Quand les chasseurs de têtes de l’ailleurs nous dérobent nos cerveaux
Dossier du mois
Lenda Aït Kaddour, Consultante
Le Maroc est mon ailleurs
C’est une réalité depuis des décennies, les Marocains, en masse, quittent leur pays. Il y en a tellement ! Certains sont riches et d’autres pauvres, certains veulent étudier, d’autres partent travailler, certains ont de la famille quelque part, d’autres n’ont personne et veulent simplement tenter leur chance, n’importe où ailleurs. Certains ont déjà vécu à l’étranger, d’autres partent pour la première fois. Certains viennent des riches agglomérations, d’autres des régions rurales ou moins dotées. Enfin, on le sait bien, certains partent avec des papiers en règle et d’autres brûlent les leurs, et deviennent des « sans-papiers », situation peu enviable dans ces pays dits riches aux politiques, sans cesse, plus dures vis-à-vis des étrangers.
Ces Marocains, partent, je crois, plusieurs fois. La première pour se prouver qu’ils peuvent étudier ou travailler à l’étranger. Une fois cela fait, beaucoup reviennent, convaincus que leur CV, regonflé, les amènera au succès. Malheureusement, l’immense majorité d’entre eux repart, écoeurée des modes de gouvernance et de management qu’ils trouvent ici. Et le climat des affaires fait le reste. La fuite continue du capital humain au Maroc est, selon moi, due au fait qu’il est inutilisé comme en jachère.
Il en résulte alors un décalage, sans cesse, croissant entre une société du pays d’origine qui stagne, voire recule, recrachant ses éléments qui dépassent, sortent de la moyenne, et ces personnes dont le coeur est au Maroc mais dont la vie est ailleurs, à des milliers de kilomètres, dans un entre-deux qui s’étirera souvent sur plusieurs générations.
À ma naissance, mes parents ont dû fuir le Maroc, et nous fûmes, pendant presque deux décennies, des réfugiés politiques. Même si j’y étais, culturellement et économiquement, pleinement intégrée, mon rêve à moi était de quitter la vieille Europe, en déclin selon moi. Le Maroc est mon ailleurs, une sorte de paradis retrouvé où d’infinies déceptions mais aussi des rencontres exceptionnelles m’apprennent à vivre autrement, avec un optimisme chevillé au corps, car je sais que nous sommes légion à aimer ce pays et à travailler pour qu’il offre, enfin, à sa jeunesse et donc à tous, un véritable avenir.