Le voyeurisme sociétal au Maroc : Quand l’inaction devient la norme
CE QUE JE PENSE
Le Maroc, pays d’histoire riche et de culture profonde, où l’hospitalité et l’entraide ont autrefois défini notre culture et notre identité, est également un reflet des dilemmes auxquels sont confrontées de nombreuses sociétés modernes.
Au cœur de ces dilemmes se trouve le phénomène troublant du voyeurisme social, où des citoyens autrefois engagés deviennent de simples spectateurs passifs face à des actes d’injustice et de violence. En effet, des scènes bouleversantes d’agressions et de maltraitance se déroulent devant des yeux immobiles, posant des questions cruciales sur l’évolution de notre conscience collective. Plusieurs incidents récents ont révélé un comportement sociétal alarmant : une disposition à regarder et à documenter des actes de violence, à filmer même mais une flagrante réticence à intervenir. Cette inaction, qui semble enracinée dans l’apathie ou peut-être dans la peur, jette une ombre sur les valeurs que beaucoup considèrent comme fondamentales pour la société marocaine.
Rappelons l’affaire du jeune Badr, sauvagement agressé et laissé pour mort, qui est un symbole poignant de ce phénomène. La scène a choqué la nation non seulement à cause de la brutalité de l’acte, mais aussi à cause de l’insensibilité des témoins qui ont choisi de regarder et de filmer plutôt que d’intervenir. Cela remet en question non seulement la moralité des individus impliqués mais aussi l’état de notre société dans son ensemble. Est-ce que la peur de s’impliquer ou peut-être une certaine désensibilisation à la violence sont devenues la norme?
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Or cette tendance alarmante d’indifférence ne s’arrête pas là. La récente affaire écoeurante de pédophilie où un homme a pu commettre des actes déplorables au milieu d’une foule, sur une plage bondée, démontre une tendance inquiétante. De même, les récits omniprésents de femmes harcelées ou agressées, souvent sous les yeux d’une multitude, prouvent la montée d’un phénomène inquiétant : une société qui voit mais qui choisit de détourner le regard. D’autant plus qu’une question s’impose : où est passée notre obligation morale d’intervenir?
Peut-être que cette inaction est alimentée par une culture croissante de l’individualisme, où la priorité est donnée à la préservation de soi plutôt qu’à la communauté. Ou peut-être est-ce une manifestation d’un sentiment d’impuissance face à une violence qui semble omniprésente ? Quoi qu’il en soit, il est évident que des mesures doivent être prises pour remédier à cette apathie collective.
Par ailleurs, les médias sociaux, avec leur flux constant d’images et de vidéos, ont également joué un rôle dans cette désensibilisation. Nous sommes devenus des consommateurs d’informations, engloutissant des vidéos et des images à une vitesse vertigineuse. Cette surcharge d’informations peut anesthésier notre capacité à ressentir et à réagir, nous transformant en spectateurs plutôt qu’en acteurs actifs de notre société, atténuant notre capacité à ressentir de l’empathie face à la détresse d’autrui.
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Ainsi, le défi majeur pour le Maroc, et en fait pour de nombreuses sociétés, est de démanteler cette culture du voyeurisme et de redynamiser une culture d’intervention et d’empathie. La question reste : comment ?
Pour ce faire, il est impératif d’éduquer et de sensibiliser la population à l’importance de l’intervention active. Des campagnes nationales sur les conséquences de l’inaction, des ateliers sur les premiers secours et des séminaires sur la prévention des violences pourraient être des étapes cruciales pour commencer. Les institutions, des écoles aux lieux de travail, doivent prendre la responsabilité de créer des environnements où l’empathie, le respect et l’intervention sont valorisés et encouragés.
Il est également essentiel de renforcer la confiance en la police et en la justice, afin que les citoyens se sentent soutenus lorsqu’ils interviennent. La crainte des représailles ou de l’inaction judiciaire ne doit pas être un frein à l’intervention.
En fin de compte, la lutte contre le voyeurisme sociétal est une responsabilité collective. Chaque individu doit se poser la question : « Si je ne fais rien, qui le fera ?« . Seulement alors, la société pourra se libérer de l’emprise paralysante du voyeurisme et s’élever pour protéger et soutenir ses membres les plus vulnérables.