Maroc des Territoires : Inclusion, Solidarité, Equité Région Drâa-Tafilalet

Le CDS ( Conseil du Développement et de la Solidarité) vient  d’organiser  une rencontre dédiée au développement de la région Draa Tafilal avec l’objectif de débattre des grandes lignes d’action , comportant une feuille de route construite en intelligence collective. Le CDS a pour ambition d être dans une double dynamique : servir à la fois de laboratoire d idées et de propositions et être un aiguillon pour les décideurs publics souvent pris dans la dictature de l’urgence.

En présence de participants représentant ceux qui décident du futur de cette région, riche en potentiel mais aussi en déficits, deux intervenants et témoins de cette importante rencontre : le ministre
Nizar Baraka et le Directeur de la CDG, Khalid Safir,  qui a inscrit au cœur de sa stratégie le développement des territoires. Ouvert à toute proposition, le ministre a présenté son programme d’actions pour la lutte contre la pauvreté, le désenclavement de la région pour sortir la région de son isolement, l’accès à l’eau…

La présentation d’une étude pertinente et riche en informations sur la région a été faite par Samir Sahraoui, ancien directeur général de l’ONMT et fondateur entre autres du Cabinet Chorus Consulting Hospitality & Leisure.

Cette étude a  constitué la base de réflexion des intervenants présents, experts, responsables politiques et économiques.  Ces diagnostics et propositions de haute valeur seront présentées dans un Livre Blanc qui viendra enrichir l’action des pouvoirs publics. Ci-joint, la contribution d’un expert ONU-Habitat.

Par Monceyf Fadili (*)

Sous le titre ambitieux « Maroc des Territoires : Inclusion, Solidarité, Equité – L’exemple de la Région Drâa-Tafilalet », le Conseil du Développement et de la Solidarité (CDS) a organisé une rencontre d’experts, de décideurs et d’acteurs locaux, le 17 juillet 2024 à Rabat. Une tradition que le CDS, sous la présidence de Mohamed Benamour et l’accompagnement d’une équipe engagée, s’emploie à entretenir depuis une quinzaine d’années, dans une perspective de mise en commun des intelligences collectives au service des pouvoirs publics et des entrepreneurs.

Une démarche qui se veut un think tank axé sur les territoires et leur promotion, tout comme une force de propositions citoyenne récemment traduite dans le Livre blanc sur « L’investissement et le rôle de l’Etat territorial ». Derrière la problématique des territoires est posée la question des inégalités qui frappent les « territoires oubliés » et les espaces pâtissant de nombreux manques – alors même que la Constitution de 2011 confère davantage de pouvoirs aux régions –, mais également la question des potentialités, au nombre desquelles le tourisme.

Drâa-Tafilalet : un territoire entre déficits et potentialités

Issue du découpage territorial de 2015, la région Drâa-Tafilalet compte cinq provinces – Errachidia – Midelt – Ouarzazate – Tinghir – Zagora –, faisant de cet espace la 3ème région par la superficie (88.836 km2) et la 9ème par la population (1.700.000 hab.) sur les 12 régions du Royaume, pour 4,5% de la population nationale et un taux de densité relativement bas, 19 hab./km2 pour une moyenne nationale de 52 hab./km2.

La volonté de « regrouper les régions les plus défavorisées » afin de « mettre ensemble pour rattraper » place les pouvoirs publics face au défi de combler les nombreux déficits en faveur d’espaces excentrés, longtemps associés à des régions laissées-pour-compte et qui, de l’avis des acteurs institutionnels et des élus locaux, n’a pas pu bénéficier des apports nécessaires du Maroc des régions, particulièrement en termes de décentralisation et de déconcentration.

Un vaste espace qui a notamment été privé de l’un de ses centres de vocation, à savoir Meknès, de par ses liens historiques et dynastiques avec le Tafilalet. Un handicap auquel s’ajoute la configuration d’un espace enclavé – avec les régions de Fès-Meknès et Béni Mellal-Khénifra – et une trame urbaine fragile articulée autour de deux villes moyennes distantes de 300 km (Errachidia, chef-lieu de province et de région, 217.000 hab. ; Ouarzazate, chef-lieu de province, 180.000 hab.), enregistrant le taux d’urbanisation régional le plus bas – 36,5% pour un taux national de 64% (2022).

