L’enseigne…ment, saigne et souffre
Par Salah Abdelmoumen
«Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne ne sont jamais allés à l’école une fois et ne savent pas lire et signent d’une croix….. [Victor Hugo]»
Pour sûr que bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis cette mémorable prose de V. Hugo, mais toutes les contrées du monde s’en sont abreuvées et instituèrent ainsi, l’enseignement (ou pour mieux dire le combat contre l’analphabétisme) comme premier projet structurant pour leurs pays.
Conscients que le développement humain des peuples passait, indubitablement, par un travail de fond sur leurs référentiels, la plupart des pays ont misé sur la restructuration de leur arsenal juridique en vue de donner à l’enseignement la place qui lui revient.
Avec un œil externe, louchant un tantinet, j’ai lorgné du côté de chez moi, de ma contrée, de mon pays, pour découvrir, non sans amertume, le grand échec d’une succession de politiques et de stratégies dans le domaine de l’éducation nationale et ce depuis 1974, date à laquelle, les deux premières matières de philosophie et d’histoire géographie ont été arabisées en terminale.
A ce moment-là, j’étais encore dans le système et mon œil externe ne me permettait pas de deviner la supercherie. Tout au plus, nous nous félicitions, mes camarades et moi, que le Maroc allait entamer un processus d’arabisation tout azimut qui conviendrait mieux à nos origines berbéro-arabes. Nous pensions que les générations qui allaient nous suivre, maîtriseraient mieux que nous l’arabe et appréhenderaient, par la suite, le savoir sur les chairs des facultés et des hautes écoles en usant de ce véhicule de la pensée plus proche de notre identité qu’une langue étrangère. Mais combien fut grande notre déception, quand une dizaine d’années plus tard, nous découvrîmes le pot aux roses. D’abord dans nos entreprises publiques, sensées suivre ce processus, l’arabe se limitait aux correspondances légales et administratives, toutes celles se rapportant aux métiers des entreprises se faisaient en langue française, voire en langue anglaise. Pire encore, les réunions se faisaient et se font encore maintenant en langue française. Je dirais même que quand un intervenant parlait un français décousu, il était tout de go, non écouté, voire désapprouvé, en tout cas non apprécié. La seule utilisation de la langue de Molière était une référence, même si le contenu était hors sujet ou très léger.
Ensuite, nos juniors et cadets qui nous suivaient, furent ébranlés de se retrouver à nouveau, nez à nez avec le français, une fois le bac franchi. Eh Oui, nos penseurs d’antan, avaient-ils la vue trouble et l’esprit limité ou serait- ce plutôt un traquenard fort bien étudié pour que l’enfant du peuple perde ses chances sur les bancs de la faculté, au profit et au grand bien de l’enfant nanti ?
Nous apprîmes, ensuite, en piochant un peu, que ceux-là même qui avaient décidé de cette arabisation inachevée, avaient à ce moment-là, pris soin d’envoyer leurs chérubins dans les écoles françaises au Maroc ou à l’étranger. Ainsi pour avantager les leurs, qui à armes égales ne faisaient pas le poids devant les enfants du peuple, ils montèrent ce faux projet, de manière à placer d’abord les leurs dans les postes de responsabilité, en envoyant, sans une once de conscience, les enfants du peuple à l’échafaud.
La langue arabe est, sans conteste, une des langues les plus riches du monde. Mais ces messieurs, mal intentionnés, aux idées saugrenues et fort douteuses, ne lui ont pas rendu service en en faisant une langue d’information au lieu d’une langue de formation.
Toute cette palabre, me direz-vous, est bien connue des communs des mortels, depuis bientôt quarante ans. Il n’y a qu’à voir les écoles qui ont poussé comme des champignons pour comprendre ce stratagème. La mascarade continue, car maintenant, le besoin est créé et même le citoyen à revenu moyen, se démène en compressant au maximum sa bourse, pour placer ses enfants dans une école privée. Mais il oublie, le pauvre, qu’il est arnaqué doublement, car ces écoles, pour la plupart, ont été érigées par les mêmes responsables de la déroute de l’école publique.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi moult gouvernements avec une multitude de feuilles de route, de projets, de chartes ( même si la charte nationale de l’éducation et de la formation, avec ses 19 piliers, paraît exhaustive et bien établie depuis 1999) n’ont récolté que des échecs cuisants dans leurs tentatives de remettre à flot l’embarcation de l’éducation nationale qui continue à prendre eau de toute part ?
