Mhamed Echkoundi : « L’initiative royale de l’Atlantique Sud repositionne la sous-région dans une mondialisation en gestation »

Hassan Alaoui

Le GERM (Groupement d’études et de recherches sur la Méditerranée) a décidé d’innover en organisant il y a quelques jours un séminaire sur « l‘initiative des pays africains riverains de l’Atlantique », portée par le Maroc. « Il s’agit dans ce séminaire, a déclaré le Président du GERM Habib Malki, de faire ressortir à travers une analyse exploratoire , les opportunités de renforcement de la coopération , de libération du potentiel du développement de la région et d’amélioration de la position stratégique de cet ensemble régional sur la scène international ». Les interventions des chercheurs et universitaires du Maroc, de Mauritanie, du Nigeria,  du Gabon, du Congo et de l’ambassadeur du Cameroun, Doyen du corps diplomatique africain auront largement répondu à cette invite en mettant en exergue les avantages de l’émergence d’un bloc régional intégré tout au long de la côte atlantique  de l’Afrique , en se félicitant du rôle qu’il peut jouer pour la stabilité de la région, la paix et la sécurité de cette région actuellement en proie à de fortes  tensions. A travers l’analyse de trois axes : l’Atlantique sud dans la géopolitique mondiale ; la place du Maroc dans l’émergence d’une nouvelle organisation collective africaine ;  les  enjeux et perspectives de développement de l’Atlantique Sud,  les intervenants auront tour à tour, avec brio et pertinence, démontré comment une telle initiative s’intégrait dans un espace de coopération et de promotion d’une « Afrique tel que souhaitée par l’Agenda 2063, inclusive, prospère, pacifique et incarnant une force dynamique sur la scène mondiale ».

Mhammed Echkoundi, Professeur universitaire, enseignant-chercheur, économiste à l’Institut des études africaines, chercheur associé à l’université de Botswana, analyse pour nous les enjeux que l’Initiative royale implique dans le contexte géopolitique traversé par des crises.

MAROC DIPLOMATIQUE  : Lors du séminaire consacré à l’initiative de l’Atlantique Sud, vous avez déclaré qu’il faut tirer les enseignements de la réflexion théorique pour aller vers une mise en route. Où en sommes-nous au niveau de la réflexion ?   

MHAMMED ECHKOUNDI  : A notre niveau de chercheurs, nous pensons que la réflexion autour du processus des pays africains riverains de l’Atlantique avance de façon significative. Depuis la naissance en 2009 de cette initiative marocaine de structuration de l’espace Atlantique pour en faire un vrai levier de développement des pays d’Afrique de l’ouest voire au-delà, beaucoup de chemin a été parcouru. Force est d’observer que la dynamique caractérisant le projet a gagné en intensité.

Nous assistons à une accélération au regard du rôle que joue le Maroc en Afrique et sa volonté de renforcer l’intégration continentale par la valorisation des ressources, le renforcement de la connectivité multidimensionnelle et l’interdépendance des modèles de développement des pays africains. Pour se convaincre de cette accélération, il suffit d’en juger par le rythme des rencontres entre le Maroc et les pays concernés par l’initiative aussi bien d’un point de vue bilatéral que régional. En effet, plusieurs rencontres ont eu lieu à Rabat entre les hauts représentants des pays riverains de l’Atlantique y compris la présence d’un représentant de l’Afrique du Sud lors de la dernière rencontre. Ce qui renseigne sur l’adhésion progressive et la prise de conscience quant à l’importance de cette dynamique des points de vue de développement et de gouvernance sécuritaire. En plus, les pays concernés par l’initiative se concertent de plus en plus, autour de certains secteurs à l’instar de l’économie bleue, la protection de l’environnement et la sécurité. Tout compte fait, on peut affirmer que la dynamique est entretenue et que des avancées considérables ont été réalisées

  • Quelles sont les idées clefs que vous avez retenues de ce séminaire ?

Le séminaire a été marqué par des interventions de haut niveau, de grande densité tant au niveau de l’analyse que des propositions. Par rapport aux idées phares retenues de ce séminaire, on peut souligner, entre autres : Le fait que la dynamique des pays africains riverains de l’Atlantique intéresse les pays du continent. En effet, l’idée de gérer collectivement les ressources et contrer les menaces fait son chemin. Ensuite que  dans un monde pétri de crises inédites et de tension géopolitiques alimentant une tendance paradoxale de contraction de la mondialisation et de fragmentation du monde, l’Afrique a besoin de ressources stabilisatrices. L’initiative proposée par S.M le Roi c’en est une en ce qu’elle a été identifiée comme pouvant jouer un rôle clef dans le renforcement de la résilience des pays africains et le repositionnement de la sous-région au niveau de la nouvelle mondialisation en gestation. A plus forte raison, le temps est considéré     comme      opportun pour plus d’affirmation de la souveraineté continentale, qu’ensuite l’exploitation du potentiel de l’économie bleu nécessite l’investissement dans la formation, la surveillance et l’équipement.

