Livre: « L’Émir et le messager. Les deux corps du prophète » de Mohammed Ennaji

Dans cet essai, Mohammed Ennaji aborde les deux corps, historiquement les plus significatifs : le corps prophétique et le corps politico-dynastique. Il prend comme observatoire de ces liens entre politique et sacré « l’affaire Zayd ». Et ce, en choisissant d’utiliser les sources islamiques et en optant pour une critique interne du discours afin d’en relever les failles s’il y en a.

À propos du livre

Faut-il attendre le règne omeyyade pour voir surgir la monarchie en terre d’islam comme le veut la représentation courante ? À en croire le présent livre, l’Émir et le Messager, la monarchie est née, du moins dans ses fondations, à l’époque du Prophète Muhammad lui-même, c’est-à-dire du temps «sacré» de la révélation et grâce au sacré lui-même. Le Coran parle bien des Ahl Al-bayt, les gens de la maison, autrement dit les maîtres des lieux dont la prééminence prend racine à ce moment-là.

C’est le sujet de ce livre qui s’interroge sur la complexité de la personnalité du Prophète à travers ses deux corps : le corps prophétique et le corps politico-dynastique.

Le livre est courageux mais il est surtout érudit, perspicace et intelligent dans sa façon d’interroger les sources musulmanes classiques en les serrant de plus près pour leur extirper les non-dits à ce sujet.

Extrait de l’avant-propos de l’auteur

«…Voici donc l’histoire de Zayd, dans ses grands traits, telle qu’elle est rapportée par tous les commentateurs du texte coranique, avec quelques variantes dans le détail. Le statut de Zayd fait cependant l’unanimité, il est question d’un ancien esclave que le Prophète, dans sa bonté, avait bien voulu affranchir en lui faisant l’honneur de l’adopter. Cette histoire est le point de départ de cet essai portant sur « les deux corps du Prophète ». Au-delà du récit et à partir de lui, c’est le mode de présence et d’intervention du politique dans un contexte saturé et verrouillé par le sacré qui est le sujet ici. Nous avons choisi d’utiliser les sources islamiques elles-mêmes, et d’opter pour une critique interne du discours afin d’en relever les failles s’il y en a. Quelques questions seront privilégiées : Quelles sont les raisons qui ont conduit à l’abrogation par le Coran de l’ancien système d’adoption? Pourquoi Zayd a-t-il dû divorcer d’avec Zaynab et pourquoi le Prophète Muhammad a-t-il épousé celle-ci qui était l’épouse de son fils ? Devrait-on se limiter aux réponses apportées à ces interrogations par l’exégèse et le texte coranique ou alors les aborder autrement ? Ces questions telles que formulées sortent immédiatement l’analyse du cadre strictement familial pour se situer dans le cadre social. C’est bien là le cœur de l’approche adoptée dans ‘‘Les deux corps du Prophète’’, le corps prophétique et le corps politique.

[…]

Mais l’histoire de Zayd, ou ce que nous appellerons désormais son affaire, dépasse largement le problème de l’adoption, elle touche aux fondements de l’islam, elle offre l’occasion de s’interroger dessus. C’est d’un phénomène d’ampleur dont il est question, d’un problème de fond qui interpelle, dans la perspective où nous l’abordons, les modalités d’intervention du sacré dans le réaménagement accéléré, et politique, des rapports sociaux. Il interpelle, dans ce sens, les liens entre le politique et le sacré, alors même que ce dernier est encore censé, selon la croyance profondément enracinée et répandue par l’exégèse, rayonner dans toute sa sainte pureté du vivant du Prophète, dont il aurait inspiré, à lui seul, toute la démarche. Dans la conception historique la plus courante de l’histoire islamique, le politique dynastique, autrement dit monarchique, n’a surgi qu’avec la fin de l’épisode des califes bien guidés, tous grands compagnons du Prophète. Ce serait avec les Omeyyades que les pratiques monarchiques vont occuper le devant de la scène. Il est utile de réexaminer une telle vision des choses qui idéalise le religieux islamique, avec son âge d’or où il ne s’était pas compromis avec le politique et la défense d’intérêts privés dont ceux, justement, de la famille du Prophète. Une question centrale se pose alors qui est au cœur de ce livre : s’agit-il, dans le cas de Muhammad, d’une séparation effective et radicale des deux niveaux, le sacré étant au-dessus de tout ‘‘soupçon’’ de compromission avec le politique? Ou alors serait-il question d’une conception gémellaire où le politique et le sacré sont étroitement liés dès le stade embryonnaire? Ou bien est-ce que le politique n’a fait que s’agripper, tardivement, au sacré pour gagner en fonctionnalité et, cela va de soi, en légitimité? Autrement dit, la question posée est celle des combinaisons, des ruptures, des seuils entre prophétie et monarchie, la question du quand et du comment. On peut aussi formuler la question autrement, en vue de la relier à une actualité brûlante : l’islam politique est-il une déviance née d’une interprétation en rupture avec les valeurs fondatrices de cette religion? Ou alors islam et politique sont-ils nés la main dans la main? »

Vous trouverez, en accompagnement de ce communiqué de presse, la table des matières détaillée de l’ouvrage.

À propos de l’auteur

Mohammed Ennaji, écrivain et historien, est professeur à l’Université Mohamed V, Rabat. Ses ouvrages sur le pouvoir, le religieux, les rapports sociaux, font référence sur le plan international. Parmi ses publications : Soldats, domestiques et concubines (Balland, 1994), L’amitié du prince (Casablanca, 2005), Le sujet et le mamelouk, esclavage et religion dans le monde arabe (Mille et Une Nuits, 2007), Incursions profanes (Casablanca, 2011), Le fils du prophète (La Croisée des chemins, 2014), Ma page facebook, une quête identitaire (La Croisée des chemins, 2015), L’obélisque du calife (Falia, 2016), Le corps enchaîné. Comment l’islam contrôle la femme (La Croisée des Chemins, 2020), Le secret de la lettre (La Croisée des Chemins, 2020).

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