Les nouveaux défis du développement rural
Par Hassan AMILLAT*
Le Nouveau Modèle de Développement est porteur d’une nouvelle vision sur le rôle des territoires, espaces de conception des politiques publiques avec l’État et lieu de leur mise en œuvre réussie.
Cette vision consacre, ainsi, la place centrale des territoires comme source de création des richesses matérielles et immatérielles, d’éclosion de la démocratie participative et d’ancrage des principes de la durabilité des ressources et de leur résilience face aux effets du changement climatique.
Cela implique nécessairement l’instauration d’une refonte de la gouvernance des territoires, notamment en faveur d’une complémentarité État-Régions, du développement d’écosystèmes économiques intégrés, de l’aménagement de l’espace et des lieux de vie et de la préservation des ressources naturelles. Pour favoriser l’émergence de territoires prospères, résilients et durables.
Une réorganisation territoriale dynamique et innovante est nécessaire pour mettre le citoyen au centre des politiques publiques et permettre une desserte plus efficiente des services publics, jusqu’au plus petit segment territorial rural (micro-territoire : douar, dcher, ksar…). Cela nécessite de reconnaître le micro-territoire comme unité territoriale de base et comme lieu de vie délimité et aménagé, tout en tenant compte des dynamiques de développement propres à ces espaces. A cet effet, la création d’observatoire dédié à la collecte de l’information au niveau de chaque micro-territoire permettra de disposer de données fiables à même d’éclairer les choix de politiques publiques au niveau local. Il s’agit, également, de cristalliser autour du micro-territoire les mécanismes de la démocratie participative et d’en faire le premier lieu de délégation des services publics aux citoyens. La mise en place de commissions au niveau de la commune comprenant des représentants des différents micro-territoires, sera opportune pour assurer une articulation dynamique entre les lieux de vie et les échelons de décentralisation administrative. Une telle action permettra, ainsi, de créer un cadre favorable pour encourager l’identification et le développement, par la société civile locale, d’émergences qui répondent aux principaux défis territoriaux.
Connecter le monde rural
Dans le but de favoriser un développement harmonieux du monde rural, il est nécessaire d’adapter les outils d’aménagement aux spécificités des zones rurales, en veillant à la préservation des terres agricoles fertiles, à la salubrité des habitations et à la prise en considération de la fonction de bâtiments d’exploitations agricoles et d’élevage. La réforme de la réglementation de l’urbanisme dans le milieu rural, à travers une refonte des textes en un code unique et clair, pourra être utile à cet égard. De même, il sera nécessaire de repenser l’urbanisation du monde rural de façon intégrée avec les villes de petite et moyenne taille en vue de connecter les lieux de vie ruraux à ces centres émergents et favoriser ainsi la création d’opportunités économiques attrayantes. Dans la même perspective, la généralisation de la couverture numérique en milieu rural s’avère nécessaire pour renforcer la croissance des zones rurales, en soutenant l’inclusion économique et financière de la population, en leur donnant accès à l’information ainsi qu’à des méthodes et plateformes de commercialisation permettant une juste répartition de valeur aujourd’hui largement capturée par les intermédiaires.
Le Plan Maroc Vert et Génération Green 2020-2030 ont permis d’atteindre des résultats encourageants en termes d’accroissement de la production agricole. Dans une optique de résilience du monde rural, de durabilité du secteur agricole, et d’atténuation de sa dualité entre agriculture commerciale et agriculture de subsistance, la stratégie du secteur devrait mettre davantage l’accent sur l’agriculture solidaire et familiale. Cela appelle notamment à améliorer l’efficience du dispositif d’appui et de subventions du fonds de développement agricole, pour l’orienter principalement vers cette catégorie d’agriculteurs, et en faveur de la résorption des contraintes d’ordre technique, financier et assuranciel auxquelles ils sont confrontés. Les formes de production et de commercialisation coopératives permettant des économies d’échelle pour les petits producteurs doivent continuer à être fortement encouragées, en tirant les enseignements des expériences récentes dans ce domaine. L’accent doit aussi être davantage mis sur le renforcement de la recherche agricole et sur l’articulation de l’agriculture aux écosystèmes de R&D territoriaux. De même, une attention particulière doit être portée à une meilleure valorisation de la production à travers des plateformes logistiques alimentaires (marché de gros, abattoirs, chaine de froid et de transport, stockage, emballage…) performantes et à travers le développement et l’intégration en aval des chaînes de valeur agroindustrielles, vers davantage de transformations sur toutes les filières qui s’y prêtent. La problématique du morcellement des terres agricoles doit être adressée par des solutions innovantes, en encourageant le remembrement à travers des incitations dédiées. Enfin, la formation aux métiers agricoles des jeunes ruraux est fortement recommandée en vue d’assurer le maintien et la transmission des exploitations familiales tout en améliorant leur productivité et rentabilité.
