« Le pacte de Marrakech » à l’image de la migration: entre espoir et désillusions
Par Sarah Boukri
A Marrakech, le lundi 10 décembre, un grand nombre de pays ont adopté le Pacte mondial sur les migrations communément appelé « le pacte de Marrakech ». Un document sujet à controverses, au point d’avoir fait éclater la coalition gouvernementale belge.
Ce document s’appuie notamment sur la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants de 2016. Il y a environ 258 millions de migrants et personnes en mobilité dans le monde, soit 3,4 % de la population mondiale. La ligne directrice du pacte est que l’immigration va connaître une croissance forte et certaine. Les États signataires sont appelés à faire de leur mieux afin qu’elle se déroule dans les meilleures conditions possibles.
Le phénomène migratoire ne devant plus être perçu et vécu d’une manière négative, le document comporte 23 objectifs qui s’organisent autour de deux axes majeurs, le premier est celui de garantir une plus grande sécurité aux migrants et le deuxième concerne les politiques d’accueil qui devraient être plus « respectueuses »
Si certains courants dits populistes proclament haut et fort que le pacte crée un droit à l’immigration et qu’il menace de ce fait la souveraineté des Etats, d’autres en revanche dénoncent le caractère non-contraignant du pacte qui laisse, bien au contraire, le droit aux Etats de mettre en place leurs propres politiques migratoires en toute liberté dans le respect total de leur souveraineté.
Cependant, ce qu’il faudrait relever, c’est que sans ce caractère peu contraignant, le pacte n’aurait pas eu un tel succès et son adoption aurait été freinée. La preuve en est que, malgré l’absence de clauses contraignantes, plusieurs pays comme les Etats-Unis, Israël, l’Australie, la Suisse ou encore la Hongrie et la République Tchèque, pour la plupart sous la pression de leurs oppositions respectives, ont refusé de prendre part à ce pacte, qu’en serait-t-il s’il comprenait des clauses plus contraignantes ?
Aujourd’hui le pacte est adopté et la question primordiale qui se pose concerne tout simplement la suite qui y sera donnée. Le pacte n’étant pas une finalité en soi mais plutôt un moyen et le début d’un long chemin qu’il reste à parcourir.
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Nous ne pouvons pas parler du pacte et de sa mise en œuvre sans prendre en compte un élément politique interne aux états mais qui a des répercussions non négligeables sur les politiques nationales et internationales, cet élément n’est autre que la montée du populisme qui nourrit et se nourrit des peurs et craintes, souvent fantasmés, de l’autre.
Si des pays ont une culture d’accueil et une politique migratoire avancée, d’autres sont au tout début du chemin. De ce point de vue, Il apparaît clair que de nombreux gouvernements peineront à mettre en pratique les mesures stipulées dans le pacte. Les contraintes électorales prenant parfois le dessus sur la mise en place de politiques courageuses, les dirigeants se contenteront pour l’instant de mesures « légères » pour éviter de « choquer » leur électorat.
Faudrait-il pour autant être pessimiste ? De mon point de vue, non, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, même les pays absents à Marrakech sont pour la plupart des pays qui ont contribué à la réflexion et à l’élaboration du document et qui n’ont finalement pas procédé à une ratification formelle.
Ensuite, le pacte pose un cadre de référence nécessaire et jusque-là manquant pour traiter la question migratoire et ses différents aspects humain, économique, sociale, politique et sécuritaire.
Enfin, il s’agit d’une feuille de route ambitieuse dont la transposition au niveau nationale prendra peut être du temps mais restera, néanmoins, possible et envisageable.
Toutefois, le pacte reste un document formel fait par tous pour tous, ce qui est certes un avantage non négligeable, car cela permet d’apporter un certain consensus. Mais il est utile de rappeler que la question migratoire ne peut être sérieusement abordée sans la prise en compte de deux éléments transversaux qui sont la dimension humaniste car au-delà des chiffres il s’agit avant tout de vies humaines et puis la nécessité d’un traitement régional voire local de cette question puisque, comme nous le savons, a chaque pays ses spécificités politiques, culturelles, géographiques, religieuses, etc. La création de l’Observatoire africain pour la migration et le développement va dans ce sens car, comme l’explique le MAECI Nasser Bourita, il vise à, « écrire notre propre histoire de la migration africaine ».
Le rôle de la société civile dans toutes ses composantes et des médias apparaît plus que jamais important et indispensable. D’une part afin d’œuvrer pour le changement de la perception négative du phénomène migratoire et le ramener à sa réalité qui est celle d’un phénomène naturel qui a toujours existé et qui a très fortement contribué au développement de la société humaine de tous temps et ceci dans le but de contrer les propagandes populistes qui « diabolisent » la migration et stigmatisent les migrants et d’autre part pour faire pression sur les gouvernements pour la mise en œuvre effective des mesures énoncées dans le pacte pour le bien de tous.