L’effet Maroc : entre sport et politique
Par Salem AlKetbi*
Ces derniers mois, pendant la Coupe du monde 2022, organisée par l’État du Qatar, une nouvelle situation est apparue, non seulement dans le football, mais aussi dans l’interaction entre les Arabes et la performance de l’équipe de football marocaine pendant le tournoi. Les réseaux sociaux du monde arabe ont été inondés de soutien à une équipe qui a remporté des victoires que même les Arabes les plus optimistes n’auraient pas pu imaginer.
« Sire Sire Sire » (allez, allez, allez), scandé dans les rues et les villes des pays arabes pendant des jours, est devenu un slogan de progrès et de victoire dans un contexte qui reflétait le désir collectif arabe et le besoin urgent de réussite, remontant le moral du peuple et les aspirations des jeunes dans une région qui avait subi des années de frustration et de nouvelles négatives, encouragées seulement par quelques événements arabes réussis occasionnels, que ce soit aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite ou au Qatar.
Pour tout l’espoir qui rayonne de ces réalisations, le football conserve son charme et son attrait particuliers, et les victoires dont il est le témoin laissent une marque profonde et significative dans le cœur des jeunes. Malgré toutes les affirmations des radicaux selon lesquelles le football relève de la « conspiration occidentale » et autres sornettes, ces discours ridicules sont réfutés alors que les présidents et les hauts fonctionnaires des pays occidentaux assistent aux matchs de leurs équipes nationales et exhortent leurs joueurs à gagner.
Le président américain a même interrompu une réunion à laquelle il participait pour célébrer la victoire de son pays sur l’Iran. L’effet Maroc que nous avons tous suivi est un exemple positif qui contribue largement à changer le stéréotype traditionnel sur les Arabes et les musulmans. Il renforce l’impression positive que l’excellente gestion du tournoi par le Qatar a faite sur le monde.
Le Maroc a été décrit comme une équipe forte d’un pays arabo-musulman, capable de rivaliser avec les équipes de football les plus fortes du monde. Les espoirs d’atteindre la finale du tournoi ont duré jusqu’au milieu de la deuxième mi-temps du match contre la France, où ils ont été battus par un but d’écart.
Même si la fortune est allée à l’encontre des ambitions d’une génération prometteuse de joueurs dont les noms sont connus dans le monde entier pour leur détermination sans faille et leur habileté, surpassant celle de nombreuses équipes précédentes dans le jeu le plus célèbre du monde, le cas du Maroc est un cas qui restera dans l’histoire du sport dans notre monde arabe.
Il ne s’agit pas seulement de football.
Les joueurs marocains ont franchi la ligne de l’ambition. Ils ont rallumé des rêves où il n’y a plus de limites et de contraintes, où il y a la volonté de gagner et de triompher. C’est ce genre d’esprit qui est nécessaire dans notre région, dans le sport et ailleurs, afin que nos nations puissent sortir de l’obscurité et que notre jeunesse puisse trouver de l’espoir pour l’avenir.
C’est le pouvoir contre la frustration et le désespoir sur lequel les extrémistes et les terroristes comptent pour recruter de nouveaux éléments dans leurs rangs, et c’est le sérum qui peut insuffler une nouvelle vie et apporter une perspective différente à notre communauté. Le football en particulier et le sport en général sont un antidote et un vaccin contre l’extrémisme. L’équipe marocaine a réussi à placer le football arabe dans une compétition mondiale.
Nous attendons que ce succès soit partagé non seulement au niveau du Royaume du Maroc, mais aussi au niveau du reste du monde arabe. Certaines personnes disent que le sport ne devrait pas être politique, mais en fait il est très politisé car il est lié à nos vies, à notre bonheur et à nos émotions. Toutes ces choses sont au cœur de la politique.
Les décisions concernant la formation des équipes, les nouvelles concernant les victoires et les buts l’emportent parfois sur l’impact des décisions politiques qui sont étroitement liées à la vie des gens. La dose instantanée de joie collective que procure un but marqué est telle qu’elle peut même éclipser toutes les autres décisions ou actions orientées vers le bonheur.
C’est l’une des merveilles et des manières magiques du football qui l’ont fait entrer dans le cœur et l’esprit des gens. L’effet Maroc, qui est devenu un exemple arabe et même mondial, reste exceptionnel dans son impact unique.
Certains disent que l’équipe marocaine a uni les Arabes plus que tout autre événement politique, réalisant ce que les sommets et les conférences arabes par centaines n’ont pas réussi, même lorsqu’ils étaient décorés de slogans et dépensaient des milliards en médias : les buts et les victoires en football ont uni les Arabes d’Orient et d’Occident. Il est intéressant de noter que toutes les rumeurs sur les sensibilités inter-arabes se sont évanouies.
Les divisions politiques avec lesquelles les sociétés ne voulaient rien savoir ont fondu. Les joueurs marocains ont également réussi à projeter de belles images d’humanité sur tout le monde, en particulier sur les jeunes.
Les photos d’Achraf Hakimi et Sofiane Boufal avec leurs mères resteront un précieux symbole humain de la fidélité d’un fils, de la valeur de la maternité et de la diffusion de la culture dont les jeunes générations ont besoin au milieu du flot de contenus médiatiques pollués qui submerge tout le monde.
L’épisode marocain a vraiment confirmé les nouvelles impressions et les stéréotypes que le monde entier, oriental et occidental, a désormais sur les Arabes et les musulmans, et surtout sur les femmes. Les femmes arabes ne sont pas des femmes d’Al-Qaïda ou de Daesh, mais elles font partie intégrante de la réalité sociale que le monde entier a vue dans les stades et les rues du Qatar et de toutes les villes arabes, célébrant la victoire de l’équipe marocaine comme si c’était la leur, dans un sentiment qui n’a peut-être d’analogue que chez les Arabes, qui partagent vraiment les sentiments et les liens dont on a beaucoup parlé dans la littérature politique.
Pourtant, nous ne les avons vus que dans de rares événements historiques.
*Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral