Le nouveau modèle de développement : le timing, la substance, le message et la force tranquille
Par Kamal F. Sadni
Tant attendu, le nouveau modèle de développement (NMD) est rendu public. Ambitieux mais réaliste, il fait la synthèse des politiques suivies jusqu’à présent ; un état de lieu sans complaisance ni état d’âme. Cependant, il nourrit, en même temps, l’espoir de voir cheminer sérieusement vers le développement et le progrès d’un pays qui a des potentialités énormes qui font rêver.
Le NMD se fixe une date butoir, celle de 2035 afin de réaliser les objectifs escomptés. Théoriquement, on est en droit d’être optimiste. A l’instar des différentes réalisations stratégiques initiées, depuis les années 2000, le NMD est la résultante d’une démarche participative, synonyme de considération pour les acteurs participants et de responsabilité pour tous les autres intervenants.
Le modèle consacre une sorte de trilogie que les auteurs appellent ‘pluralité’, ‘inclusion’ et ‘transmission’. Un processus cohérent qui traduit une vision tournée vers l’avenir. Mais un avenir qui capitalise sur les progrès réalisés dans le passé tout en veillant à ne pas répéter les lacunes quant aux dysfonctionnements enregistrés et qui auraient pu être évités.
Si bien que les réformes en saccade réalisées avec patience, persévérance et détermination doivent être saluées. Elles auront, à divers niveaux, atteint la plupart objectifs escomptés, en dépit de certaines déceptions dues aux facteurs de résistance, de nonchalance, ou carrément d’indifférence de certains acteurs politiques, économiques et sociaux.
Des déceptions qui peuvent être identifiées dans ‘le manque de cohérence verticale entre la vision de développement et la faible convergence horizontale des politiques publiques annoncées’ ; la cadence de ‘la transformation structurelle de l’économie’ ; l’errance du service public entre la volonté de performance et les limites des moyens et la perception d’une certaine ‘insécurité judiciaire’ causée par le décalage entre certaines dispositions juridiques en vigueur et l’évolution de la société.
Et pourtant les changements sociaux ont été pris en compte dans la conception des premières réformes. La vitesse qui a propulsé les différentes transitions a toutefois plongé certains acteurs dans la panique. Ils ne s’attendaient pas à une telle volonté et envergure de la part de la plus haute autorité du pays soucieuse de brûler les étapes et de s’inscrire dans le Nouveau Millénaire avec des arguments solides et, à leurs têtes, la confirmation haut la main de la légitimité des institutions politiques portées par une Monarchie qui épouse son temps en étant ouverte, à l’écoute des attentes sociales et garante de la stabilité du pays et de la cohésion de la société. Une société plurielle qui se nourrit dans (et par) la diversité.
Le Nouveau modèle de développement : des ambitions légitimes dans une société en marche.
La quintessence de l’écoute permanente des attentes sociales et des revendications politiques a favorisé et permis la réforme constitutionnelle de 2011 et a fait avancer le pays sur la voie de la modernité, sans perturber les fondamentaux qui font sa singularité par rapport à d’autres expériences démocratiques dans le voisinage immédiat.
Et le NMD de le souligner sans langue de bois ou habillage linguistique qu’il ne s’agit pas d’un ‘mode d’emploi’ avec des arrière-pensées politiciennes ou partisanes. Le NMD est l’émanation de la volonté royale et répond parfaitement aux impératifs de l’organisation des pouvoirs que la constitution définit de façon claire et sans équivoque. A l’instar de l’initiative nationale du développement humain (INDH) de 2005, le NMD place ‘l’humain au cœur des priorités des politiques publiques et en fait le bénéficiaire de la marche du développement’.
Le NMD se fixe des objectifs à l’horizon de 2035 avec le doublement du produit intérieur brut, l’éradication de l’analphabétisme à plus de 90%, principalement dans le cycle primaire, l’amélioration des ressources humaines en matière de santé pour être au diapason avec les normes de l’Organisation mondiale de la santé, l’amélioration de la parité homme-femme et la mise à niveau de services publics de façon à ce qu’ils répondent aux ambitions de développement et aux attentes des citoyens.
