Les élections à Istanbul, une course décisive pour tous les scrutins en Turquie
« Celui qui remportera Istanbul remportera les élections en Turquie » est un adage plein de sens dans la mesure où il résume non seulement l’intensité de la course électorale de dimanche prochain dans le cadre du scrutin municipal, mais aussi l’intensité de la concurrence dans tous les scrutins qu’organise le pays et ce, en raison des spécificités de la ville, son importance politique pour déterminer les résultats de l’élection, d’autant plus qu’elle est le cœur battant du pays, son centre économique, outre sa profondeur historique et symbolique.
Le poids politique d’Istanbul est illustré par le rôle central que joue la ville dans toute opération électorale ainsi que par sa position, son potentiel, sa composition démographique et sa population de plus de 15 millions, soit 20 pc du corps électoral qui dépasse 57 millions électeurs.
L’importance économique d’Istanbul s’explique également par la création de 20 pc d’emplois, sa contribution au Produit intérieur brut (PIB) à hauteur de 22 pc, la génération de plus de 45 pc d’impôts au profit de l’Etat et sa contribution à environ 55 pc des exportations du pays.
S’agissant de la place de la ville sur l’échiquier politique du pays, l’analyste politique turc Bakir Atjan a indiqué dans un entretien à la MAP que le candidat qui remportera la municipalité d’Istanbul « sera très probablement le prochain président de la Turquie, que ce candidat soit issu du parti de l’AKP ou des partis de l’opposition».
Les dispositions de la nouvelle Constitution du pays stipulent que les résultats des élections présidentielles sont déterminés directement par le choix du peuple, et puisque le nombre des habitants d’Istanbul dépasse le quart de la population turque, la ville est considérée comme l’élément central de la carte politique en Turquie.
Istanbul est également une cité ouverte sur les plans politique, social et culturel de même qu’elle constitue un espace où s’activent les différentes organisations et associations à travers des manifestations culturelles, sociales et politiques, contribuant ainsi à la sensibilisation des citoyens à l’importance de la participation politique, et c’est d’ailleurs ce qui explique le taux de participation élevé (88,17 pc) enregistré lors des dernières élections présidentielles et législatives.
→ Lire aussi : Turquie: les réalisations et les répercussions de la crise dominent la campagne électorale
Si les partis de l’opposition, dont le Parti républicain du peuple (CHP), considèrent Istanbul comme la première forteresse électorale à conquérir pour baliser la voie vers le Palais présidentiel et le Parlement, l’AKP pour sa part, met en avant pour rester au pouvoir jusqu’à 2023 son bilan des réalisations engrangées depuis 16 ans de gestion des affaires de la ville avec notamment des méga projets et des infrastructures.
Cette importance stratégique de la ville a été un facteur déterminant pour les deux courants en compétition dans le choix du candidat à la présidence d’Istanbul, soit avec une alliance entre l’AKP et le Parti du mouvement nationaliste (MHP) ou d’une coalition regroupant le CHP, le Bon Parti (IYI) et le Parti de la félicité (SP).
Pour continuer à gérer les affaires de la municipalité, le parti de l’AKP qui est aux commandes à Istanbul depuis 1994 n’a pris en réalité aucun risque en choisissant un candidat de grand calibre à l’instar de Ben Ali Yildirim, actuellement numéro 2 de la hiérarchie de l’Etat et qui a présenté sa démission comme Premier ministre pour justement se présenter à la présidence de la municipalité d’Istanbul.
Le parti « CHP » a, de son côté, choisi Akram Emamoglu, fils d’une famille conservatrice et politique chevronné, et selon les observateurs de la scène politique turque, M. Emamoglu est le plus grand rival de M. Yildirim en ce sens qu’il est un candidat charismatique et ayant cumulé une riche expérience.
M. Yildrim qui intervenait lors d’un meeting organisé dimanche à Istanbul pour présenter son programme électoral en présence du président turc Recep Tayyip Erdogan, et du chef du Parti du mouvement nationaliste, Devlet Bahceli, s’est engagé notamment à faire d’Istanbul une ville plus stable, prospère et sécurisée.
« Nous voulons faire de la Turquie l’une des dix plus grandes puissances économiques du monde », a-t-il dit à cette occasion.
Pour sa part, le candidat du CHP s’est engagé à apporter des solutions appropriées en vue de résoudre les problèmes auxquels fait face la ville comme le chômage et la pauvreté.
S’exprimant lors d’une réunion tenue le 28 février, M. Emamoglu a promis la création d’au moins 200.000 postes d’emploi durant les cinq prochaines années, critiquant la pauvreté dans la ville.
Il s’agit donc d’une « bataille électorale » que vit Istanbul de jour comme de nuit avec un rythme électoral intense, des affiches et des pancartes qui tapissent les rues de la ville dans le cadre de cette élection qui constitue un défi pour le parti au pouvoir en vue de préserver le leadership politique dans le pays jusqu’en 2023.
Par contre, le courant de l’opposition, qui n’a pas réussi jusqu’à présent à remporter les élections dans la municipalité d’Istanbul, parie sur la perte de l’AKP, car cet échec sera perçu comme « une défaite morale » permettant à l’opposition d’aspirer à remporter les prochaines échéances électorales.