L’économie face aux enjeux internes et externes en 2024
Face aux multiples crises qui ont secoué le Maroc en 2023, le gouvernement a adopté une loi de Finances 2024 ambitieuse et innovante, visant à atténuer les effets socio-économiques de l’inflation, de la sécheresse et du séisme d’Al Haouz. C’est ce qu’a expliqué Zakaria Firano, professeur en sciences économiques à l’Université Mohammed V de Rabat, dans une interview exclusive accordée à Maroc diplomatique. Il nous livre son analyse des mesures prises par les autorités, ainsi que les perspectives de développement du pays à moyen et long terme.
Selon Zakaria Firano, la loi de Finances 2024 a alloué un budget de 150 milliards de dirhams pour faire face à la problématique de la sécheresse, qui a affecté près de 70% du territoire national et entraîné une baisse de 20% de la production agricole. « Le ministère de l’Eau a contribué avec une enveloppe budgétaire assez importante qui permet de tracer le chemin au moyen et long termes en matière de la résolution du problème de la sécheresse et la rareté de l’eau, surtout par la politique des barrages qui sera plus expansive et également par la possibilité de mettre en place une nouvelle méthode d’innovation qui permet de résoudre le problème de l’eau potable et aussi de l’usage de l’eau dans l’agriculture », a-t-il déclaré. Il a cité comme exemples le projet de dessalement de l’eau de mer à Casablanca, qui devrait fournir 300.000 mètres cubes d’eau potable par jour à la métropole, ou encore le projet de transfert d’eau du barrage Al Massira vers le barrage El Hansali, qui devrait renforcer l’irrigation de 120.000 hectares de terres agricoles.
Une réforme de la TVA pour réduire les pressions inflationnistes
Pour atténuer les problèmes inflationnistes, on a observé également une réforme de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur certaines denrées qui sont utilisées par une large partie de la population. D’après son analyse, cette réforme vise à « éliminer la TVA sur quelques produits laitiers, les produits qui sont en lien avec l’usage écolier utilisés par les étudiants et aussi quelques produits pharmaceutiques, ce qui va permettre d’atténuer les effets inflationnistes ». Firano a rappelé que le taux d’inflation avait atteint 4,5% en 2023, en raison de la hausse des prix des produits alimentaires, de l’énergie et des services. Il a souligné que cette réforme devrait bénéficier aux ménages à faible revenu, qui consacrent une grande part de leur budget à ces produits de première nécessité.
Un autre élément important de la loi de Finances 2024 est l’enveloppe de 120 milliards de dirhams allouée sur cinq ans pour la reconstruction des régions touchées par le séisme d’Al Haouz, qui a fait plus de 3.000 morts et 100.000 sans-abris en septembre 2023. « Il y avait une allocation d’un pourcentage très important de la loi de finances de 2024 pour pouvoir suivre à la fois les projets de reconstruction et les indemnités qui sont accordées aux personnes qui ont été sinistrées par la catastrophe naturelle de la région d’Al Haouz », a-t-il expliqué. Il a ajouté que cette enveloppe devrait également servir à financer un plan de développement des régions affectées, en renforçant les infrastructures, les services publics et les activités économiques.
Lire aussi : Dette publique : Incertitudes en 2024
La politique monétaire, un levier pour la stabilité macroéconomique
À cette politique budgétaire s’ajoute la politique monétaire menée par Bank Al-Maghrib, qui a relevé les taux d’intérêt directeurs de 25 points de base en novembre 2023, portant le taux de la facilité de prêt marginal à 2,25% et le taux de la facilité de dépôt à 1,75%. Selon Zakaria Firano, cette décision vise à « réduire le processus de l’élévation du taux d’inflation à un niveau acceptable de 2 à 2,4% en 2025 ». Il a précisé que cette politique monétaire devrait également favoriser la stabilité du taux de change du dirham, qui a connu une dépréciation de 10% par rapport au dollar américain et de 5% par rapport à l’euro en 2023, en raison de la détérioration du compte courant et de la baisse des réserves de change.
Le Maroc entre innovation et solidarité
Lors du séisme, le Maroc a su faire preuve de résilience et de créativité, a estimé Zakaria Firano, c’était l’occasion pour le Royaume d’adopter une politique publique adaptée et cohérente. Il a toutefois souligné que le pays devra poursuivre ses efforts pour assurer une croissance durable et inclusive, en misant sur l’innovation, la diversification et la compétitivité de son économie, ainsi que sur la solidarité, la justice sociale et la protection de l’environnement. Il a appelé à renforcer le dialogue et la concertation entre les différents acteurs économiques et sociaux, afin de consolider le pacte social et le modèle de développement du Maroc.
