L’école, sanctuaire de la violence? ou quand l’Education n’éduque pas
Dossier réalisé par Souad Mekkaoui
Si l’école, depuis son institution, était un lieu sacré d’apprentissage, du savoir et du savoir être et vivre, un sanctuaire de respect et de sécurité, aujourd’hui, la violence en milieu scolaire révèle un mal-être à multiples facettes où rivalité, hostilité et vengeance sont les maîtres mots.
Il est vrai qu’il s’agit là d’un phénomène universel qui touche le monde entier, mais sa recrudescence ne cesse de prendre de l’ampleur et commence à inquiéter, au Maroc. Une question revient alors avec insistance : à qui la faute ? A défaut d’assumer leur responsabilité, les acteurs s’accusent mutuellement. Serait-ce la faute aux enseignants qui «sont des incompétents» ? Ou peut-être le corps administratif dépassé et démotivé ? Ou encore les élèves devenus ingérables ? Certainement, les parents démissionnaires ? Ou est-ce l’Etat «qui veut délibérément abêtir le peuple en tuant l’école publique qui, en plus, constitue pour lui un fardeau économique, politique et social» ? C’est dire que les établissements scolaires ne sont plus ce qu’ils étaient.
Stress, angoisse, violence verbale, psychologique et physique deviennent monnaie courante. Cette enceinte, autrefois sacrée, est à présent le reflet d’une société où l’agressivité et l’insécurité sont présentes partout : au sein de la famille, dans la rue, à l’école, dans les médias, sans dire la dose forcée des scènes violentes que rajoute l’internet. Aussi faut-il tirer la sonnette d’alarme sur le relâchement général de la discipline qui est un des problèmes les plus graves qui touche le système éducatif. C’est à croire que nous avons basculé dans un autre monde, avec d’autres règles, d’autres enjeux qui exigent d’autres rapports avec l’Autre.
Une violence qui remet tout le système en question
Vandalisme, racket, insultes, menaces, vols, armes, bagarres, gangs, extorsion, la violence se présente sous plusieurs formes à l’école. Exercée entre élèves, ou contre le corps enseignant ou administratif, elle se déploie ainsi horizontalement et verticalement. Considérée comme un comportement abject, elle est rejetée sur tous les plans éducatif, éthique et social. L’école, désormais zone de non-droit où chaque acteur se fait sa propre logique, ne reconnaît plus les rapports du collectif qui deviennent compliquées et les tensions plus fortes et plus vives au sein du «triangle dramatique» (parents, enseignants et élèves). D’ailleurs, ces dernières années, on assiste, impuissants et amers, à un renversement de valeurs qui fait de l’enseignant, autrefois respecté et admiré, l’ennemi juré des élèves.
Faut-il rappeler le choc provoqué par la vidéo mise en ligne d’un enseignant se faisant sauvagement agresser par son élève au lycée Sidi Daoud à Ouarzazate ? La vidéo avait fait, bien entendu, le buzz sur les réseaux sociaux. Le ministère de l’Education nationale a porté plainte et l’agresseur a été arrêté, le 5 novembre. Seulement deux jours après, la contagion est passée à Mehdia (Kénitra) où un jeune de 15 ans s’en est pris à son professeur qui l’avait interpellé au sujet de ses absences répétitives injustifiées . A Rabat, la police a également ouvert une enquête judiciaire à l’encontre d’un lycéen de 18 ans ayant violenté son enseignant au lycée Ibn Batouta. Le mécanisme déclenché ne s’arrêtant plus, la série noire des agressions à l’égard des enseignants se poursuit avec l’agression sauvage, à l’arme blanche, au lycée Al Houssine Ben Ali, à Hay Mohammadi à Casablanca, d’une enseignante des mathématiques, le 22 novembre.
