Maroc : quels rapports entretiennent les citoyens avec l’autorité policière ?
Propos recueillis par Yasmine El Khamlichi
Les relations entre les forces de sécurité et les citoyens sont-elles toujours conflictuelles ? Des cas sur le terrain le montrent. En témoignent les agressions physiques dont sont victimes les policiers d’un côté et de l’autre les dépassements professionnels de certains agents de police durant l’usage de leur arme de service. Comment expliquez cette relation ? Eclairage avec Reda Mhasni psychologue clinicien, psychothérapeute et enseignant de psychologie.
Comment accueillent les citoyens marocains l’autorité incarnée par les agents de police ?
Tout d’abord, je vous fais part d’une anecdote qu’un commissaire de police a partagée avec moi et qui illustre, justement, le rapport du marocain à l’autorité policière. Il m’a dit « quand on court derrière quelqu’un dans les quartiers populaires et qu’on crie « Au voleur, au voleur ! », les populations vont l’aider à s’échapper ! Par contre, si on crie « violeur, violeur », les gens commencent à être solidaire avec la police et nous aide à le capturer ».
Aujourd’hui, cette autorité peine à trouver une légitimité et à se faire comprendre, de par l’usage des fois abusif de l’approche sécuritaire, malgré la rupture avec l’ancien système des années de plomb.
Comment expliquez-vous ce rapport complexe liant le citoyen marocain à l’autorité policière ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la complexité du rapport liant le citoyen à l’autorité. D’abord, il y a une vacance énorme des corps intermédiaires (représentants parlementaires, élus locaux, etc.) qui devraient assurer une forme de fluidité et pacifier le lien entre le citoyen et cette autorité légitimée à faire usage de violence quand la situation dégénère. Au même temps, cet usage devrait être lié à une situation de danger, sinon cette autorité devient inopérante.
D’autant plus que le manque d’effectif est affreux, il empêche d’instaurer des approches préventives, basées sur la communication et le rapprochement du citoyen à l’autorité.
Est-ce qu’on peut évaluer le respect de l’autorité policière en se référant au degré du respect de la loi ?
Le principe du respect de la loi est le fondement même à mon avis du principe du contrat social. L’idée de la justice chez Rousseau consiste à renoncer à l’idée de la vengeance naturelle à partir du moment qu’il y a un juge pour rendre justice au citoyen.
Quand le système de justice ne rend pas réellement justice au citoyen, cela favorise le retour et la régression vers un état de justice naturelle. Face à cette situation, il est difficile de parler d’une application transversale de la loi, à partir du moment qu’elle n’est pas opérante et opérable sur tout le monde.
Au Maroc, le contournement de la loi est devenu un sport national pratiqué dans différents secteurs (l’enseignement, la justice, l’autorité, etc.). De ce fait là quand on voit de hauts responsables qui ont défrayé la chronique pour dilapidation des milliards de dirhams et qu’on ne communique pas sur les actions de justice infligées à ces derniers, on laisse véhiculer l’idée que le respect de la loi concernerait davantage les plus démunis.
Cette perception du système de justice ne favorise pas l’application de la loi et encore moins le respect de l’autorité policière.
A votre avis, comment restaurer la confiance entre les citoyens marocains et la police ?
Si une vitre brisée sur un bâtiment n’est pas immédiatement remplacée, toutes les autres seront également brisées peu de temps après, car la première laisse penser que l’édifice est abandonné. Cette théorie est née d’un célèbre article nommé « Broken Windows » paru en 1982.
Ce qui veut dire que les causes de la criminalité résident dans de petits détails du quotidien qui peuvent transformer un paisible quartier en une véritable « jungle ».
Lorsque les agents d’autorité descendent de leur voitures et se mélangent à la population, le délinquant préfère ainsi passer outre que de s’affronter à cette autorité, ce qui génère un sentiment de sécurité auprès de la population. C’est le rapprochement entre la population et les policiers qui pacifie le lien entre les deux.