Maroc-France : Entre diplomatie, économie et sécurité régionale

Entre avancées diplomatiques, investissements économiques massifs et ambitions partagées pour l’Afrique, les relations entre le Maroc et la France illustrent une dynamique bilatérale aux enjeux pour la stabilité et le développement régional. Il a été un point culminant de la diplomatie marocaine en 2024. Emmanuel Dupuy fait le décryptage.

L’année 2024 a marqué une évolution majeure dans la relation entre le Maroc et la France, qui s’était dégradée au fil des années précédentes. Comme l’a expliqué Emmanuel Dupuy, président de l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE), « cette relation, bien qu’historique et stratégique, avait atteint un point de crispation qui rendait impératif un rééquilibrage. Les différends autour des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) en étaient un exemple emblématique. »

Cependant, un événement est venu amorcer une dynamique nouvelle : la lettre personnelle du président Emmanuel Macron adressée à Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 30 juillet 2024, marquant un changement de position historique de la France sur la question du Sahara occidental. En reconnaissant la pleine souveraineté du Maroc sur les provinces du Sud, la France a non seulement corrigé un écart diplomatique, mais a également ouvert la voie à un partenariat renforcé.

La visite d’État d’Emmanuel Macron à Rabat, en octobre 2024, a constitué un point culminant de cette nouvelle dynamique. Accompagné de plusieurs ministres et d’une centaine de dirigeants d’entreprises françaises, le président français a signé pas moins de 22 accords, totalisant près de 10 milliards d’euros d’investissements. Emmanuel Dupuy souligne que « cette visite a permis de repositionner la France comme un acteur incontournable dans le développement économique et infrastructurel du Maroc, notamment dans les provinces du Sud. »

Parmi les projets phares, le renforcement du réseau ferroviaire marocain illustre cette coopération accrue. Un contrat majeur entre Stellaris et l’Office National des Chemins de Fer (ONCF) prévoit l’acquisition de nouvelles rames pour étendre le train à grande vitesse (TGV) vers Agadir et Marrakech.

Des enjeux économiques et stratégiques à l’échelle régionale

Cette collaboration renforcée ne se limite pas au territoire marocain. Elle s’inscrit dans une ambition plus large d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest et dans la région sahélo-saharienne. Emmanuel Dupuy rappelle que « la reconnaissance de la marocanité du Sahara constitue un levier stratégique pour la France, qui peut ainsi bénéficier de la position du Maroc comme hub économique et diplomatique dans cette région clé. »

Lire aussi : « Ma visite dans les provinces du Sud s’inscrit dans le cadre du nouveau livre » des relations entre la France et le Maroc

Le gazoduc Nigeria-Maroc, approuvé par la CEDEAO, est l’un des projets les plus emblématiques de cette vision commune. Traversant 13 pays et visant à fournir du gaz à l’Europe tout en stimulant l’économie des pays enclavés, ce projet illustre l’importance de la coopération maroco-française pour la stabilité énergétique de la région.

Sur le plan sécuritaire, la dynamique maroco-française prend une importance cruciale dans le contexte de la crise sahélo-saharienne. Alors que la France a vu sa présence militaire remise en question dans des pays comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso, le Maroc s’impose comme un acteur stabilisateur. Emmanuel Dupuy souligne que « le Maroc, grâce à sa diplomatie proactive et à ses relations solides avec ces pays, peut servir de facilitateur pour rétablir les liens entre la France et ces nations stratégiques. »

Un exemple marquant a été la libération de quatre ressortissants français au Burkina Faso grâce à la médiation personnelle de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. De même, le Maroc joue un rôle actif dans les négociations pour la libération de Mohamed Bazoum, président du Niger destitué en 2023.

L’année 2025 promet de consolider ces avancées avec des événements symboliques comme la commémoration du 70ème anniversaire des accords de la Seine-Saint-Cloud. Cette célébration sera l’occasion d’annoncer de nouveaux projets stratégiques, notamment dans les domaines énergétique, culturel et infrastructurel.

Maroc-Mauritanie : Un rapprochement diplomatique et économique

Le rapprochement diplomatique et économique entre le Maroc et la Mauritanie constitue l’émergence d’un nouvel axe stratégique au sein de l’Afrique de l’Ouest.  Depuis l’élection de Mohamed Ould Cheikh Ghazouani à la présidence de la Mauritanie et son rôle à la tête de l’Union africaine, les relations entre Rabat et Nouakchott ont connu un essor significatif. « Les rencontres régulières entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays témoignent d’une volonté partagée de renforcer la coopération bilatérale», explique Emmanuel Dupuy. En décembre dernier, la visite du président de l’Assemblée nationale mauritanienne, Mohamed Bamba Meguet, a conduit à la création d’un forum parlementaire entre les deux nations. Cet élan diplomatique s’inscrit également dans le cadre du Projet Royal de la façade atlantique, proposé par le Roi Mohammed VI.

La coopération économique entre le Maroc, la Mauritanie et leurs voisins comme le Sénégal ouvre la voie à des projets ambitieux. « Le gazoduc Maroc-Nigéria est un exemple emblématique d’intégration énergétique, offrant des opportunités de croissance pour les économies locales et régionales », ajoute Emmanuel Dupuy. Par ailleurs, les discussions entre le premier ministre sénégalais et son homologue mauritanien renforcent l’idée d’une collaboration énergétique transfrontalière.

Le Maroc ambitionne également de devenir un leader en matière d’hydrogène vert, avec des projets déjà en cours dans ses provinces du Sud. « Cette stratégie pourrait non seulement répondre aux besoins énergétiques internes, mais aussi positionner le royaume comme un acteur clé dans la transition énergétique mondiale », précise l’expert.

Une opportunité pour la France

La France pourrait jouer un rôle crucial dans cette dynamique, en accompagnant ces initiatives et en renforçant sa présence en Afrique de l’Ouest. Emmanuel Dupuy souligne que « l’axe Maroc-Mauritanie offre à Paris une chance de rééquilibrer son influence dans la région, en s’appuyant sur des partenaires stratégiques ». La France, confrontée à une compétition accrue de puissances émergentes comme la Chine et la Turquie, pourrait bénéficier d’un partenariat élargi en misant sur la stabilité énergétique et la sécurité régionale.

La coopération entre Rabat et Nouakchott ne se limite pas à l’économie. La Mauritanie, à l’abri des attentats depuis 2009, se distingue par son rôle de stabilisateur dans une région marquée par l’instabilité. « La Mauritanie est un havre de paix au Sahel. Elle joue un rôle de médiateur entre les différents acteurs régionaux », affirme Emmanuel Dupuy. Cette position stratégique fait de la Mauritanie un interlocuteur privilégié pour la France et les autres puissances souhaitant renforcer la sécurité transsaharienne.

Le nouvel axe de coopération Maroc-Mauritanie présente une opportunité unique pour intégrer davantage l’Afrique de l’Ouest dans les dynamiques énergétiques, économiques et sécuritaires. La France, en s’alignant sur cette vision, pourrait renforcer son rôle sur le continent. « La collaboration trilatérale entre la France, le Maroc et la Mauritanie pourrait servir de modèle pour d’autres régions, en misant sur des partenariats mutuellement bénéfiques et durables », conclut Emmanuel Dupuy. Cette stratégie ouvre la voie à un avenir prometteur pour une Afrique de l’Ouest interconnectée et prospère.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page