Le nouvel ordre
Par Hassan Alaoui
La diplomatie marocaine semble particulièrement à pied d’oeuvre depuis le début du mois d’avril, concentrée sur le front arabe. Le Roi Mohammed VI, après avoir reçu, fin mars, le Roi Abdallah de Jordanie, a dépêché le ministre des Affaires étrangères au Koweit, en Arabie saoudite et à Oman notamment, porteur d’un message dont on pouvait soupçonner qu’il concerne a priori la situation dans le monde arabe. On peut s’interroger dans l’immédiat sur cette mobilisation, sans pour autant nous avancer avec certitude sur ses motivations.
De l’Atlantique au Golfe, la situation géopolitique n’a jamais été autant brouillée, conflictuelle voire explosive. Les événements qui se succèdent au Moyen Orient ont désormais cette caractéristique qu’ils prennent de court les gouvernements et les responsables arabes, quand ceux-ci ne les provoquent pas. Exogènes, mettant en jeu des forces étrangères, notamment des puissances, ils nous montrent en revanche la complexité et la profondeur d’un monde arabe déchiré, soumis aux jeux d’influences, devenu le théâtre d’une nouvelle guerre froide, ou d’une guerre tout court par procuration.
La certitude se fait, de plus en plus forte que le président américain, Donald Trump, imprégné de son fantasme biblique, flanqué de ses brillants conseillers et en collision avec Benyamin Netanyahu, sorti vainqueur et renforcé du dernier scrutin électoral du 9 avril, entend mettre en oeuvre son plan diabolique de rayer de la carte la Palestine telle qu’elle existe dans ses portions territoriales réduites à Gaza. Autrement dit, il donne un blanc-seing franc au premier ministre d’annexer tout simplement la Cisjordanie et, à terme, d’annihiler jusqu’à l’identité nationale des Palestiniens, réduits dans une bande apparentée à ce qu’on appelle une peau de léopard. Tant et si bien que tous les accords – nous disons bien tous les accords – qui ont été signés, depuis maintenant quarante ans, deviennent caducs, nuls et non avenus par la volonté d’un Netanyahu plus colonialiste que jamais et de son mentor américain, résolument antipalestinien. La fameuse résolution 242, votée par les Nations unies au lendemain de la « guerre des 6 jours » de juin 1967 enjoignant à Israël de se retirer des territoires conquis, notamment de la Cisjordanie, les accords laborieux d’Oslo de 1993, la signature solennelle qui les a actés à Washington devant le président Bill Clinton en septembre de cette même année, sont à présent ni plus ni moins jetés aux calendes grecques. Avec ce résultat qu’ils plongent le peuple palestinien dans le désarroi total, à la barbe des dirigeants arabes engoncés dans leur totale indifférence et d’une Ligue arabe devenue une coquille vide.
Trump, en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël a enfoncé le clou, son prochain « plan de paix » pour la Palestine – qui réduit celle-ci à « des populations » et non un peuple-, qui rejette la solution de deux Etats appelés à cohabiter, précipite cyniquement la région dans le gouffre de la guerre. La Ligue arabe est tétanisée, la communauté mondiale plus que passive. Le peuple palestinien se sent plus que jamais abandonné au nom d’un « réalisme » inédit qui voit la solidarité traditionnelle des pays arabes s’effilocher.
Force nous est de constater que jamais déliquescence politique n’a été aussi effarante dans l’histoire des pays arabes depuis quelques années. La tragédie irakienne, provoquée par un certain Georges W.Bush, en 2003 n’a pas encore sorti l’Irak de sa destruction alors que la Syrie panse ses blessures abyssales. La tragédie, comme un feu de paille, s’est répandue pour frapper la Libye devenue maintenant le terreau où prospèrent les Jihadistes de toutes sortes, servant de monnaie d’échanges entre les puissances régionales, les unes soutenant le général Haftar, nouvel « héros » de l’est , les autres le chef d’Etat légal, reconnu par la communauté mondiale, Serraj fragilisé surtout par les atermoiements. Ce qui se passe en Libye est proprement une réplique, un des remakes auxquels nous avait habitués, autrefois, la rivalité américano-soviétique des années illustrant ce qu’on appelait les « guerres par procuration », sauf que de nos jours, il ne s’agit pas seulement de grandes puissances, mais d’Etats régionaux, moyens qui, non contents de posséder gaz et pétrole, de déployer leur puissance financières sur les places de New York, de Londres ou Paris, se découvrent des vocations militaires et n’ont de cesse de se surarmer.
La Libye est aujourd’hui le miroir grossissant qui achève de nous convaincre que le monde arabe est en déperdition. Huit ans après la chute désastreuse du régime de Mouâmar Kadhafi, dictateur de son état, la configuration complexe dessinée par l’occupation coloniale, sur la base d’une agrégation tribale et ethno-culturelle ne tient plus, elle saute. Mais le point nodal restera bien entendu le pétrole et le gaz , les immenses gisements qui réveillent les appétits, font courir les uns et les autres et notamment le général Haftar, « maréchal » chamarré qui s’est déjà emparé des gigantesques puits du Croissant, lesquels produisaient jusqu’à 500 000 barils de bruts et faisaient la fierté de la Libye.
C’est aussi un « champ de mines » symboliques pour l’Arabie saoudite et l’Egypte qui sont à la manoeuvre pour pousser Haftar et ses troupes à la guerre, pour Qatar, devenu acteur malgré lui dans une scène marécageuse qui soutient le « régime légal », pour la France qui lorgne les richesses pétrolières, mais ne sait à quel saint se vouer, un casse-tête pour Antonio Guterres qui vient d’y effectuer une visite, le 5 avril dernier, mais voit son projet de « conférence unitaire » voler en éclats, enfin pour les Etats voisins, dont l’Algérie en pleine décomposition et le Maroc qui surveille comme une vestale ses frontières du sud-est, notamment dans ce Sahel transformé en « no man’s land » et surtout en guêpier où se déploient des mouvement, déstabilisateurs comme le polisario, al-Qaïda, Boco Haram et autres groupes terroristes.
Immense espace lézardé que ce monde arabe qui compte quelque 21 Etats au bas mot, traversé par les appétits, divisé et objet des manipulations grossières. Dans son discours, prononcé en avril 2017 à Riad, à l’occasion du Sommet des pays du Golfe, le Roi Mohammed VI , tout à sa lucidité, perspicace et réaliste, a dressé le tableau des menaces qui pèsent sur le monde arabo-islamique et des instances qu’il convenait de mettre en oeuvre, autrement dit des mécanismes de prévention, une conscience proactive.