Ceuta, Larache, Asilah et Melilla, semant la panique et poussant beaucoup de gens à chercher refuge dans les forêts environnantes. Et malgré le risque de nouveaux bombardements et le couvre-feu instauré par les militaires, la population de Tétouan était sortie manifester sa colère et son désarroi sur la Place d’Espagne en face du bâtiment du Haut-Commissaire. Surpris par les événements, et évitant toute confrontation avec la population marocaine en ces moments critiques au début de leur soulèvement, les militaires ont eu l’idée ingénieuse de faire intervenir le Grand Vizir du gouvernement jalifien, Ahmed El Ghanmia, pour calmer et rassurer les manifestants. En effet, le dignitaire marocain les a informés que la zone était dorénavant sous l’autorité des militaires qui vont prendre les mesures nécessaires pour la défendre et protéger sa population contre les attaques républicaines. Cette initiative considérée par les militaires comme un acte héroïque au début du soulèvement, lui a valu la reconnaissance du général Franco qui lui a octroyé la plus haute distinction accordée par l’État espagnol: La grande Laureada de San Fernando.
Parmi les effets collatéraux de la guerre civile, la création de centres de détentions dans plusieurs endroits de la zone du protectorat. Vu l’augmentation du nombre de détenus qui a dépassé de loin la capacité des établissements pénitentiaires civils et militaires, les autorités ont dû installer ces centres près des grandes villes comme Tétouan, Larache et Melilla. Dans un rapport du consul républicain espagnol dans la ville d’Oujda, nous savons qu’il y avait, dans le centre de Zelúan, près de Melilla, plus de 1.800 détenus au cours des premiers mois de la guerre, parmi eux certains musulmans et juifs marocains. Ces centres, qui ont continué d’exister sur le sol marocain jusqu’à la fin de la guerre, ont également accueilli de nombreux détenus en Espagne. Vu le grand nombre de prisonniers dans la péninsule, les militaires ont été contraints de transférer beaucoup d’entre eux aux centres de détention au Maroc où certains ont été exécutés et la plupart destinés aux travaux forcés dans les constructions civiles et militaires. Certains ont réussi à échapper de leurs camps grâce à l’aide des Marocains et se rendre dans la zone française où les consulats espagnols, toujours sous l’autorité de la république, assuraient leur retour en Espagne via l’Algérie.
Il est vrai que les victimes de cette campagne effrayante de terreur que les militaires ont instaurée dans la zone du protectorat étaient pour la plupart des résidents espagnols, et que les hébreux marocains y étaient plus exposés que leurs frères musulmans; néanmoins, les événements de la guerre civile gardèrent pour ces derniers, devenus soldats de Franco, un sort qui leur ferait payer lourdement avec la vie et le sang de beaucoup d’entre eux, et en ferait leurs victimes par excellence.
Répercussions du recrutement dans la région
Les répercussions les plus dramatiques de la guerre civile sur le Maroc sont celles vécues par des milliers de ces hommes qui sont partis, poussés par leur misère ou forcés par les militaires, à participer à la plupart des batailles de la guerre d’Espagne. Cette participation n’aurait pas eu cette dimension tragique si le coup d’État franquiste avait échoué au Maroc, comme cela a été le cas dans les grandes villes espagnoles (Madrid, Barcelone, Valence…). Mais au fur et à mesure que le soulèvement militaire gagnait en confiance et en terrain et commençait à recevoir une aide militaire allemande et italienne sur le sol marocain, et que la guerre faisait rage et ses batailles se durcissaient, les deux parties belligérantes ont réalisé que la confrontation serait longue et épuisante, situation qui exigeait la possession de ressources humaines suffisantes pour pouvoir mener la guerre sur de grands fronts.
De ce fait, Franco se trouva dans une situation avantageuse; car le Maroc lui a permis d’exploiter au maximum les ressources humaines qui étaient à sa portée non seulement dans la zone du protectorat espagnol, mais aussi dans les autres zones du Maroc (zone du protectorat français, zone internationale de Tanger, Ifni et Sahara). Durant toute la guerre civile, il a pu les utiliser sans limites et sans aucun contrôle. Car, dans cette affaire et à cette époque, personne ne pouvait lui demander des comptes, et aucune autorité marocaine n’était capable de l’empêcher de recruter ces hommes, et ce malgré les protestations du Sultan et la promulgation d’un Dahir (septembre 1936) prohibant à ses sujets de participer à une guerre étrangère.
