Lectures et analyse du discours royal de Ryad
Pourquoi la tournée du Roi Mohammed VI dans les pays du Golfe a-t-elle un sens inédit ? Quelle portée politique a-t-elle dans un contexte marqué par plusieurs inconnues ? Le Souverain a participé, au nom du Maroc, au Sommet – le premier du genre – du Maroc et des pays du Conseil de coopération du Golfe ( CCG). Il s’agit de l’Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis (EAU), de Koweit, de Qatar, Bahrein, le Sultanat d’Oman et la Jordanie qui, au-delà du pétrole et de leur puissance financière mondiale, constituent un bloc géopolitique solidaire. Le Roi a prononcé un discours à la tonalité radicalement inédite, il a mis le doigt sur plusieurs sujets graves, révélateurs pour tout dire d’un véritable tournant dans le monde arabe et le Maghreb.
Un contre-rapport lancé à Ban Ki-moon
Que le Sommet Maroc-Pays du Golfe survienne quasiment le même jour où le secrétaire général des Nations unies soumet son rapport sur le Sahara aux membres du Conseil de sécurité, ne constitue pas, à coup sûr, qu’une simple coïncidence. Non plus à quelques jours du vote, le 28 avril prochain, par les mêmes, de la Résolution 2218 statuant sur le sort de la Minurso. Cela dit, la coïncidence est si forte que l’on peut s’empêcher de lier les deux événements, le Sommet Maroc-Pays du Golfe et le débat sur l’affaire du Sahara au Conseil de sécurité. Tant et si bien qu’ils ont été au cœur du discours du Roi Mohammed VI, prononcé avec gravité et un « modus operandi » exceptionnel devant ses hôtes.
Le discours royal constitue une manière de contre-rapport lancé à Ban Ki-moon et, au-delà, à certains pays occidentaux dont le langage ambivalent nous révèle plus qu’une duplicité avérée. Le Roi Mohammed VI ne s’est pas fait faute, dans un premier temps, d’exprimer sa satisfaction en coprésidant le Sommet Maroc-Pays du Golfe : « Notre rencontre aujourd’hui, a-t-il déclaré, traduit la profondeur des liens de fraternité et de considération qui nous unissent, et la solidité des relations de coopération et de solidarité qui existent entre nos pays ». Quelques phrases plus loi, il n’hésite pas à poser les jalons de son intervention, faite, comme d’habitude depuis deux ans maintenant, dans une langue dépouillée de formalisme, inspirée essentiellement du devoir de vérité et d’une volonté rédhibitoire de s’attaquer aux causes, non sans en mesurer aussi les effets des bouleversements que connaît la scène arabe et musulmane du Golfe à l’Atlantique. S’il a pris soin de dissocier avec didactisme les problématiques, islamique et arabe, il n’en appelle pas moins à une mise à jour de la réflexion sur l’Islam dans le monde, afin de combattre l’amalgame réducteur qui inspire les sociétés occidentales. « Le monde arabe, déclare le Roi Mohammed VI, traverse une période critique (…) le terrorisme ne fait que nuire à la réputation de l’Islam et des musulmans. Certains s’en servent aussi comme prétexte pour diviser nos pays et y semer la zizanie. Cette situation exige d’ouvrir un débat franc et profond entre les différents rites pour corriger les mystifications, mettre en lumière la véritable image de l’Islam et réactiver les valeurs de tolérance qui sont les nôtres ».
Deux axes dominent entre autres l’allocution royale, la question du Sahara et le projet dévastateur pour ne pas dire criminel de Ban Ki-moon et ses collaborateurs, ainsi et surtout que de leurs commanditaires, ensuite l’évolution plus qu’inquiétante d’un monde arabe en dérive depuis 2011…Sur ce dernier point, le Souverain aura été plus que clair : « Ce Sommet se tient dans une conjoncture délicate. La région arabe vit, en effet, au rythme de tentatives de changement de régimes et de partition des Etats, comme c’est le cas en Syrie, en Irak et en Libye avec ce que tout cela comporte comme tueries, exodes et expulsions d’enfants de la patrie arabe », soutient-il. Affichant la volonté du Maroc de ne pas s’immiscer dans les choix et les options des uns et des autres, il a tenu ensuite à rappeler, tout à sa lucidité, qu’il existe de « nouvelles alliances qui risquent de conduire à des divisions et à une redistribution des cartes dans la région ».