Je n’ai pas la prétention de répondre à ces deux questionnements (qui pourraient être des sujets de recherche), tout seul, en si peu de temps et d’espace, mais je voudrais juste participer comme tout bon citoyen de ce pays, en apportant la vision d’un œil externe sur les véritables zones d’ombre qui entravent le renflouement de l’embarcation sus-citée.
La raison première qui ressort de ce sinistre constat, c’est l’éternel remise à zéro, chaque fois qu’un nouveau préposé s’installe aux commandes du ministère de l’enseignement. Il n’y a point de capitalisation ou de continuité de projets initiés auparavant. Chacun voudrait démontrer que c’est par lui que la logique arrive. Exception faite, peut- être, avec l’actuel ministre de l’éducation national, qui tout en s’appuyant sur la charte nationale de l’éducation et de la formation, a lancé un plan d’urgence avec plusieurs objectifs complémentaires et fort ambitieux. La seconde raison c’est celle de rapprocher les deux processus des cycles en présence. L’approche processus, dans ce cas, puisqu’on parle de qualité dans le plan d’urgence doit être déployée dans ce cas de figure.
Cette approche suggère que le processus client est celui de l’enseignement supérieur et le processus fournisseur est celui de l’éducation nationale. Par conséquent, toutes les exigences du processus de l’enseignement supérieur doivent être prises en charge dans le plan d’urgence, en termes de niveau de formation des bacheliers, notamment la qualité du véhicule utilisée (Langue) permettant aux futurs étudiants du cycle supérieur d’appréhender facilement les modules de leur cursus universitaire.
Pour ne pas rester sur une note négative et de peur d’être traité de défaitiste, je voudrais clore cette participation en apportant quelques suggestions qui peuvent enrichir ce projet de société.
Je commencerai donc par quelques considérations générales, à mon avis des préalables incontournables pour un dossier de cette importance :
Déclaration explicite du gouvernement quant à la priorisation des budgets afférents à l’enseignement, au même titre que la défense et la santé publique, implication réelles de tous les ministères en vue d’assister celui de l’enseignement, analyse préalable du milieu et du niveau de vie des candidats à l’apprentissage (Enfants et adultes) (Cité dans le Plan d’urgence du ministère de l’éducation nationale), maîtrise du nombre de candidats par niveau (Carte Scolaire) avec un maximum de 24 élèves par classe, instauration d’un projet d’accompagnement et de conduite de changement auprès du corps professoral et directorial pour l’application de la charte nationale de l’éducation et de la formation (Cité au point communication sur le plan d’urgence), instauration d’un système de prime de rendement trimestriel basé sur l’atteinte des objectifs par mois (Principe d’obligation de résultats), l’affichage des notes des résultats des examens professionnels sur l’internet pour plus de clarté, la mise en place d’un roulement des directeurs des écoles chaque 4 ans maximum, remplacer la notion d’inspection par celle d’audit et augmenter le nombre d’audits par an, alléger les horaires pour le primaire et privilégier en volume horaire les matières de base (Lecture, Ecriture, Dessin, Calcul, etc.. )par rapport à celles informationnelles, arrêter définitivement la moyenne de 5/10 pour le passage pour le primaire et 10/20 pour le secondaire. Un élève en dessous de cette moyenne ne doit pas être déclaré reçu, créer un poste budgétaire plein temps pour des bibliothécaires au niveau des écoles primaires.
Le reste, à mon avis, est une affaire de méthodologie et je citerai à titre d’exemple :
La fixation des moyens humains : effectifs du nombre d’enseignants en fonction des besoins par niveau à raison d’un enseignant pour 24 élèves au maximum, la disponibilité du milieu de travail : le nombre de salles, leurs consistances et leurs équipements en adéquation avec le nombre de candidats (Carte Scolaire), la disponibilité des moyens matériels et consommables : équipements bureautiques, équipements didactiques, tableaux feutres et /ou vidéoprojecteurs, la révision des méthodes de travail: programmes scolaires, livres de soutiens et de supports aux professeur etc…
Enfin, si tout ceci se réalisait et que Dieu fasse que cette embarcation reprenne la mer et vogue toutes voiles dehors sans que la houle ne s’y mêle, la cerise sur le gâteau serait alors qu’au sein de l’équipage navigant, depuis le timonier jusqu’à l’homme de cale, s’instaure une justice ferme et sans fioritures pour que « les mots que l’enfant épellent contiennent sous chaque lettre une vertu [V.H] »….