Plusieurs pays africains à l’instar du Gabon comme cela a été souligné par Mme Otando Gwennaelle intervenante au Colloque donnent l’exemple en matière de développement durable, de séquestration de CO2 et de protection des espaces marins. En même temps, les contentieux maritimes entre certains pays les empêchent de tirer pleinement profit des avantages de la coopération pour la transformation des ressources et la réponse collective aux défis sécuritaires. Alors que des institutions régionales ont été créées à cet effet. L’exemple de la commission de la pêche des pays du golf de Guinée a été avancé pour montrer que ces institutions ou commissions sont loin d’être effectives. Ce qui entrave l’action collective et pousse les pays à faire face seuls aux menaces

Que les pays de l’Atlantique africain représentent plus de la moitié du PIB du continent et 60% de sa population en plus de la riche dotation en ressources naturelles, énergétiques, minières, halieutiques et hydriques, à même de donner lieu à des complémentarités industrialisantes .

  • Une idée a traversé nombre d’intervention, à savoir qu’il faudrait un autre narratif concernant l’Atlantique marquée dans la mémoire des africains comme une « mer ténébreuse » en référence à la traite des esclaves et à la page coloniale. Comme construire ce nouveau narratif ?

Ce narratif est en passe de changer pour laisser place à un nouvel emprunt de « positive thinking », de confiance en soi et d’affirmation de la pensée et de l’identité africaine. Le nouveau narratif est celui de la réappropriation de l’Atlantique par l’Afrique en vue d’en faire le levier d’une économie que nous appelons de nos vœux, c’est celle de la « mutualisation et de la solidarité, du développement durable et inclusif . Il s’agit de faire de l’Atlantique un espace de repositionnement de l’Afrique sur la scène internationale.

Cette nouvelle identité sera le fruit d’un nouveau paradigme émergent basé sur la coopération afro-africaine via l’échange d’expériences, le codéveloppement, la mise en place des chaînes de valeur africaines, la conception d’un modèle de développement continental communiquant avec les modèles de développement nationaux .Mais ce nouveau récit nécessite l’investissement dans la reprogrammation systémique pour sortir de ce passé ténébreux qui ne passe pas, pour sortir de l’exploitation appauvrissante, de cette image négative de soi en raison du poids de l’histoire et de l’impact des crises passées sur l’individu et les organisations et notamment les Etats .

  • C’est Mouhamadou Youssifou , doyen du corps diplomatique africain qui a résumé ce moment en déclarant « nous sommes à un tournant de l’Afrique et nous devons plus que jamais nous unir pour faire face aux multiples défis de sécurité , de vulnérabilité sanitaire agricole .Il faut en même temps attirer les investissements ?

Les crises actuelles et leur ampleur, peuvent être converties en opportunités si l’Afrique arrive à mettre en place les stratégies appropriées. De ce point de vue, le renforcement de l’unité africaine dans ce contexte d’incertitude radicale n’est plus un choix mais un impératif absolu. Tout indique que l’échelon national est insuffisant pour penser le développement d’un pays en raison des contraintes budgétaires, le resserrement de l’aide publique au développement, l’inflation galopante et les prérequis liés à l’économie d’échelle. D’où l’importance de l’intégration, sauf que cette dernière n’a pas honoré toutes ses promesses en Afrique à cause de la prééminence de sa portée théorique prenant le pas sur les dimensions pratiques. Ceci étant, nous assistons en Afrique à l’émergence d’une nouvelle manière de faire et d’envisager l’intégration. Il s’agit d’une approche pragmatique qui consiste à mettre en place des projets intégrationnistes à l’instar du gazoduc Nigéria-Maroc.

Une fois que nous nous sommes montrés capables de nous réapproprier  notre espace atlantique pour contrer collectivement les menaces,  en créant des dispositifs de gouvernance pour gérer et valoriser collectivement les ressources, nous créons une ambiance que l’on peut appeler de « derisquement ». Nous pourrons ainsi nous permettre d’identifier les priorités et les projets susceptibles de nous aider à créer de la richesse et repousser les dangers et  les institutions internationales, régionales ainsi que les investisseurs pourront appuyer ces initiatives. D’où l’importance de renforcer la gouvernance de ces dispositifs pour la coordination, la signature des accords et conventions intergouvernementaux. En soi, cela s’apparente à un mécanisme de garantie à même d’améliorer la note souveraine des pays parties prenantes et partant de l’espace

  • Un mot sur l’ouverture de cette zone vers l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine ?

La zone se trouve à un carrefour stratégique entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine. Au regard de sa position géographique, ses ressources et sa structuration en cours, l’Atlantique sud est appelé à jouer un rôle moteur dans la nouvelle mondialisation en gestation. C’est un espace qui peut tirer profit de deux dynamiques. Celle de réindustrialisassions et de réinvention de la politique africaine des pays tels que le Canada et les Etats-Unis d’Amérique. Celle du sud global à laquelle participent activement les pays d’Amérique Latine

L’Atlantique sud peut s’ériger en modèle d’une nouvelle mondialisation basée sur la coopération et non la compétition militarisée. D’où l’importance d’œuvrer pour que les pays de l’espace puissent façonner une offre de partenariat. L’idée c’est d’être capable de se mettre en bonne posture pour tirer profit de plusieurs modèles de développement en faisant de la diversification des partenaires une source d’inspiration, de financement et de stabilisation

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