L’I.A. Comment le Maroc se prépare au monde de demain
Entretien avec Amal El Fallah Seghrouchni, ministre de la transition numérique et de la reforme de l'administration
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Hassan Alaoui
Le constat est simple : l’Intelligence Artificielle chamboule tout ! Elle est l’un des vecteurs de transformation de nos sociétés, de la métamorphose du travail qui sous l’effet de la robotique et de l’automatisation va transformer nos modes de production et de services. L’IA sera au cœur des débats et des interventions de l’édition de la science week organisée du 17 au 23 février à Benguérir une édition qui explore les transformations du monde. Une semaine plus tôt un grand évènement mondial s’est tenu à Paris qui a mis en évidence le potentiel de l’IA dans de nombreux domaines. Ce Sommet mondial auquel a participé activement la ministre marocaine Amal El Fallah Seghrouchni, a abouti le 11 février dernier à une Déclaration commune signée par 59 pays pour une IA « ouverte, inclusive et éthique ». Après la France, c’est l’Inde qui accueillera le prochain Sommet international sur l’IA. Amal El Fallah Seghrouchni , qui a été l’invitée de notre dernière édition MD Sahara, organisée en décembre dernier à Dakhla, et qui est intervenue sur ce thème majeur, vient de nous accorder un entretien à la lumière du Sommet de Paris et de la rencontre cruciale organisée avec l’UM6P à Benguérir.
MAROC DIPLOMATIQUE : Vous avez assisté et participé au Sommet mondial de l’Intelligence artificielle de Paris . Qu’avez vous retenu de cette grande messe mondiale?
Le Sommet de Paris sur l’action de l’IA a constitué un grand rendez-vous pour ses supporters et ses passionnés. Le concept était très intéressant. De nombreux événements se sont tenus un peu partout en France sur une semaine où les experts, les politiques, les secteurs privé et public, les organisations comme l’OCDE ou l’UNESCO ont organisé des rencontres pour débattre des avancées de l’IA, de sa gouvernance et des plans d’action pour booster l’IA mondiale et européenne.
Durant deux jours, des réunions de haut niveau ont été organisées au grand Palais pour clôturer cette semaine de l’Action de l’IA. En filigrane, on sentait des inquiétudes européennes à dissiper et des investissements colossaux à trouver. La Chine avec son annonce de Deepseek à 600 millions de dollars juste après l’annonce d’investissement en IA de 500 milliards aux USA ont créé un effet de balancier. Si l’IA est énergivore et coûteuse, de nouveaux modèles frugaux en énergie et investissement restent à bâtir.
Dans ce nouveau monde que fait le Maroc ?
Dans le domaine de la recherche et de l’innovation, le Maroc comme je l’ai souligné dans mon intervention a investi dans plusieurs initiatives, dont celle du Centre international d’intelligence artificielle « Ai Movement », créé en 2020 sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Ce Centre, situé à l’Université Mohammed VI Polytechnique de Rabat, est le premier de catégorie 2 de l’UNESCO en Afrique, et se veut un catalyseur pour la recherche, la formation et le développement des compétences dans le domaine de l’IA. Dans cette même dynamique, on compte également la Maison de l’intelligence artificielle, un centre qui dynamise la collaboration entre les acteurs publics, académiques et industriels autour des enjeux liés à l’IA. Le Royaume dispose d’infrastructures numériques de pointe, comprenant plusieurs Data Centers certifiés aux normes internationales. Parmi eux figure celui de l’UM6P, qui abrite le SuperCalculateur le plus puissant d’Afrique, connu sous le nom de « African Supercomputing Center ». Cette installation place le Maroc parmi le Top 100 mondial des centres intelligents. Il convient également de noter que notre engagement dans le développement de l’IA s’accompagne naturellement d’une attention particulière portée à la cybersécurité. A travers sa présidence du Réseau africain des autorités de cybersécurité, le Maroc œuvre pour garantir un développement sécurisé et responsable de ces technologies.
Comment le Royaume se prépare-t-il à la révolution IA et quelle est sa stratégie en terme de formation ?
Notre pays a mis en place la stratégie nationale « Maroc Digital 2030 », qui place l’IA comme levier principal. Cette initiative vise à moderniser notre administration, notre économie, et à créer un environnement propice à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Pour concrétiser cette vision, une priorité est donnée à la formation des talents dans les technologies numériques. L’objectif est de former chaque année 22 500 jeunes aux compétences digitales d’ici 2027, avec un focus particulier sur l’intelligence artificielle. Le pays forme actuellement plus de 13 000 jeunes par an, et plus de 140 filières dédiées aux technologies numériques ont été créées dans nos universités, dont plus de 20 consacrées spécifiquement à l’IA. Des initiatives telles que la plateforme e-learning « Academia Raqmya » ou les programmes « GENIE » et « JobInTech » visent à renforcer les capacités des fonctionnaires, des entreprises et des jeunes.
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Vous avez organisé l’année dernière l’ »Africa forum », un forum qui fait date. Un mot sur la coopération internationale ?