Espace présaharien au climat aride avec de fortes amplitudes thermiques (de -1° C à +42° C), la région est soumise aux effets cumulés de la sécheresse et d’un stress hydrique avancé (malgré la présence de deux barrages), dans un contexte de surexploitation des eaux de surface et de la nappe phréatique, aggravée par des cultures à forte utilisation d’eau (Zagora) et devant faire l’objet de « points de vigilance ».

Autant de facteurs qui pénalisent une région dont les indicateurs économiques et sociaux relèvent des espaces de pauvreté. Avec un secteur essentiellement tertiaire (61% contre 20% pour le primaire et 19% pour le secondaire), la région génère peu de valeur ajoutée et produit 2,6% du PIB national, soit près de la moitié de son poids démographique ; un PIB/hab. de 15.000 DH pour une moyenne nationale de 35.000 DH. Ce qui révèle entre autres un taux élevé de pauvreté, plus de 20% sur la carte de la pauvreté contre 8,9% à l’échelle nationale, dont 25 communes rurales (+30%) figurant parmi les territoires d’intervention de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH).

Lire aussi : Drâa-Tafilalet : un rayonnement artistique et culturel impressionnant en 2023

Au plan des ressources naturelles, la région Drâa-Tafilalet représente l’espace oasien par excellence (provinces d’Errachidia, Ouarzazate, Zagora), un écosystème tout aussi riche que vulnérable (recul de la palmeraie, maladie du Bayoud). Pour ce patrimoine à valeur immatérielle, le Maroc a obtenu en 2000 le label Réserve mondiale de la biosphère pour l’ensemble des oasis présahariennes, sous la dénomination « Réserve de Biosphère des Oasis du Sud Marocain » estimée à 80.000 km2 et décernée par l’Unesco ; l’oasis du Tafilalet étant l’une des plus vastes au monde avec une palmeraie de 65.000 ha.

L’habitat traditionnel de pisé représenté par les Ksours et Kasbahs constitue un atout certain en tant que patrimoine matériel, dont le Ksar Aït Benhaddou, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco (1987) est l’un des emblèmes, rehaussé par les nombreuses productions cinématographiques internationales in situ.

En termes de potentialités, la région a vu le volet structurant renforcé par l’élargissement des routes et nombre d’infrastructures, pour améliorer la mobilité et faciliter l’accès au tourisme, le point culminant de cette initiative étant le projet de tunnel de l’Ourika sur la route n° 9 reliant Marrakech à Ouarzazate, d’une longueur de 10 km et destiné à rapprocher les deux régions par un gain de trajet de 60 mn.

Au niveau structurel, l’investissement dans la région est orienté vers les énergies renouvelables avec la construction de la station solaire Noor d’une capacité de 580 MW, qui inscrit la région dans le cadre des technologies avancées et de la transition énergétique en Afrique. Quant à l’extraction minière, qui représente 40% du secteur au Maroc, elle compte – en dehors des phosphates – 6 des 24 métaux stratégiques répertoriés par le Conseil Economique, Social et Environnemental (barytine, cobalt, cuivre, fluorine, manganèse, nickel), à forte valeur ajoutée mais peu employeuse de main-d’œuvre (8.000 emplois) et sans retombées sur la région.

Quant au secteur tertiaire, il est essentiellement représenté par le tourisme, articulé à deux aéroports internationaux (Errachidia et Ouarzazate) et véhiculant l’image de la région. Premier secteur employeur de main-d’œuvre avec 20.000 emplois, il compte 18.450 lits, soit 7% de la capacité hôtelière nationale mais 2% des nuitées. Un handicap à surmonter, si l’on considère que la recette moyenne par touriste est de 600 $ pour la région contre 900 $ pour le Maroc, la moyenne mondiale étant de 1.000 $ (Thaïlande, 2.000 $).

