Maroc-Afrique : Union sacrée et vision triangulaire
Par Youssef Aberbri
Les dernières visites du Roi Mohammed VI au Rwanda, en Tanzanie et au Sénégal ont connu un succès indéniable. Elles ont été traduites par la signature de plusieurs dizaines d’accords de coopération portant sur divers pour ne pas dire tous les secteurs : financier, bancaire, infrastructurel, sanitaire, éducationnel, immobilier, humain, religieux. Ces visites s’inscrivent dans la continuité d’une vision royale qui fait du Maroc un partenaire incontournable désormais et surtout le point d’orgue entre l’Afrique et l’Europe.
Décortiquer les relations du Maroc avec les pays africains déborde tout ce qui est conjoncturel pour s’en inspirer des faits historiques et des relations de fusion culturelle et humaine forgées durant des siècles. Décrire les relations du Maroc avec les pays africains doit s’inscrire globalement dans le cadre des relations du pays avec l’étranger et notamment ceux du vieux continent. Cette description gagne de précision par référence à la parole pesée de Feu Hassan II lorsqu’il comparait le Maroc à un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuillages en Europe. Il s’agit pour nous de tracer quelques éléments saillants de la stratégie d’ouverture du Maroc sur les pays africains tout en rappelant, sommairement, quelques faits historiques bien déterminants.
L’analyse de la stratégie d’ouverture du Maroc vers les pays africains est motivée, principalement, par l’évolution accentuée des relations économiques, attestant d’une nette amélioration des mouvements et des échanges. Si depuis l’indépendance, le Maroc a essayé de réaffirmer son identité africaine en plaçant le continent au coeur de ses choix stratégiques, notamment sur le plan politique, la question du Sahara marocain semblait constituer un tournant majeur et parfois un obstacle du fait de l’incompréhension qui a caractérisé l’évolution de ce dossier et du jeu de pressions algérien.
A tel point que le pays quittait l’Organisation de l’Union Africaine en claquant ses portes en 1984. Toutefois et notamment depuis l’intronisation de Sa Majesté Mohammed VI, les choses semblent basculer graduellement mais surement vers un retour de plus en plus pesant du Maroc en Afrique. Un retour forgé par une présence économique de plus en plus significative au point qu’on classe le Maroc comme l’un des plus importants investisseurs africains, après l’Afrique du Sud, sur tout le continent. Après des années de sécheresse, l’arbre semble reprendre croissance et donner ses premiers fruits par le biais de la politique des grands chantiers lancés dans le pays qu’il s’agisse d’infrastructures portuaires comme Tanger-Med, d’autoroutes, du projet TGV, de différentes plates-formes industrielles dédiées notamment à l’export comme le projet Renault à Tanger. La croissance amorcée dans le pays semble s’orienter vers une stabilité et un développement économique pour donner des fruits qui profiteront aussi aux racines africaines du pays.
L’ouverture du Royaume vers le continent africain semble essentiellement traduire une vision stratégique de long terme qui essaye de diversifier ses débouchés et de ne plus dépendre exclusivement du vieux continent dont une croissance en berne peut handicaper fortement les efforts de développement consenti pendant des années. De fait, le Maroc cherche stratégiquement, et donc sur le long terme, à tirer profit de la globalisation économique en essayant de sortir l’état de lieux prévalant sur le plan géopolitique dans la région, par le biais d’un mouvement volontariste, explorant toutes les voies possibles pour transcender le statu quo dans ces relations difficiles avec son voisin de l’est. On se jette alors dans l’édification d’un développement qui vise la consolidation de ses relations politiques avec les pays africains et l’établissement de partenariats diversifiés et féconds selon une logique Win-Win axée principalement sur les vertus de la coopération Sud-Sud.
C’est ainsi que la coopération maroco-africaine peut se prévaloir de centaines d’accords, de conventions et de joint-ventures finalisés. Ce faisant, l’un des outils offerts est celui d’exporter le modèle de développement à « la marocaine » tout en tirant essentiellement profit de sa position stratégique comme porte d’entrée de l’Afrique. Dans le sillon de cette perspective, le Maroc compte consolider davantage ses relations avec les pays de l’UE au profit de l’Afrique, en déployant notamment une intense « diplomatie économique » et renforçant sa nouvelle conception en la matière. Les différents déplacements du Souverain dans plusieurs pays africains attestent d’une prise de conscience hautement stratégique de tels impératifs.
Si les relations politiques prédominent, question de l’intégrité territoriale du pays oblige, celles de portée économique et commerciale semblent primer de plus en plus, notamment en visant l’établissement de rapports économiques plus équitables, justes et équilibrés, et qui embrassent concrètement tous les domaines.
La stratégie de développement du Maroc vers l’Afrique semble alors se conjuguer aux temps économiques et se conformer aux impératifs de développement. Sans être exhaustif, les axes de cette stratégie tendent essentiellement à :
– Exploiter efficacement les fruits du développement du tissu productif exportateur du pays en tirant profit des infrastructures mises en place et aussi de la proximité de grands marchés prometteurs non seulement en termes de consommation , mais aussi en termes de besoins de développement (équipement, infrastructures…)
– S’implanter directement dans les pays africains comme c’est le cas pour le secteur bancaire qui prône la fusion avec les banques de la place notamment au Sénégal, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Congo Brazzaville, au Rwanda…
– Revendre le savoir-faire marocain dans des domaines de développement, comme ceux d’électrification surtout dans le milieu rural, d’accès à l’eau potable, d’exploitation minière, de construction de barrages, d’infrastructures routières et ferroviaires, de télécommunications et de nouvelles technologies.
– Tirer profit des expériences réussies notamment en matière de politique sociale comme pour la lutte contre l’analphabétisme et la lutte contre la pauvreté et la précarité ou en faveur de l’habitat social.
En somme, l’ouverture du Maroc vers les pays d’Afrique traduit un véritable choix stratégique d’exporter ce que le Royaume sait faire et dont les pays africains frères pourront tirer profit aux meilleures conditions. En bref, c’est donc tout un modèle de développement économique que le Maroc se propose d’exporter sur le continent africain. A travers cette stratégie, il se place au coeur d’une coopération dans laquelle il joue le rôle d’un hub régional et de trait d’union entre l’Europe et l’Afrique.