Une réflexion royale élargie à l’espace arabe
Sauf à se méprendre, on pense évidemment au rapprochement spectaculaire des Etats-Unis avec l’Iran, résultat de l’accord sur le désarmement nucléaire, signé par de dernier en juillet dernier à Vienne et qui n’est pas du goût de l’Arabie saoudite ni des pays de la région, exposés désormais ouvertement au prosélytisme chiite. L’exemple du Yémen livré à la guerre civile et menacé par des forces chiites soutenues par Téhéran, n’est pas pour contredire les craintes. C’est donc une réflexion élargie, pertinente et prospective, que le Roi du Maroc expose au Sommet de Ryad. Et revendiquant sa liberté de nouer des relations diversifiées dans le cadre du strict respect et de l’engagement vis-à-vis de tous les partenaires, notamment la Russie, la Chine et l’Inde, notre pays met en garde contre la duplicité de certains Etats et gouvernements qui ont une propension au double discours : « La situation est grave, affirme le Souverain, surtout au regard de la confusion patente dans les prises de position et du double langage dans l’expression de l’amitié et de l’alliance, parallèlement aux tentatives de coups de poignard dans le dos. Que veulent-ils de nous ? Nous faisons face à des complots visant à porter atteinte à notre sécurité collective. Ceci est clair et n’a pas besoin d’analyse. Ils en veulent à ce qui reste de nos pays, qui ont pu préserver leur sécurité, leur stabilité et la pérennité de leurs régimes politiques ».
Si le ton se libère et se détache des codes traditionnels, c’est que le Roi ne sacrifie pas à la métaphore ou aux finasseries diplomatiques. Les termes de « coup de poignard dans le dos », de « complots », de « menaces » et de « dangers » ne sont pas innocents, tant s’en faut. Le Souverain souhaiterait-il sortir de ses gonds qu’il ne s’y prendrait autrement. C’est une colère contenue, rentrée mais des vérités assénées comme un coup de gong. De même que cette déclaration spontanée selon laquelle la « défense de notre sécurité n’est pas uniquement un devoir commun ( mais) mais elle une et indivisible (…) et que le Maroc a toujours considéré que la sécurité et la stabilité des pays du Golfe arabe sont indissociables de la sécurité du Maroc ».
Les menées flagrantes contre le Maroc
La deuxième partie du discours s’articule sur une analyse sans concession des dernières péripéties du dossier du Sahara. Là aussi, le Roi n’avait pas de mots assez forts et expressifs pour démonter, pied à pied, la mécanique du projet criminel de Ban Ki-moon et ses instigateurs. Là aussi, le ton se caractérise par la fermeté et une conviction chevillée au corps. Là enfin, les contempteurs du Maroc sont décrits comme déterminés à « délégitimer la présence du Maroc dans son Sahara ; d’appuyer l’option de l’indépendance et la thèse séparatiste, enfin d’affaiblir l’Initiative d’autonomie dont la communauté atteste le sérieux et la crédibilité. »
Dans la foulée de cette charge royale, il est proclamé aussi que « les choses en sont arrivées au point d’engager une guerre par procuration où le secrétaire général des Nations unies est instrumentalisé pour essayer de porter atteinte aux droits historiques et légitimes du Maroc concernant son Sahara ». Et le Souverain, sans ambages, d’annoncer : « …Mais ne vous en étonnez pas, car dès lors que l’on connaît les raisons, il n’y a plus de mystère. En effet, que peut faire le secrétaire général ( de l’ONU) alors qu’il admet ne pas avoir une connaissance complète du dossier du Sahara marocain, comme c’est le cas pour de nombreuses autres affaires ? »
Secrétaire général des Nations unies, s’appuyant sur les dires et les présentations mensongères de ses adjoints et collaborateurs immédiats, dont on peut avancer preuves à l’appui qu’ils sont soudoyés par les adversaires du Maroc, secrétaire général fourvoyé surtout dans une rhétorique éculée et reniant ses engagements de neutralité voire son soutien au dialogue et à la solution politique, illusionniste et illusionné, Ban Ki-moon ne peut pas ne pas admettre qu’il se fait instrumentaliser au crépuscule d’une carrière et d’une vie qui, pour autant, auraient dû lui procurer un sentiment de mission bien et honorablement accomplie. Quatrième secrétaire général depuis la mise en œuvre en 1991 de la Minurso, après Javier Perez de Cuellar, Boutros Boutros Ghali et Kofi Annan, il aura dénaturé la mission et entaché la fonction…Il sera le seul à déroger à l’intangible règle de neutralité…