Le tourisme : un levier de développement nécessaire mais pas suffisant

Reconnu comme levier de développement et porte d’entrée de la région, le secteur touristique se trouve face à de nombreux défis, au vu du « retard considérable pris par la région », dans un environnement de concurrence nationale et internationale affirmée (Marrakech, 2 millions de touristes accueillis, 2023 ; Agadir, 1,1 million, 2023 ; Canaries, 14 millions, 2023). Dans le contexte mondial du travail, où le tourisme représente 300 millions d’emplois, soit 1 emploi sur 10 et 1,5 emploi induit, se pose la question des moyens appropriés pour redresser un secteur qualifié de « sinistré », alors que celui-ci est considéré comme prioritaire par les pouvoirs publics. Une priorité que reconnaît la communauté internationale à travers la Cible 8.9 de l’ODD 8 relatif à l’accès à un emploi décent : « D’ici à 2030, élaborer et mettre en œuvre des politiques visant à développer un tourisme durable qui crée des emplois et mette en valeur la culture et les produits locaux ».

Un tel défi, que la région Drâa-Tafilalet est appelée à relever à travers la Feuille de route du tourisme 2023-2026 avec l’objectif de 17,5 millions de touristes et la création de 200.000 emplois directs et indirects, pose un certain nombre de prérequis, pour peu que l’on veuille inscrire le secteur du tourisme dans un cadre de développement associant l’ensemble des acteurs, intégré et durable, et créer les conditions d’un cadre tout aussi attractif que compétitif.

Au premier rang des priorités figure une politique volontariste de l’Etat relayée par la Région, par la mise en œuvre d’un projet territorial cohérent et soutenu par les populations locales, aux fins de combler les déficits économiques et sociaux, et les articuler à une politique touristique en phase avec les spécificités culturelles et environnementales. La région doit faire l’objet d’un plan d’urgence concerté en matière de rattrapage, dont une nécessaire mise à niveau urbaine, sachant que la région est la seule à ne pas avoir bénéficié de ce programme national en faveur des collectivités territoriales. Une mise à niveau qui s’accompagne de l’accès à de nouvelles infrastructures, accélère le désenclavement et améliore la desserte, développe les services de base, notamment l’accès à l’eau et l’assainissement, la gestion des déchets, les soins de santé et la protection sociale, les écoles, les transports et télécommunications.

Autant de facteurs qui doivent amener le secteur touristique à envisager son activité comme un instrument de développement et de réduction de la pauvreté, aux effets induits sur l’attractivité territoriale. Dans ce sens, le tourisme doit permettre l’appui à des programmes d’aménagement du territoire inscrits dans une démarche mutualisée avec les acteurs locaux.

Il s’agit notamment de renforcer les nombreuses passerelles existantes ou potentielles avec un capital humain riche d’histoire, de culture et de savoir-faire. De tradition séculaire, l’espace oasien représente l’un des produits rares du tourisme globalisé, dont les décideurs et les professionnels doivent tirer le meilleur parti, en travaillant sur les modalités d’intégration des pratiques touristiques dans les territoires d’accueil.

Outre une approche en amont, qui suppose un ciblage de la clientèle, le renforcement du réseau aérien, la priorisation des investissements, l’incitation fiscale et la relance des structures hôtelières, une démarche en aval est à développer, proche des territoires et des populations, en adéquation avec les attentes et les besoins locaux, notamment les jeunes et les femmes.

Un véritable plan de développement régional fédérant les acteurs locaux est à mettre en œuvre pour un « travailler ensemble », qui mette en exergue les avantages comparatifs de la région en matière de développement et de tourisme. Il s’agit notamment de l’écotourisme et du tourisme de randonnée – oasien et montagnard –, du tourisme patrimonial et architectural, de la transformation des nombreux produits du terroir et leur labélisation, la valorisation des savoir-faire artisanaux (tapis de Taznakht et Aït Ouaouzguite, poteries de Tamgrout, vanneries des palmeraies, eau de rose de Kelaat-M’gouna).

Une telle démarche devra s’appuyer sur le capital humain, par le renforcement de filières de formation adaptées à la région et génératrices d’emplois telles que les métiers de l’hôtellerie et de la restauration, l’articulation à l’industrie cinématographique, mais également la valorisation des produits miniers par l’établissement de liens en aval avec l’industrie.

En plaçant les populations au cœur de la stratégie de développement, et en considérant le territoire comme un espace et un patrimoine en partage, la région Drâa-Tafilalet pourra réunir les conditions d’un développement équilibré, en harmonie avec un secteur touristique créateur de richesses pour le plus grand nombre.

(*) Monceyf Fadili

Expert international en planification urbaine et développement territorial, Ancien Conseiller UN-Habitat

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