L’Etat des lieux étant fait, des consultations les plus larges possibles avec tous les intervenants et autres acteurs sociaux parachevées, et délais impartis à la réflexion respectés, la Commission du NMD en arrive à proposer ‘une nouvelle doctrine organisationnelle’ basée sur ‘la complémentarité entre un Etat fort et une société forte’.
En fait, la Commission prône une sorte de contrat social définissant les obligations et les devoirs des acteurs (acteurs publics, acteurs privés et autres acteurs) selon une vision qui détermine les domaines d’intervention de chaque acteur dans l’esprit de la responsabilité et de la clarté requises. Un contrat social qui se ressource dans les principes de l’équilibre et de la cohérence qui permettent au système de fonctionner et faire face aux dérapages intranationaux (et internationaux) ; ces derniers pouvant être des facteurs de nuisance indésirable à la marche du développement souhaité.
La Commission recommande des choix incontournables capitalisant sur l’accélération des réformes en cours, tenant compte des nouvelles réalités engendrées par la Covid-19, ou celles à survenir dans le futur. Les réformes ambitieuses doivent cependant veiller à ce que les secteurs stratégiques à l’économie tels que l’agriculture et le tourisme reçoivent plus d’attention, car ancrés dans les principes de souveraineté et de résilience. Tout cela ne saurait atteindre les objectifs escomptés sans la valorisation et l’enrichissement du capital humain de façon à réaliser ‘le Maroc des compétences’.
Les secteurs de l’éducation et de la santé doivent recevoir la même attention avec le renforcement du secteur public et la participation responsable du secteur privé, l’amélioration de la qualité du service et la valorisation des ressources humaines.
Le NMD améliore la dimension inclusion mais aussi la dimension intégration ; les deux peuvent se réaliser par l’accélération de la centralisation et la déconcentration dans les domaines de l’organisation administrative des territoires, la simplification de la gouvernance et l’aménagement urbain et de l’habitat, la protection des ressources naturelles et de la biodiversité et le secteur de l’eau. En somme l’accéleration du processus la régionalisation avancée.
La mise en œuvre du nouveau modèle de développement entre dans le cadre d’une conception d’ensemble porteuse d’une vision royale cohérente, amitieuse et réaliste. Deux outils de mise en œuvre sont à même d’accompagner cette vision, en l’occurrence un ‘Pacte National pour le Développement’ et un ‘Mécanisme de suivi’ à ‘l’impulsion des chantiers stratégiques’ dédiés au NMD.
Le NMD traduit une vision globale qui dépasse les impératifs du développement intranational. Il consacre l’ouverture du Maroc sur le monde. Une ouverture qui remonte aux premières années de l’indépendance à travers des choix stratégiques qui ont évolué avec le temps.
Mais ce modèle est plus intéressant de par sa philosophie qui réside dans la continuité -mais avec la diversification des partenaires- et l’expression légitime du pays d’être un acteur important sur l’échiquier géostratégique régional et international en tant que promoteur du codéveloppement et de la prospérité partagée.
Il va sans dire que le NMD sera étudié par les différents partenaires (et adversaires) pour en évaluer la substance, les chances de réussite et (pourquoi pas ?) les opportunités d’accompagnement qu’il offrira maintenant que la dimension gouvernance (et justice) est un élément essentiel dans toute l’architecture des réformes introduites. Un accompagnement dans le respect de des fondamentaux institutionnels du pays et de ses équilibres intranationaux fédérateurs.
Le Nouveau modèle de développement : une ouverture sur le monde et une sérénité en apothéose
Le NMD est observé par les partenaires étrangers du Maroc. Un constat d’emblée : la méthode, le timing et la cible. La méthode est solennelle. Elle consacre l’engagement des intervenants et la démarche à suivre. On n’est plus dans la cacophonie des conjectures et des jonglages de savants apprentis sorciers. Le temps presse et le pays doit relever des défis de différentes facettes et faire face aux feux croisés de toutes parts. Après la présentation des grandes lignes devant le Souverain, le NMD est porté à la connaissance du public.
