Maroc / Etats-Unis, la genèse de la crise
C’est un contexte inédit, marqué de soubresauts et d’inattendus, que le Maroc et les Etats-Unis semblent vivre à présent. La raison essentielle et officielle ? La publication le 13 avril dernier de l’annuel rapport du Département d’Etat américain sur les droits de l’Homme au Maroc. Le gouvernement marocain, qui a néanmoins attendu cinq semaines pour y réagir conteste violemment la teneur de ce rapport qu’il juge non seulement partial et tendancieux, mais relevant d’un « caractère décalé avec la réalité » ! Deux réactions officielles ont été rendues publiques en moins de vingt-quatre heures, la première émanant du ministère de l’Intérieur, la seconde du ministère des Affaires étrangères et de la coopération. Elles s’accordent toutes les deux à souligner particulièrement la gravité de ce qu’on peut appeler une prise de position du gouvernement américain à l’égard du Maroc et, surtout, ce qui s’apparente à la confirmation d’une hostilité programmée depuis des mois maintenant voire plus…
Preuve en est que le porte-parole du gouvernement américain, interpellé par le Maroc sur la nature hostile du rapport, a persisté et signé, en rejetant avec force les arguments du gouvernement marocain. On peut en effet arguer de l’intangible traitement fait chaque année par les Américains de la question des droits de l’Homme au Maroc et se dire qu’il ne varie guère, habitués que nous sommes aux critiques que ses rédacteurs formulent, parfois même aux extravagances et aux approximations érigées en vérité de…La Palice !
En revanche, il n’est pas difficile d’imaginer une continuité entre le rapport sur les droits de l’Homme et la campagne anti-marocaine lancée notamment au mois d’avril par le gouvernement américain aux Nations unies. La préparation, la rédaction du projet de résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara, confiées aux Etats-Unis avant d’être soumise à la discussion – comme la tradition le veut – entre les membres de cette suprême instance, avait déjà donné le ton début avril sur une volonté manifeste d’accabler le Maroc.
Autrement dit, pour la première fois, délibérément, les Etats-Unis ont mis en cause le Maroc au Conseil de sécurité et tenté de le déstabiliser ouvertement, sans ménagement aucun. Leur représentante, Samantha Power, tout à sa cruauté paranoïaque contre le Maroc, n’a pas hésité une seconde pour l’épingler et s’est employée avec véhémence à imposer aux membres du Conseil de sécurité l’avant-projet américain sur le Sahara. Lequel favorisait la thèse algérienne, au niveau du rôle de la MINURSO, ensuite pour l’organisation du sempiternel référendum dont elle est devenue la promotrice, ignorant que le Maroc ne s’est jamais opposé depuis 1981 à son principe, mais exige au préalable un recensement et l’authentification des vrais sahraouis éligibles pour voter. Journaliste de son état, évoluant sous la chape d’une Mary Kerry Kennedy, sa marraine, Samantha Power sait-elle au moins que le HCR (Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU) n’a jamais réussi à mettre les pieds dans les camps de Tindouf ?
Dans la foulée du rapport tendancieux que le Département d’Etat a publié le 13 avril, le Maroc n’avait guère d’autre choix que de s’inscrire en faux contre ses malveillantes « évidences » ! Il devait obligatoirement souligner la corrélation malheureuse entre l’attitude des Etats-Unis lors du vote de la Résolution 2285 et la publication du rapport. L’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc, Dwight Bush, tout à sa confusion a été convoqué par deux fois, par Mohamed Hassad, ministre de l’Intérieur et ensuite par Nasser Bourita, ministre délégué aux Affaires étrangères. S’il a tenu à souligner en termes diplomatiques la qualité des rapports entre son pays et le Maroc, Dwight Bush n’a pas pour autant renié un seul mot du texte que son gouvernement a publié.
C’est peu dire, en effet, que les proclamations vertueuses sont une chose et les actes une autre ! Inaugurée par un républicain dans les années soixante-dix et quatre-vingt, Henry Kissinger, la Realpolitik américaine n’a jamais autant fleuri qu’au temps des démocrates, privilégiant, au nom de « l’America first » la défense des intérêts de leur pays, au prix de renoncements et même de reniements idéologiques. Et de fait, cette Realpolitik s’est muée en cynisme, à telle enseigne que le Roi Mohammed VI, dans le significatif discours qu’il a prononcé le 20 avril dernier à Ryad devant les chefs d’Etat des pays du Golfe, n’a pas hésité à évoquer une volonté de fomenter des complots, lançant ce verdict sans appel : « La situation est grave, surtout au regard de la confusion patente dans les prises de position et du double langage dans l’expression de l’amitié et de l’alliance, parallèlement aux coups de poignard dans le dos » !
Les observateurs ne se sont pas fait faute de déceler une réponse appropriée à l’endroit du gouvernement américain, une flèche bien décochée. A posteriori, l’analyse nous semble découler de source, et sans doute mis déjà au courant du contenu du rapport, le Roi Mohammed VI a-t-il en conséquence corsé le texte du discours qu’il a prononcé le 20 avril à Ryad. Le comportement du gouvernement américain lors des discussions du Conseil de sécurité portant sur le Sahara nous dispense de toute justification : il a pêché par une aporie plus que scandaleuse. Quand John Kerry ne tarissait pas d’éloges sur le Maroc et son modèle démocratique, son staff et les autres institutions du gouvernement américain s’échinaient a contrario au Conseil de sécurité à une œuvre de sape, dans le sillage bien tracé d’un Ban Ki-moon, tout à sa rage d’enterrer le plan d’autonomie au Sahara et toute négociation politique.
Le gouvernement américain aura beau dire que la littérature qui constitue le contenu de son rapport est d’une limpidité irréprochable. Les rhéteurs qui le suivent et lui trouvent des excuses, les sycophantes empressés qui, le même langage contempteur aidant, qui croient nous révéler les failles, les manquements voire les erreurs du Maroc dans sa gestion de cette crise, ou des crises en général, ne nous apprennent rien en réalité ! Nous savons tous la part des fautes et des erreurs commises depuis des lustres en matière diplomatique, peut-être même mesurons nous mieux les dégâts des postures décalées, inappropriées et contre nature de notre politique étrangère !
Ce serait, en revanche, se méprendre sur la puissance impériale d’un pays comme les Etats-Unis qui entend souffler le chaud et le froid et tracer la voie aux autres, qui nous surprend par ses contradictions avérées, occulte d’un revers de main les efforts considérables que le Maroc fournit pour renforcer sa démocratie, défendre son modèle de société, asseoir contre vents et marées sa modernité, sa diversité et son pluralisme, enfin défendre son intégrité territoriale et son unité. Toutes ces notions n’échappent pas à l’histoire et à la mémoire du peuple américain qui a combattu pour la liberté et la dignité.