Le Maroc et l’Afrique, un Roi et son peuple
Christophe BOUTIN Professeur des universités
C’est à l’occasion de la fête dite « du Roi et du peuple », qui rappelle chaque année aux Marocains cette date du 20 août 1953 qui vit la réaction populaire à la destitution et au départ pour l’exil du souverain légitime, Mohammed V – celui-là même qui, une fois revenu, allait guider les premiers pas du Maroc retrouvant son indépendance – que son petit-fils, Mohammed VI, a prononcé un discours qui a surpris certains observateurs en étant presque intégralement centré sur la politique africaine du Maroc.
C’est dire que cette dernière, dont le souverain dresse ici le bilan, est un élément fort de son règne. Certes, comme il le rappelle, dès Mohammed V le Maroc s’est pleinement voulu un État africain. En accompagnant la décolonisation des autres États ; en leur permettant de s’organiser autour de ces éléments indispensables que sont « le respect de la souveraineté, l’unité nationale et l’intégrité territoriale » ; en œuvrant pour l’unité régionale lors de la célèbre Conférence de Casablanca de 1961, permettant à ce qui deviendra l’Organisation de l’Unité Africaine d’émerger en 1963.
Mais une crise intervint ensuite, lorsque cette même OUA accepta en son sein l’émanation d’une organisation séparatiste visant, justement, à mettre à mal les principes de la décolonisation, en s’attaquant à cette intégrité territoriale du royaume que la Marche verte avait permis de recouvrer en 1975. Pour autant, jamais le Maroc ne se détourna de son continent : il participa à des opérations de la paix entreprises sous couvert de l’ONU, il noua ou renoua des liens diplomatiques, et 2017 vient très logiquement de mettre un terme à cet éloignement temporaire puisque le pays fait maintenant partie de cette Union Africaine qui a succédé à l’OUA. Par ailleurs, les États membres de la CEDEAO verraient d’un œil favorable une intégration du Maroc à cette entité de coopération sous-régionale.
L’enjeu est celui du développement de ce continent qui, selon le souverain marocain, « représente l’avenir » et « a toujours été et demeurera en tête de nos priorités », un continent qu’il connaît intimement pour en avoir visité 29 pays lors de plus de cinquante déplacements. Des visites souvent longues, comme il aime à le faire, pour laisser pleinement place aux échanges et que les partenaires puissent s’apprécier, et le climat de confiance ainsi créé va bien au-delà des simples accords économiques, comme le rappelle dans ce discours le souverain à propos de son voyage effectué l’an passé à Madagascar où sa famille fut exilée.
Cette nouvelle Afrique, le souverain chérifien la voudrait « sûre d’elle-même, solidaire, unie autour de projets concrets, ouverte sur son environnement », un modèle de développement qu’il fait prévaloir à l’intérieur de ses frontières. Car ce codéveloppement, ces partenariats qui débouchent parfois sur des projets continentaux (le projet de gazoduc atlantique Nigéria-Maroc en est le meilleur exemple), mais qui permettent aussi une multitude de collaborations dans les domaines de la banque, des télécommunications, de la desserte aérienne, des travaux publics ou des phosphates, doit profiter à tous ceux qui sauront le mettre en œuvre ensemble.
C’est en cela que le discours du souverain revient sur cette relation de confiance avec le peuple marocain que symbolise cette date anniversaire. Ces partenariats et, parfois, cette aide accordée aux autres pays d’Afrique, ont au moins trois avantages pour le Maroc, qu’ont bien vu les experts qui mettent en œuvre cette volonté royale. Le premier aura été de retisser les liens avec l’organisation régionale, permettant ainsi à la position marocaine sur son droit au respect de son intégrité territoriale d’être mieux comprise. Le deuxième est de renouer avec ce que Mohammed VI nomme la « profondeur africaine » du Maroc, qui remonte à sa longue histoire. Le troisième enfin est d’apporter des débouchés aux entreprises nationales et aux jeunes Marocains. Et le souverain a choisi ce discours spécifique pour rappeler aux Marocains que ce codéveloppement, qui se fait pour eux, doit se faire avec eux, et que c’est à eux de saisir les opportunités qu’il a su ainsi dégager. Le Roi et son peuple donc.