Ainsi commença une expérience difficile et longue pour des milliers de Marocains contraints de participer à une guerre sanglante, dure et violente. Il est vrai que durant les premiers mois, le recrutement était volontaire et les gens faisaient de longues files d’attente pour être recrutés dans l’armée franquiste, profitant ainsi d’un salaire qui leur permettait de fuir la misère qui régnait dans toutes les tribus de la région. Mais quand le sol espagnol est devenu un champ de grandes batailles ( El Jarama, Brunete, Teruel, Ebro…) faisant des milliers de victimes, les gens ont commencé à réaliser la gravité de leur situation et le risque de mort imminente qui les attendait. D’autre part, commencèrent à arriver dans la région les nouvelles du nombre élevé des victimes parmi les Marocains, faisant régner parmi leurs familles l’angoisse et la peur de les perdre à jamais. Tout cela a influencé d’une manière décisive l’enthousiasme de la population qui a commencé, malgré sa situation précaire, à refuser de s’engager dans les rangs de l’armée franquiste. Ainsi, commença au Maroc la deuxième phase de recrutement caractérisée cette fois par la contrainte où les militaires n’ont pas hésité à utiliser tous les moyens à leur disposition pour recruter des hommes, allant de priver les tribus de tout approvisionnement alimentaire et leur imposer des amendes, jusqu’à la persécution des hommes dans les souks. La population ne pouvait rien faire contre ces mesures malgré ses protestations et sollicitations à l’adresse du Sultan afin qu’il intervienne pour leur éviter les affres de la guerre. À part quelques incidents étouffés rapidement et brutalement par les militaires, le recrutement des Marocains s’est poursuivi tout au long de la guerre, atteignant le chiffre de cent mille hommes; dont le cinquième laissera la vie sur les champs de bataille et leurs dépouilles dispersées dans des fosses et des cimetières à travers la géographie de la guerre d’Espagne.
La zone internationale de Tanger à l’ombre du conflit espagnol
Après la zone du protectorat espagnol au Maroc, Tanger a été la zone la plus touchée par les événements de la guerre civile; d’abord parce qu’elle est adjacente à la base des militaires rebelles dans le nord du Maroc et non loin du théâtre de la guerre en Espagne, puis, c’était la zone où la République espagnole a maintenu sa représentation diplomatique et sa présence militaire, ce qui lui a permis de suivre de près les manœuvres des franquistes et d’essayer de les neutraliser dans leur base africaine. Ainsi, immédiatement après le soulèvement militaire au Maroc, la République a ordonné le transfert de ses navires de guerre dans les eaux de Tanger, d’où ils commencèrent à bombarder les villes du protectorat et empêcher le débarquement de la redoutable Armée d’Afrique sur les côtes du Sud espagnol.
La situation s’est envenimée quand des affrontements opposèrent, dans les eaux de Tanger, les navires des deux belligérants espagnols et que les Tangérois purent observer de très près avec stupéfaction et inquiétude. Ces incidents ont pris une tournure internationale, mettant en danger la stabilité de la zone et du détroit, lorsque s’impliquèrent des navires français, britanniques, allemands et italiens, pays très concernés par le conflit espagnol et pour certains directement engagés dans celui-ci.
Ces incidents graves qui menaçaient la stabilité de Tanger, la neutralité de son statut international et la sécurité de ses habitants ont contraint son administration internationale, sous la pression de Franco, à ordonner le retrait des navires républicains en leur interdisant tout approvisionnement dans son port. D’autre part, les puissances européennes, responsables de la gestion de la zone et intéressées par sa position stratégique, commencèrent à renforcer leur présence militaire dans le port de Tanger qui a connu une activité militaire et un déploiement de navires de guerre et de sous-marins jamais vécu avant cette époque.
