L’économie numérique : un double tranchant pour l’économie réelle et solidaire ?

Le Maroc, à l’instar de nombreux pays en développement, connaît une transformation numérique de grande ampleur. L’essor du digital est devenu un catalyseur pour le développement économique, mais ce changement profond soulève des interrogations sur ses conséquences pour l’économie réelle et solidaire, soulevant des enjeux pour l’exécutif.

L’irruption de l’économie numérique au Maroc s’est imposée comme un véritable levier de croissance pour le pays. Dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée, le numérique devient un secteur clé dans la stratégie de développement économique du royaume. Grâce à sa capacité à dynamiser plusieurs secteurs tels que le e-commerce, la fintech, l’outsourcing, ou encore la tech, l’économie numérique devient un axe stratégique d’attraction des investissements étrangers. Ces secteurs en plein essor permettent au Maroc de renforcer sa compétitivité tout en favorisant la création de nouvelles entreprises et d’emplois.

Le Maroc ne manque pas d’ambition : entre 2024 et 2026, le gouvernement prévoit de mobiliser 11 milliards de dirhams pour accompagner la transformation numérique du pays. Parmi les objectifs affichés, celui de former annuellement 100.000 jeunes dans le domaine du numérique, contre 14.000 en 2022, et de favoriser l’emploi de 240.000 personnes dans ce secteur. Ces efforts visent à structurer le paysage numérique marocain, en encourageant l’émergence de startups innovantes et en renforçant les infrastructures numériques du pays.

Toutefois, cet élan numérique n’est pas sans soulever des inquiétudes, notamment en raison des inégalités qu’il engendre. La fracture numérique est une réalité persistante, avec un fossé entre les zones urbaines et rurales, mais aussi entre les générations. Les populations vivant dans les régions les plus reculées du pays peinent encore à accéder à internet et aux outils numériques nécessaires à leur insertion dans cette économie de demain. Une situation qui pourrait aggraver les inégalités économiques, sociales et territoriales.

Lire aussi : La réforme de la TVA numérique transforme le commerce électronique au Maroc

De plus, cette révolution numérique bouleverse le marché du travail marocain. De nombreux métiers traditionnels disparaissent sous l’effet de l’automatisation et de la numérisation des processus. En revanche, de nouvelles professions, souvent très techniques, émergent, nécessitant des compétences spécifiques. Dans ce contexte, la reconversion des travailleurs et l’adaptation des formations professionnelles représentent un défi de taille.

Difficile cohabitation

À première vue, l’économie numérique, souvent perçue comme un modèle économique individualiste, semble s’opposer à l’économie solidaire, fondée sur les principes de coopération, de partage et de responsabilité sociale. Cependant, l’essor du numérique offre aussi des opportunités inédites pour renforcer et développer l’économie solidaire au Maroc.

Au-delà des grands acteurs du numérique, de nombreuses initiatives innovantes émergent à travers le pays, visant à allier les avantages du numérique avec les valeurs de solidarité et de coopération. Parmi ces projets, les plateformes de financement participatif, qui permettent à des citoyens marocains de soutenir des projets sociaux ou environnementaux, connaissent un succès croissant. Ces initiatives témoignent du potentiel de l’économie numérique pour renforcer les valeurs de solidarité en offrant de nouveaux moyens d’action et de financement pour des projets à fort impact social.

Par ailleurs, les coopératives numériques, les réseaux d’échange de services et d’autres modèles innovants de collaboration permettent à de nombreuses populations vulnérables d’accéder à des services essentiels, qu’il s’agisse de formation, de soins ou de financements. Ce type de modèle hybride, qui combine technologies et solidarité, illustre la possibilité d’une cohabitation entre les deux secteurs, avec des bénéfices mutuels.

L’impact de l’économie numérique sur l’économie réelle est incontestable, et son influence s’étend bien au-delà des secteurs technologiques. L’essor du e-commerce, par exemple, modifie radicalement les habitudes de consommation et bouscule les commerces de proximité, dont la survie est menacée par la concurrence accrue des géants du web. Les commerçants locaux doivent s’adapter rapidement à cette révolution numérique, en développant leurs propres plateformes ou en s’intégrant dans des réseaux de distribution digitaux.

Dans ce contexte, la numérisation des entreprises marocaines devient un impératif stratégique pour leur pérennité. Cependant, cette adaptation nécessite des investissements importants dans les infrastructures et la formation des salariés. Selon certaines estimations, près de 11 milliards de dirhams sont nécessaires entre 2024 et 2026 pour soutenir cette transition numérique des entreprises marocaines.

Ainsi, le Maroc se trouve à la croisée des chemins : entre les avantages indéniables de la numérisation – comme la création de nouvelles richesses et d’emplois dans les secteurs numériques – et les défis majeurs liés à l’impact sur l’économie traditionnelle. Dans un pays où une grande partie de la population est encore exclue des bienfaits de la numérisation, le risque est réel de renforcer les inégalités économiques et sociales.

Une fracture numérique à surmonter

Pour tirer pleinement profit des bénéfices de l’économie numérique tout en préservant l’équilibre avec l’économie réelle et solidaire, plusieurs défis restent à relever. Le premier de ces défis est de réduire la fracture numérique. Des efforts considérables sont nécessaires pour étendre l’accès à internet haut débit et aux équipements numériques dans les zones rurales, mais aussi dans les quartiers urbains les plus défavorisés.

Ensuite, le développement des compétences numériques devient une priorité. Le marché de l’emploi numérique nécessite une main-d’œuvre formée, non seulement aux outils techniques, mais aussi aux soft skills, ces compétences interpersonnelles et adaptatives de plus en plus recherchées dans le monde du travail. Des réformes du système éducatif et de la formation professionnelle sont indispensables pour permettre aux jeunes Marocains d’acquérir ces nouvelles compétences et de s’intégrer pleinement à l’économie numérique.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page