Des actes de violence, parfois graves, commis par les apprenants se font, de plus en plus, écho sur les réseaux sociaux. Des actes inexcusables et impardonnables qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la dignité des femmes et des hommes de l’enseignement et donc au symbole du savoir dans le pays et à la sacralité de l’école qui perd son aura. Peut-on parler de cas isolés quand ces violences sont tellement nombreuses qu’il est impossible de les quantifier ? Doit-on, par ailleurs, percevoir ce phénomène désolant comme étant l’expression d’une forte hostilité aux emblèmes du savoir et de l’apprentissage ?
L’élève au centre de l’action éducative
Quiconque passe devant un établissement scolaire assistera à des scènes de violence choquantes. Insultes, grossièretés et coups sont devenus le langage courant entre enfants, collégiens et lycéens qui se défoulent les uns sur les autres. Et notre premier réflexe est de nous demander ce qui a fait que nous ayons basculé dans ce renversement de valeurs. Ces enfants ne sont-ils pas ce que nous en faisons, la rue, l’école et nous-même? Notre éducation est non seulement défaillante mais destructrice quand on voit ces enfants qui grandissent dans une société où ils peinent à trouver leurs repères. A trois, et au lieu de former des éléments performants, actifs et capables de s’intégrer dans la vie sociale, nous avons produit de jeunes incapables, irresponsables qui ont recours à la violence pour avoir ce qu’ils estiment être un droit. Tous les paradigmes et toutes les valeurs sont renversés. L’insolence est plus perçue comme épanouissement et courage, l’anarchie devient liberté et droit individuel.
Toutefois, l’éducation des enfants commence à la maison et le rôle des parents ne se limite pas à assurer aux enfants les besoins matériels et scolaires. L’enfant a besoin aussi de parents qui l’écoutent, l’orientent, le guident, dialoguent avec lui et le mettent sur la bonne voie. Des parents qui l’accompagnent et lui fournissent le soutien nécessaire. Cela dit, l’étonnement ou l’indignation doivent être supplantés par la honte parce que ce n’est que le résultat logique d’un processus, d’une politique et d’un système dont les acteurs se départagent tous la lourde responsabilité. L’enfant, à la maison, dans la rue et même à l’école, régurgite et intériorise la violence servie à longueur de journée. Les smartphones aidant, les enfants et les jeunes ne sont pas protégés contre ce qu’ils consomment, à savoir des doses élevées de scènes violentes et reproduisent ce qu’ils regardent et mémorisent. Sachant qu’ils sont la proie convoitée de prédateurs et de dealers qui évoluent autour des établissements pour servir généreusement une panoplie de drogues allant des «ampoules rouges» à la cocaïne.
L’absence de contrôle parental, dans une cellule familiale, de plus en plus fragilisée, a participé à l’accroissement de ce phénomène et l’impunité a créé un milieu favorable à son développement. Le modèle occidental, il faut bien se l’avouer, influe sur notre éducation bien que nous cherchions à nous voiler la face. En offrant aux jeunes un monde provocateur d’héroïsme dans une culture de violence, ceci stimule les consommateurs passifs qui veulent s’y identifier et adoptent la loi du plus fort. Et le boomerang ne se fait pas lent ! Nous assistons alors à une véritable propagation de la violence qui s’explique par plusieurs facteurs notamment l’environnement éducatif et social. Des enfants en perte de repères, dans un cadre où l’autorité des parents est en déclin parce que ceux-ci sont démissionnaires, pour la plupart, léguant l’éducation de leurs enfants à l’école et à la rue, une école défaillante et une société rongée par des maux multiples.