L’urgence d’une reconversion rapide de l’agriculture marocaine
L’inclusion numérique des territoires doit être échelonnée comme priorité pour renforcer la participation et améliorer l’accès aux services publics notamment dans les zones reculées, et à des tarifs raisonnables. Pour réduire la fracture numérique et résorber les « zones blanches » exclues des connexions à haut début, il est crucial de poursuivre le déploiement de l’infrastructure pour connecter tous les Marocains dans tous les territoires et assurer l’accès universel à Internet de haut-débit, dans les délais les plus rapprochés. Cela peut être effectif par un appel d’offres aux opérateurs intégrant des éléments de partage de risque et de rentabilité adéquats et des schémas de péréquation entre zones à forte densité et à faible densité. Afin de réduire le coût des investissements numériques pour la collectivité, accélérer leur déploiement, et baisser les coûts finaux des services, il est proposé de mettre en place un cadre et des normes favorisant la mutualisation des infrastructures entre opérateurs, et d’adopter un modèle pour l’utilisation plus efficace des réseaux de fibre optique détenus par les entreprises publiques (ONEE, ONCF, ADM, etc.), qui offriraient à tous les opérateurs un accès ouvert et réglementé à la fibre optique publique.
Aussi, il est impératif de consolider les efforts visant au développement de l’agriculture, en intégrant pleinement les contraintes à sa durabilité. Une attention particulière est à accorder à la reconversion rapide de l’agriculture marocaine en faveur des cultures résilientes aux aléas climatiques et génératrices de forte valeur ajoutée.
Il est important d’apporter des réponses de fond aux contraintes structurelles de l’agriculture marocaine, en plaçant la question de durabilité et de valorisation au cœur de la stratégie agricole, à travers :
- l’optimisation des ressources hydriques, en privilégiant l’extension des surfaces irriguées aux cultures assurant la sécurité alimentaire nationale, et en veillant à ce que les cultures exportatrices valorisent l’eau en tenant compte de son coût direct et indirect pour l’État et la collectivité ;
- la rationalisation de la consommation énergétique agricole, en augmentant le taux de pénétration des énergies renouvelables dans le secteur agricole, moyennant l’extension de l’usage des techniques de l’énergie solaire dans le pompage de l’eau.
Notons aussi la nécessité de mettre l’accent sur la protection de la biodiversité et des écosystèmes forestiers comme levier essentiel de la politique de durabilité. En plus de l’extension du réseau national d’aires protégées, pour réconcilier la conservation de la biodiversité avec son utilisation durable, il sera nécessaire de mettre en place un Programme Forêt, destiné à la restauration des écosystèmes forestiers et qui devra s’appuyer sur une approche territoriale, participative et partenariale. Il est recommandé que ce programme soit conçu en connexion avec la réalité du terrain et soumis à une approche participative mettant à contribution les associations pastorales, les coopératives forestières ainsi que les petits agriculteurs. L’approche partenariale permettra de définir les relations contractuelles et le partage des responsabilités, pour un « prélèvement » des ressources naturelles, compatible avec leur rythme de renouvellement. Enfin, ce programme devrait veiller à encourager la formation de terrain et soutenir les actions de recherche et développement qui soient adaptées aux spécificités des différents territoires forestiers.
Le stress hydrique qui menace tous les équilibres
Le Maroc souffre d’un stress hydrique qui ne cesse de s’accentuer. La raréfaction de l’eau menace directement les équilibres économiques, environnementaux, et sociaux du pays, particulièrement dans les régions arides et semi-arides et celles dont les revenus dépendent très fortement des ressources hydriques. Partant de ce constat, la question de l’eau se situe parmi les plus urgentes à traiter par une approche intégrant pleinement sa rareté et donnant la primauté à sa préservation à long terme, pour les générations actuelles et futures.
Il s’agit, en premier lieu, de réformer l’organisation du secteur et de renforcer la transparence sur les coûts de la ressource à chaque étape de sa mobilisation. En second lieu, il est préconisé de mettre en place une tarification qui reflète la valeur réelle de la ressource et incite à la rationalisation des usages et à la gestion de sa rareté. Enfin, les besoins en eau ne pourront être satisfaits à l’avenir sans la mobilisation des ressources non-conventionnelles et sans la préservation des ressources souterraines. Il sera d’abord nécessaire de rationnaliser l’usage des eaux souterraines à travers des modes d’exploitation tenant compte de la capacité de régénération des nappes phréatiques. En outre, il sera opportun de recourir massivement au dessalement de l’eau de mer en vue d’assurer un complément sûr d’approvisionnement en eau des villes côtières, de libérer des ressources en eau supplémentaires pour les périmètres irrigués et de réduire significativement les pertes d’eau. La maîtrise du coût de l’énergie et le recours à une tarification appropriée qui valorise au mieux la ressource pourront rendre ce créneau attractif pour les investissements privés et les partenariats public-privé. Le traitement et la réutilisation des eaux usées et eaux pluviales doivent être rendus systématiques pour répondre aux besoins des périmètres irrigués et soulager la pression sur les barrages. Cela nécessite la mise en place d’un cadre réglementaire permettant l’intégration effective des eaux traitées dans la planification de l’eau, et la définition des responsabilités dans la prise en charge du traitement et des frais de suivi de la qualité des eaux usées traitées, ainsi que les normes de réutilisation sécurisée et saine des eaux usées.
*Expert en Développement Territorial