Maroc : Quelle politique économique après la pandémie du Coronavirus ?
Par Jawad KERDOUDI*
La pandémie du coronavirus qui a frappé notre pays à partir du 20 Mars 2020 a montré à mon sens trois défaillances de notre système économique et social.
D’une part, l’importance du secteur informel puisque 4,3 M de ménages ont reçu une indemnité mensuelle de 800 à 1200 dh. Soit en prenant 4 personnes par ménage, cela concerne 17 millions de marocains qui vivent dans la précarité. Sur le plan social, l’absence de couverture médicale de tous les malades, et l’équipement insuffisant de notre système public de santé.
Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, le Fond spécial de gestion de la crise a immédiatement été utilisé pour mettre à disposition des hôpitaux les appareils nécessaires, alors que le personnel soignant, à qui je voudrais rendre hommage ici, a été renforcé par le service de santé des FAR et par les médecins privés. Evidement tous les malades ont été soignés gratuitement, et la crise sanitaire a été jusqu’à maintenant correctement gérée. La troisième défaillance est la dépendance de notre pays vis-à-vis de l’étranger, puisque plusieurs unités de production se sont arrêtées faute d’approvisionnement.
Tout cela nous amène à réfléchir sur la politique économique à adopter après la pandémie. Au niveau du modèle de développement, je préconise le maintien d’un libéralisme économique contrôlé, sans marginaliser le rôle de l’Etat qui doit jouer un rôle d’incitateur et de régulateur, avec le développement du secteur privé débarrassé de la corruption et de la rente. Je préconise également une plus grande flexibilité par rapport aux indicateurs économiques dans la mesure où ils stimulent la croissance et l’emploi. Une première mesure à prendre dès la loi de finances 2021 est de prioriser les secteurs de l’éducation, de la santé et de la couverture sociale.
Notre système éducatif doit être revu de fonds en comble pour inclure dès le primaire l’apprentissage des nouvelles techniques de l’information. On a vu au cours de cette pandémie l’extrême importance de l’utilisation de ces moyens d’information et de communication. J’insiste aussi sur l’apprentissage des langues étrangères notamment l’anglais qui est le véhicule principal de la recherche scientifique mondiale. L’Etat, nos Universités et nos Entreprises doivent développer le recherche/développement, car l’innovation est le principal facteur de progrès technologique dans tous les domaines.
En résumé, disposant de peu de ressources naturelles, nous devons développer absolument le capital humain. Le secteur public de santé doit également être profondément développé en personnel qualifié et en équipement, afin de fournir des soins de qualité et faire face aux prochaines pandémies. Il faut aussi assurer progressivement une couverture médicale à tous les citoyens marocains.
Des solutions doivent être trouvées pour résorber le secteur informel. Cela exige la simplification des procédures, et des mesures incitatives pour intégrer le secteur formel. Mais la meilleure solution est de créer le maximum d’emplois dans le secteur formel, car les chômeurs n’optent pour le secteur informel que lorsqu’ils ne trouvent pas d’opportunités dans le secteur formel.
D’où la nécessité de développer les industries de substitution aux importations qui vont réduire notre dépendance vis-à-vis de l’étranger, et de rechercher de nouveaux créneaux comme l’industrie numérique, qui est appelée à un grand développement au cours de ce XXIème siècle. Le développement de l’industrie dans notre pays nécessite une certaine protection, qu’on peut obtenir par l’utilisation des clauses de sauvegarde, et par la révision des Accords de libre-échange qui sont tous déficitaires pour notre pays.
D’autres dispositions peuvent être prises, telles que la préférence nationale, l’encadrement des importations, et le développement du partenariat public-privé. Un effort particulier doit être fait en faveur des TPME quant à l’accompagnement et à l’accès au financement. L’investissement privé doit être encouragé et l’investissement public mieux orienté vers les activités productives. Quant à l’investissement direct étranger, il faut saisir les opportunités qui s’ouvrent pour notre pays suite à la pandémie du coronavirus, dans la mesure où les investisseurs européens peuvent être amenés à délocaliser leurs entreprises d’Asie vers le Maroc, pour des raisons de proximité.
Un autre secteur à continuer à développer, est celui des énergies renouvelables notamment l’éolien et le solaire, qui outre la création d’emplois diminue notre dépendance vis-à-vis des importations d’hydrocarbures. Pour le secteur de l’agriculture, et afin de parvenir à une plus grande auto-suffisance alimentaire, il y a lieu de développer la céréaliculture, l’oléiculture et les cultures sucrières. Toutes ces mesures doivent être réalisées en respectant l’environnement dans le cadre d’un développement durable.
Sur le plan social, pour les personnes sans emploi et les démunis, la solution peut être trouvée dans la suppression de la Caisse de Compensation, et l’attribution d’une indemnité mensuelle directe sous certaines conditions (comme par exemple la scolarisation des enfants utilisée par la « Bolsa Familia » au Brésil).
Au niveau du commerce extérieur, outre l’encadrement des importations, il y a lieu de développer la production exportable et la promotion sur de nouveaux marchés en Afrique, Asie, Amérique. Pour l’équilibrer de la balance des paiements, tout doit être fait pour développer les exportations invisibles : investissements directs étrangers, transferts des RME, et le tourisme qu’il faut sauver après cette pandémie du coronavirus.
Au niveau budgétaire et afin de réduire le déficit, il y a lieu de procéder à un importante réforme fiscale pour une taxation proportionnelle du capital et du revenu. Les dépenses de l’Etat doivent être rationalisées pour éviter tout gaspillage, sans réduire les investissements publics productifs source de création d’emplois. Pour ce qui est des finances publiques, il est nécessaire de réviser les statuts de Bank Al Maghrib pour élargir son rôle en tant que vecteur de développement économique et social en plus de son rôle de contrôle de l’inflation.
* Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)