Un autre aspect des répercussions de la guerre civile sur Tanger a trait aux troubles et aux agitations qui se sont produits dans la ville. Chaque partie du conflit espagnol a tenté d’y renforcer son influence et d’assurer le contrôle sur la grande colonie espagnole (12.000 personnes en 1936) qui vivait sous la pression des deux belligérants. Il est vrai que la majorité des Espagnols vivant à Tanger était favorable à la cause républicaine. Mais la détermination, l’agressivité et l’organisation avec lesquelles ont agi les franquistes; sabotant les meetings des républicains, attaquant avec des explosives les locaux de leurs journaux (Democracia, El Porvenir …), intimidant, séquestrant et tuant leurs éléments les plus actifs (Antonio Ortiz, Martínez Sancho…), ont donné aux partisans des franquistes et à leur propagande une forte présence dans ladite ville. Par cette action dynamique et agressive, les militaires ont réussi également à influencer la population marocaine de Tanger et gagner à leur cause beaucoup de ses membres qui ont été utilisés dans leurs actions de sabotages, ou conduits à combattre aux côtés de leurs frères dans les fronts de guerre d’Espagne.
Zone du protectorat français; autre front de la guerre civile pour la France
Pour la France, les événements du coup d’État franquiste et de la guerre civile qui s’ensuivit avaient une particularité évidente. Cette puissance a dû faire face aux conséquences du conflit espagnol sur deux fronts différents: le premier, sur le front européen, à sa frontière pyrénéenne avec l’Espagne, et le second, au Maroc, le long de la frontière de son protectorat avec la zone espagnole. Situation par laquelle la France était le pays européen qui a vécu, le plus étroitement, toutes les vicissitudes et les épisodes de la guerre d’Espagne.
Ainsi, lorsque le coup d’État militaire est proclamé à Melilla, la France craignait la dégradation de la situation dans tout le nord du Maroc. Cela supposait une agitation des tribus limitrophes, provoquant la fuite massive des gens vers sa zone, avec toutes les conséquences que ces événements auraient sur la stabilité de leur protectorat récemment et difficilement pacifié. Pour y faire face, les autorités françaises ont décidé de prendre des mesures urgentes dont les plus importantes sont :
- le renforcement de la surveillance le long de la frontière entre les deux zones du protectorat français et espagnol.
- la surveillance de l’état d’esprit de la population « indigène » limitrophe et le fait de s’assurer de la soumission de leurs caïds et notables au Makhzen français.
- l’augmentation des effectifs militaires installés au Maroc,
- le renforcement de la surveillance des côtes marocaines par le transfert des navires et sous-marins de ses colonies en Tunisie et en Algérie,
- l’élaboration d’un plan d’occupation rapide de la zone espagnole en cas d’instabilité générée.
Pour mener à bien ces mesures exceptionnelles, le gouvernement du Front populaire français, alors dirigé par le socialiste Léon Blum, a nommé le général Charles Noguès, l’un des fidèles disciples du général Lyautey, au poste du Résident général à Rabat à la place de Marcel Peyrouton, accusé par les partis de gauche française de sympathiser avec les franquistes et de leur faciliter, au début de leur soulèvement, l’approvisionnement en carburant et le recrutement des gens dans les tribus limitrophes. Le nouveau Résident s’est vu octroyer toutes les prérogatives politiques et militaires pour faire face à la situation difficile provoquée par le coup d’État franquiste au Maroc.
Mais les événements vont prendre un aspect extrêmement grave pour la France, lorsque des avions, des navires et des sous-marins allemands ont commencé à arriver dans les ports et aéroports de la zone espagnole dans le cadre de l’aide militaire qu’Hitler avait décidé d’envoyer au général Franco. C’était cette présence militaire nazie qui a le plus alarmé les autorités françaises, car elle représentait une menace directe, non seulement de la situation coloniale de la France au Maroc, mais aussi de tout le statu quo en Méditerranée occidentale.
Une conjoncture qui mettra la France dans une position de vulnérabilité au cas d’un conflit européen ou mondial.
Dans le but de faire pression sur les autorités militaires à Tétouan, et profitant de l’exécution de ces derniers d’un sujet français d’origine espagnole nommé Aguilar, les autorités françaises de Rabat, en concertation avec le sultan Sidi Mohammed, décidèrent, en septembre 1936, la promulgation de deux Dahirs stipulant la fermeture des frontières et l’interdiction de toutes les transactions commerciales entre les deux protectorats. Cela a créé un climat de tension qui s’est traduit par une série d’incidents et de crises très graves qui ont failli aboutir, à l’automne 1938, à un affrontement entre la France et le général Franco au Maroc. Les deux parties ont concentré, le long de leurs frontières et de manière alarmante, leurs forces et matériels militaires. Et malgré la guerre, le Général Franco n’a pas hésité à rapatrier un grand nombre de ses soldats de l’Espagne de peur d’une attaque française aux conséquences graves pour sa présence au Maroc et son avenir en Espagne.