Le secteur industriel affiche une forte dynamique en 2024
Selon Zakaria Firano, expert en économie et finance, le secteur industriel marocain devrait connaître une croissance soutenue en 2024, dépassant les 5 à 6%, grâce à la reprise de la demande étrangère et à la performance de certains secteurs clés, notamment l’automobile, l’aéronautique et le textile.
En 2024, le secteur industriel marocain va indéniablement contribuer à la croissance du produit non agricole, qui devrait atteindre 3,5% selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP) et la loi de Finances. Dans son commentaire, il a expliqué que cette performance était le résultat de différents facteurs, parmi lesquels le secteur automobile, qui devient le plus important au Maroc en termes de chiffre d’affaires et de valeur ajoutée, avec plus de 150 milliards de dirhams prévus pour 2024. Ce secteur bénéficie de la présence de grands groupes internationaux, tels que Renault, PSA Peugeot Citroën, Bamesa, Yazaki, etc., qui ont choisi le Maroc comme plateforme de production et d’exportation.
Zakaria Firano a également cité le secteur aéronautique, qui connaît un essor remarquable et un dynamisme reconnu, avec plus de 140 entreprises, 11.000 emplois directs et un chiffre d’affaires de 15,6 milliards de dirhams en 2019. Ce secteur couvre différentes disciplines, telles que le câblage électrique, la mécanique, la chaudronnerie, l’installation et le montage mécanique, et attire des acteurs de premier plan, tels que Boeing, Safran, Hexcel, Eaton, Alcoa, Stelia, etc.
Le secteur du textile, qui occupe une place stratégique dans l’activité industrielle nationale, avec 27% des emplois et 7% de la valeur ajoutée, a également fait preuve de résilience face à la crise économique vécue par ses principaux partenaires, notamment l’Espagne et la France, qui absorbent environ 60% des exportations du secteur. Firano a indiqué que le secteur du textile avait su s’adapter aux nouvelles tendances du marché, en se spécialisant dans des niches à forte valeur ajoutée, telles que le denim, le sportswear, le prêt-à-porter haut de gamme, etc.
Il a aussi mentionné le secteur de l’artisanat, qui représente un patrimoine culturel et économique du Maroc, et qui devrait profiter de la relance du tourisme en 2024. En outre, ce secteur offre des opportunités d’innovation, de création et d’exportation, à condition de renforcer sa compétitivité, sa qualité et sa promotion. Pour Firano, le secteur industriel marocain dispose d’atouts indéniables pour tirer la croissance du secteur secondaire en 2024. n
Incertitudes en 2024 : l’analyse de Zakaria Firano
Le Maroc devra faire face à plusieurs défis économiques en 2024, tant sur le plan interne qu’externe, selon Zakaria Firano. Les principaux facteurs influenceront la croissance économique du Royaume, à côté des opportunités à saisir qui viendront renforcer la compétitivité et le développement du secteur industriel.
Sur le plan interne, Zakaria Firano a identifié quatre défis majeurs : la sécheresse, la production agricole, la mise en œuvre des réformes des politiques publiques, notamment la réforme fiscale, du secteur informel et le projet royal de la protection sociale, qui permettra une sécurité pour la classe vulnérable. Il a souligné que ces défis nécessitaient une mobilisation des ressources financières, humaines et institutionnelles, ainsi qu’une coordination entre les différents acteurs publics et privés.
Sur le plan externe, Zakaria Firano a relevé trois défis principaux : le ralentissement de la demande étrangère, le rythme d’investissement des produits énergétiques et les produits de base, et la politique monétaire restrictive, avec des taux d’intérêt assez importants qui sont aux alentours de 5%. Il a expliqué que ces défis pesaient sur la balance commerciale, le besoin de financement, le déficit budgétaire et le taux d’endettement global du Maroc. Il a également mentionné les tensions géopolitiques qui pèsent au niveau de l’Asie, et qui auront un impact sur l’échelle internationale, surtout la circulation de marchandises, plus particulièrement un changement de cap de la mer Rouge et aussi du Pacifique vers l’Atlantique.
Face à ces défis, Zakaria Firano a mis en avant les opportunités offertes par le secteur industriel, qui devrait afficher une forte dynamique en 2024, avec une croissance qui dépassera les 5 à 6%, et qui contribuera à la croissance du produit non agricole, qui devrait atteindre 3,5%. Il a attribué cette performance à la reprise de la demande étrangère et à la performance de certains secteurs clés, notamment l’automobile, l’aéronautique, le textile et l’artisanat. Il a également souligné l’importance de la mise en place d’une politique structurelle, initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui vise à assurer un changement dans la structure du PIB au Maroc et à l’international.