Ils se réfugient dans la délinquance ou du moins, la violence qui bat son plein, en période des examens. S’ajoutent à cela la surcharge des effectifs dans les classes, ce qui favorise le décrochage scolaire. En effet, l’inoccupation et l’inactivité font que les élèves s’ennuient et déversent leur adrénaline dans l’agressivité. Par conséquent, renforcer les activités parascolaires ne serait pas sans impact positif. Par ailleurs, il ne serait pas sans utilité de faire participer les enseignants les plus expérimentés dans le choix du contenu à enseigner, étant les mieux placés pour connaître les besoins psychologiques et scientifiques des élèves. Par ailleurs, Autre problème majeur, l’école, autrefois ascenseur social qui permettait de se tailler une place dans la société, est aujourd’hui, en panne et ne répond plus aux attentes d’adolescents issus de milieux défavorisés. Dépassés par un programme qui leur est inaccessible ou en déphasage avec leur réalité, certains élèves traînent des lacunes qui s’accumulent avec le sentiment d’impuissance voire de désespoir qui les noient. Indifférence et absentéisme précèdent ainsi des réactions violentes, d’abord, contre les camarades brillants, ensuite, contre le professeur.
La violence s’étend aussi pour toucher l’école qui le met devant son infériorité et le pousse à l’échec pour le jeter, après, à la rue. Car, il faut le dire, l’élève ne compte plus sur l’école pour réaliser ses ambitions. Nos enfants, en proie à un sérieux problème de socialisation, ne se font plus de limites. Aussi faut-il leur réapprendre qu’une fois à l’école, on est en dehors de la vie courante et donc il y a des règles à respecter. Sachant que dans des établissements scolaires, bien des fois, surveillants, professeurs et staff administratif manquent cruellement. Par conséquent, l’élève commence à traiter l’enseignant d’égal à égal quand il ne le met pas dans son viseur comme étant un rival. Quant aux parents, ils ne sont plus un symbole ni un modèle de réussite et dans ce cas de figure, les adolescents ont du mal à se projeter surtout face à des médias qui leur offrent des images décalées. Ajoutons à cela la manière dont le sujet de la violence scolaire est traitée par les moyens d’information qui participent à créer un climat de tension entre les élèves, les parents et le corps éducatif. Si bien que l’enseignant serait le signataire de toutes les tares et défaillances de notre système éducatif ! Toutefois, les nouvelles approches pédagogiques, tellement focalisées sur l’élève, ont mis dans l’ombre le maître déchu. Un sentiment d’injustice et d’aigreur s’empare des enseignants, accentué par les incidents de mépris et d’humiliation dont ils sont l’objet.
Un mal bien ancré
Il n’y a pas de doute que nous opérons un dramatique recul et la descente aux enfers, entamée depuis plusieurs décennies déjà, n’arrive toujours pas au fond. Les réformes se succèdent et s’accumulent ou se relaient sans qu’elles n’apportent aucun résultat, car notre défaillance est bien ancrée en nous. Elle est humaine. Notre système produit en démesure des diplômés qui se retrouvent dans des postes n’ayant jamais fait partie de leur vocation ni de leur programme. Ils les occupent donc par défaut afin de pouvoir se garantir un revenu fixe, à la fin du mois. Des cadres frustrés, des citoyens brisés dans leur élan dès le départ, démotivés, déchirés, dégoûtés même…, ils sont victimes d’un système dont on ne cessera jamais de dénoncer l’incohérence et l’aveuglement. Un professeur qui n’exerce pas son métier par vocation et donc par plaisir, sera doublé d’un je-m’en-foutiste pour qui le sort des élèves importe peu ou, au mieux, un malhonnête qui trouvera bons tous les moyens possibles à compenser ses manquements à son devoir (gonfler les notes, préparer à l’avance les contrôles avec les élèves qui ont la chance de faire des cours supplémentaires …).
Ces manipulations honteuses et dégradantes pour le corps professoral,sont nourries par des personnes qui sont animées plus par le gain et le matérialisme que par un esprit d’engagement. En somme, si les méthodes de travail et les réformes sont changées au fur et à mesure de la succession des gouvernements, une vision stratégique claire fait défaut et les changements s’opèrent ou plutôt sont improvisés sans qu’aucune formation préalable n’ait été programmée. Evidemment, la situation risque d’empirer avec les enseignants contractuels qui n’ayant profité d’aucune formation pédagogique et n’ayant pas d’expérience, se verront dans l’incapacité de gérer des situations de crise et de conflits avec les apprenants. Or, dans des systèmes qui se respectent, le métier d’enseignant est valorisé, à sa juste valeur, convaincus qu’il est le socle sur lequel repose l’équilibre voire l’évolution d’un pays. Au Maroc, il est à mille lieues de cette reconnaissance, a contrario, il est au bas de l’échelle.