Le timing ensuite est on ne peut plus révélateur. Tout d’abord, le pays est sujet à des attaques émanant d’adversaires connus et de partenaires ‘face de Janus’. On n’apprécierait pas qu’il veuille se prendre en charge. On doute de sa capacité à se développer et à progresser sans diktat ou absorption de modèles tout faits. On n’apprécierait pas non plus que ses institutions séculaires soient le socle de son unité, sa pérennité et sa stabilité. Le pays aura relevé tous les défis possibles, notamment ceux résultant de desseins de morcellement ciblant non seulement les provinces du sud, mais d’autres régions, dont le Rif, à travers une lecture biaisée (et cynique) de l’histoire.
De même que des tentatives de créer du désordre sur les frontières de l’Est, ou celles de vouloir consacrer le fait colonial à Ceuta ou Melilla n’en finissent de fourmiller. A la faveur des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de l’information, des forces obscures s’érigent en politicologues de service ou d’objecteurs de conscience pour semer la zizanie dans les esprits d’une population dont les armes de combat sont dérisoires – elle est vite manipulée et induite en erreur.
Enfin la cible. Elle vise les fauteurs de trouble sur le plan intérieur. Certes les revendications économiques et sociales sont légitimes, mais il y a un Etat à l’écoute. Il lui appartient de les examiner et de les insérer dans les programmes de développement intégré selon une vision verticale et horizontale en fonction les priorités et les moyens disponibles. Les revendications seront satisfaites sans entrer dans des considérations politiciennes, partisanes ou élitistes. Si bien que le NMD se fixe une date butoir 2035.
Et ce n’est pas le fait du hasard que le NMD est présenté avant les prochaines échéances électorales. Les gouvernements qui seront composés et les forces politiques et syndicales, quels que puissent être leurs compositions ou poids futurs sur l’échiquier politique, économique et social, se doivent d’assimiler ce modèle et d’élaborer les programmes qui puissent en faciliter la mise en œuvre.
Les atouts du Maroc sont réels. Ils permettent au pays d’offrir des opportunités aux acteurs nationaux et intranationaux pour peu qu’ils en saisissent et la philosophie et la portée. Ils s’inscrivent dans la continuité et certains sont plus tangibles que ne le laissent apparaître les circonstances actuelles. Les forces politiques internes peuvent s’identifier à des choix extérieurs qui les confortent philosophiquement (et psychologiquement), mais elles doivent aussi être conscientes que l’intérêt premier est de servir leur pays et être en symbiose avec les valeurs de leur société. Militantisme, oui, mais observation des visées belliqueuses de leurs sources d’inspiration doctrinale, idéologique ou philosophique.
Les propositions de réforme salutaires sont les bienvenues, mais les tentations de tout remettre en cause ne sont pas salutaires. Le nouveau modèle de développement rencontrera sans doute des écueils ; il faudra faire en sorte que parmi ses écueils il n’y ait pas ces tendances au pessimisme qui n’en finissent pas de faire des émules, qui brassent large et qui, comble d’ironie, paralysent la société.
La mise en œuvre de NMD nécessite la mobilisation de ressources financières importantes. La plupart viendront dans un premier temps de l’Etat et, ensuite, du secteur privé. Ce processus en deux temps ne sera viable sans la consolidation de la stabilité politique (déjà acquise), la paix sociale, l’engagement des différents acteurs à ne pas sombrer dans l’attentisme ou le feedback tardif.
En somme, le champ est ouvert pour toutes les initiatives qui s’inscrivent dans le cadre de l’esprit du NMD. Mais elles doivent être audacieuses et non pas fantaisistes, prometteuses et non pas une hélice à brasser du vent. Or plus réconfortantes seront les ressources psychologiques pour le triomphe de l’esprit du civisme garant, à toute épreuve, de la citoyenneté véritable.