Outre cette situation de tension politique et d’escalade militaire, la zone du protectorat français a dû faire face à l’afflux de nombreux Espagnols fuyant les horreurs de la guerre civile. Pour y arriver, ils empruntaient deux itinéraires: le premier, passait par l’Algérie française et traverse les villes d’Oujda, Fès, Meknès, Rabat pour atteindre la ville de Casablanca. Le deuxième arrive directement d’Espagne par mer, en direction des ports de la zone française. Mais c’est la ville de Casablanca et son port qui ont supporté le plus gros des répercussions de cet afflux de réfugiés espagnols qui venaient parfois directement de l’Espagne empruntant la ligne aérienne « Air France » qui reliait Alicante à Casablanca, et la majorité arrivait par voie maritime, certains avec leurs familles, d’autres cachés dans des bateaux étrangers qui transitaient par les ports espagnols. Un autre phénomène qui a perturbé gravement l’activité du port de Casablanca est l’arrivée d’un grand nombre de navires républicains, dont de grands pétroliers et des navires de guerre fuyant l’insécurité des ports espagnols et les attaques de la marine franquiste qui n’hésitait pas à les persécuter près des côtes marocaines.
Tous ces événements ont créé une situation d’instabilité dans la ville du Casablanca, obligeant les autorités françaises à prendre des mesures suivantes :
- Désarmer tous les réfugiés, puisque beaucoup d’entre eux débarquaient avec leurs pistolets,
- Autoriser leur installation dans les villes loin des frontières avec la zone du protectorat espagnol avec engagement de respecter la neutralité concernant le confit espagnol,
- Garantir la sécurité des navires espagnols amarrés dans le port, par le renforcement de la flotte française.
D’autre part, la colonie espagnole qui résidait dans la zone du protectorat français au Maroc (environ 23.000 en 1936, la moitié vivait à Casablanca) ne resta pas à l’abri des événements de la guerre qui ravagea son pays. Dès le début du conflit, elle fut soumise à la pression des militaires qui savaient qu’elle était majoritairement favorable à la cause républicaine. Dans leurs diverses activités pro-républicaines (meetings, collectes des fonds et recrutement des volontaires) dans les villes de Casablanca, Rabat, Fès, Meknès, les membres de la colonie espagnole ont trouvé un grand soutien de la part de la colonie française, principalement les sympathisants des partis et syndicats de gauche devenus très actifs après l’avènement du gouvernement du Front populaire en France, très favorable à la République espagnole.
Mais ce qui intéressa les militaires franquistes dans la zone du protectorat français, c’était le recrutement de nombreux Marocains, moyennant un réseau de recruteurs répartis dans diverses tribus. Cette opération a entraîné un afflux massif d’hommes de diverses régions: Souss, Rhamna, El Haouz, Doukkala, Rharb, défiant les instructions du Sultan et des autorités coloniales françaises qui leur interdisaient de rejoindre l’armée espagnole sous peine d’emprisonnement et de lourdes amendes. Cependant, étant donné l’état de misère, aggravé par la politique coloniale et par la sécheresse qui sévit alors dans le pays, les gens n’eurent d’autre choix que de saisir cette opportunité de survie.
Ce sont les répercussions les plus évidentes de la Guerre civile espagnole qui ont eu un impact direct, parfois violent et brutal, sur le Maroc et ses habitants. Il est vrai qu’une telle violence n’a pas atteint ce que le peuple espagnol a vécu une fois la guerre installée dans son pays, cependant, la zone du protectorat espagnol au Maroc a été la première à expérimenter la brutalité et l’oppression des militaires qui ont forcé des milliers de ses hommes à se convertir en soldats, et par conséquent victimes dans une guerre étrangère. Dans la zone du protectorat français et la zone internationale de Tanger, les séquelles du conflit espagnol ont créé une situation de tension qui a altéré les cours de ses événements, et obligé ses autorités coloniales à durcir encore plus leur politique coloniale et refuser toute concession aux Marocains par peur de fragiliser leur contrôle et leur domination sur le pays.