Le projet de loi n°03.23 : Une réforme pénale freinée par des oppositions internes

La réforme de la procédure pénale au Maroc, visant à renforcer la transparence et à moderniser le système judiciaire, soulève de vives inquiétudes. Bachir Rachdi, président de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption, ainsi que le ministre de la Justice, M. Abdellatif Ouahbi, ont exprimé des réserves sur l’efficacité du projet. Entre lacunes sur la lutte contre la corruption et tensions sur l’application des réformes, la voie reste semée d’embûches.

Le projet de loi n°03.23, visant à réformer la procédure pénale au Maroc, suscite de vives préoccupations. Si l’intention de moderniser le système judiciaire est évidente, des critiques sur la prescription des crimes de corruption, la saisie des biens mal acquis, et les droits des citoyens montrent des failles. La réforme reste en suspens face aux divergences entre les acteurs concernés.

L’un des points les plus controversés est la prescription des crimes de corruption. Le projet de loi prévoit une limitation du délai de poursuite, ce qui pourrait permettre à des actes de corruption de rester impunis simplement en raison de leur découverte tardive. L’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) recommande que la prescription commence à courir non pas à partir de la commission du crime, mais de sa découverte, afin de garantir que des infractions graves ne soient pas couvertes par des délais trop courts.

De plus, l’INPPLC s’inquiète à propos de l’article 3, qui restreint l’initiation des enquêtes sur la corruption à certaines institutions administratives. Cette limitation prive la société civile et les citoyens de leur droit de signaler des actes de corruption, ce qui va à l’encontre des engagements constitutionnels et internationaux du Maroc. L’Instance considère que cette restriction pourrait entraîner une lenteur dans le traitement des affaires de corruption, car elle concentre les pouvoirs entre les mains des autorités publiques.

Le projet de loi ne permet la confiscation des biens mal acquis qu’après une condamnation définitive, ce qui peut être un frein à la restitution des fonds détournés. L’INPPLC propose une saisie préventive des biens dès l’ouverture d’une enquête, afin d’éviter que les suspects ne dissimulent ou transfèrent leurs biens avant même d’être jugés. Une telle mesure garantirait une meilleure efficacité dans la lutte contre la corruption et les crimes financiers.

Le ministre de la justice reste sceptique

Les débats autour de la réforme sont également marqués par le scepticisme de M. Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice. Lors d’une journée d’étude au Parlement, il a exprimé ses doutes quant à la possibilité de voir cette réforme aboutir, en raison des divergences persistantes entre son ministère et l’Association des barreaux du Maroc, notamment concernant le projet de loi sur la profession d’avocat. Il a même évoqué la possibilité de retirer certaines parties de la loi, particulièrement celles relatives à la profession, qui restent actuellement bloquées.

Un autre aspect important de la réforme est la question de la détention provisoire, notamment la présomption d’innocence. M. Ouahbi a souligné l’importance de ne pas réduire indûment les peines avant qu’un jugement définitif de culpabilité ne soit rendu. Il a également abordé la question de la responsabilité des juges dans la prise de décisions concernant la détention provisoire, en veillant à respecter les droits des individus et à prendre en compte les implications sociales et communautaires de ces décisions.

Le ministre insiste sur la nécessité de garantir que les juges ne prennent pas de décisions influencées par des facteurs externes ou populistes, mais en respectant l’équilibre juridique et les droits fondamentaux. Il plaide pour un cadre juridique qui préserve la dignité humaine, tout en restant ferme face aux violations graves de la loi.

Le projet de loi aborde aussi des questions d’éthique dans l’exercice de la justice. Le ministre fait remarquer que la justice ne peut se limiter à des décisions basées uniquement sur des critères légaux, mais doit également prendre en compte les risques sociaux et communautaires. Il appelle à la prudence lorsqu’il s’agit de la relation entre le juge et les décisions qu’il prend, afin de garantir l’équité et d’éviter les abus de pouvoir.

Enfin, il souligne que, bien que la loi sur l’exploitation criminelle et celle sur le code pénal soient des outils cruciaux, il est essentiel de veiller à leur adéquation avec les réalités sociales actuelles. Il insiste sur la nécessité de renforcer la formation des citoyens et de garantir que la réforme du système judiciaire soit en phase avec les exigences du XXIe siècle.

En somme, le projet de loi n°03.23 soulève de vives discussions. Si l’objectif de moderniser la procédure pénale et d’aligner le Maroc sur les standards internationaux est louable, des préoccupations importantes demeurent. Les critiques de l’INPPLC, les réserves exprimées par le ministre de la Justice et les demandes de révisions par les parlementaires montrent que cette réforme doit être encore affinée avant d’être adoptée. La principale difficulté réside dans l’équilibre à trouver entre la répression des crimes économiques et la protection des droits des citoyens, dans un cadre juridique qui soit à la fois rigoureux et respectueux des principes de justice.

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