Le Forum de haut niveau sur l’Intelligence artificielle auquel vous faites allusion a été un événement qui a permis d’évaluer l’état actuel de l’IA en Afrique et de réfléchir sur la manière d’adapter sa gouvernance aux priorités africaines. Il a constitué aussi l’occasion de travailler à l’élaboration d’une stratégie commune pour promouvoir l’intelligence artificielle, tout en renforçant les capacités des secteurs public et privé, avec une attention particulière à l’inclusion des jeunes et des femmes. Il a également mis l’accent sur la nécessité de renforcer les collaborations entre les centres d’IA africains et mondiaux. Un des moments forts de cet événement a été l’approbation par acclamations du « Consensus Africain de Rabat ». Nous avons d’autre part soutenu l’initiative de Smart Africa pour la création d’un Conseil de l’IA pour l’Afrique. Ce Conseil, qui représente une avancée majeure pour notre continent, permettra d’assurer que l’IA est utilisée pour servir le bien-être de toutes les populations africaines, tout en respectant les principes d’éthique et de durabilité
Une Résolution coparrainée par le Maroc et les Etats-Unis
En matière d’initiatives internationales, le Maroc a été à l’avant-garde. Il a joué un rôle central dans l’adoption du premier instrument normatif mondial sur l’éthique de l’intelligence artificielle élaboré par l’UNESCO, une recommandation qui a été adoptée en novembre 2021. En mars 2022, le Maroc a officiellement adopté cette recommandation et a mis en place un Comité de pilotage sur l’éthique de l’IA. Cet engagement s’est concrétisé par la publication, en mai 2024, du premier « Rapport sur l’état de préparation du Maroc à l’utilisation et au développement responsables de l’Intelligence Artificielle ». Le Maroc a d’autre part coparrainé avec les États-Unis la première résolution onusienne sur l’Intelligence Artificielle, qui a été adoptée par consensus en mars 2024. Cette résolution marque une étape historique vers l’établissement de normes internationales claires pour l’IA. Nous avons également lancé, en juin 2024, le « Groupe des Amis sur l’intelligence artificielle pour le développement durable », une initiative visant à mobiliser des efforts pour l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) grâce à l’IA.
Le Maroc a signé la déclaration commune signée par 59 états, les Etats Unis et le Royaume uni ayant fait quant à eux défection. Que retenir de cette déclaration ?
Reconnaissant les initiatives multilatérales existantes sur l’IA, notamment les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, le Pacte numérique mondial, la Recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’IA, la Stratégie continentale de l’Union africaine en matière d’IA et les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, du G7, y compris le processus d’IA de Hiroshima, et du G20, les Etats signataires ont affirmé les principales priorités suivantes :
- Promouvoir l’accessibilité de l’IA pour réduire la fracture numérique ;
- Veiller à ce que l’IA soit ouverte, inclusive, transparente, éthique, sûre et digne de confiance, en tenant compte des cadres internationaux pour tous ;
- Faire prospérer l’innovation dans le domaine de l’IA en favorisant les conditions de son développement et en évitant la concentration du marché qui favorise la reprise et le développement industriels ;
- Encourager le déploiement de l’IA qui façonne positivement l’avenir du travail et des marchés du travail et offre des opportunités de croissance durable ;
- Rendre l’IA durable pour les individus et la planète ;
- Renforcer la coopération internationale pour promouvoir la coordination dans la gouvernance internationale.
Le Maroc est également signataire de Current AI qui met à disposition des investissements. Qu’en est-il exactement?
Les 8 pays signataires ont doté la Fondation de 400 millions d’euros en attendant son élargissement à d’autres pays. Ils ont convenu ce qui suit :
- L’ouverture stimule le progrès scientifique, catalyse l’innovation et permet la concurrence. Aujourd’hui, l’ouverture dans le domaine de l’IA est largement motivée par la décision de quelques acteurs d’ouvrir partiellement leurs modèles de base. Un écosystème résilient est nécessaire pour soutenir le développement de modèles ouverts, couvrant à la fois l’établissement de normes, les outils et les meilleures pratiques.
- La responsabilité à chaque étape de la conception, du développement et du déploiement de l’IA est la pierre angulaire de la réalisation de l’IA dans l’intérêt public. La responsabilité concerne l’application des cadres internationaux existants, les conditions propices à la recherche, à la surveillance et aux institutions et à la société civile habilitées.
- La participation et la transparence sont des conditions préalables à une gouvernance démocratique de l’IA dans l’intérêt public.
Le Sommet à été précédé de journées scientifiques qui ont montré que l’IA innovation de rupture est désormais présente dans tous les secteurs. Un mot sur ce nouvel enjeu ?
Les pays tournés vers l’avenir ont compris que l’intelligence artificielle représente une avancée technologique d’une ampleur comparable à celles qui ont marqué l’Histoire. Il ne s’agit plus simplement de reconnaître son potentiel, mais bien de prendre des mesures concrètes pour en faire un moteur d’innovation et de progrès au service du bien-être collectif. Les enjeux mondiaux, tels que le changement climatique, la gestion des ressources naturelles, la santé publique ou encore la sécurité, exigent des solutions novatrices et efficaces. L’intelligence artificielle offre des outils puissants pour aborder ces défis de manière plus efficiente. L’innovation responsable est une des réponses au développement de l’IA. Avec l’IA, nous sommes au seuil d’un nouveau monde qui va transformer nos existences, nos productions, notre manière de consommer. A nous de prendre le train en marche.