Ajoutons à cela des blagues et des anecdotes qui en font la mascotte de la société, et des vidéos lancées sur les réseaux sociaux avec le soin, bien entendu, de ne garder que ce qui incrimine l’enseignant qu’on ridiculise et qu’on sort de ses gonds «pour qu’il ait la réaction la plus abjecte et la plus indigne d’un éducateur» ! Aussi désolant que cela puisse être, aujourd’hui, le souci numéro un de l’enseignant est de partir à la retraite indemne, l’honneur sauf. Alors ne serait-il pas paradoxal d’exiger un investissement total et un rendement irréprochable d’un professeur dont le quotidien est rythmé par le stress, le surmenage, la démotivation ? Guetter et esquiver les divers actes de violence et d’agressivité de la part des élèves a un impact psychologique et même physique qui lui enlève tout plaisir d’enseigner. Ainsi, nombreux sont les enseignants qui déversent leur rage sur les élèves à qui ils infligent violences physiques et brutalités psychologiques quand bien même ces pratiques seraient interdites par le texte de loi entré en vigueur en 1999.
Education : un placement pour l’avenir
Certes, il n’existe pas de baguette magique pour combattre la violence scolaire, entre autres fléaux qui gangrènent le système éducatif marocain, mais si épineux qu’il soit, tout problème a une solution. Et quelles que soient les péripéties politiques, nos enfants sont un enjeu formidable. Ne représentent-ils pas l’avenir ? Aussi réhabiliter l’école publique s’avère-t-il urgemment nécessaire. Il s’agit aussi de faire de l’école une société de droit avec l’instauration du respect mutuel, d’établir et de se tenir aux normes élaborées ensemble, d’utiliser le dialogue, la concertation et faire fonctionner les règlements institués. Si l’enseignement n’inculque pas au peuple des valeurs de droit, de justice et d’égalité, si les inégalités sociales continuent à creuser le fossé, si chacun de nous ne s’acquitte pas de son devoir et attend que tout se fasse par les autres, si nous continuons à injecter à nos rejetons la haine de leur pays dont l’Histoire leur est méconnue, si nous ne leur apprenons pas à apprendre avant de les abêtir par le bourrage de crâne qui leur est infligé, si on ne fait pas du système éducatif une priorité urgente et si le mal n’est pas écuré et éradiqué, nos générations iront de mal en pis et seront traînées à la dérive et à la défaillance dans lesquelles notre système éducatif sombre, de plus en plus.
En somme, une remise en question du rapport enseignant/élève et la réhabilitation du statut du maître semblent urgentes pour imposer l’ordre et gérer les comportements déchaînés des apprenants. Sauf que l’enseignant doit savoir que l’autorité ne se décrète pas par un rapport de force et de domination. C’est pourquoi il serait utile de former les enseignants en matière de psychologie de l’enfant et de communication. En plus des ressources humaines, ne serait-il pas efficient d’avoir recours à des clôtures et à un système de vidéoprotection au sein des établissements? Instaurer aussi une loi qui traite les infractions violentes dans l’enceinte scolaire et la mettre en pratique est aussi nécessaire. Les mesures répressives et dissuasives ne constituent pas la meilleure solution pour juguler le phénomène de violence. Autrement, on luttera contre la violence par la violence Dès lors, la lutte contre ce phénomène à l’école requiert une dimension participative où tout le monde sera amené à apporter sa pierre. Élèves, cadres éducatifs et administratifs, associations des parents d’élèves, société civile et autorités sécuritaires doivent contribuer à la résolution de cette problématique.n