Mobilisation médiatique contre la covid-19: un acquis professionnel et une somme d’enseignements et de bonnes pratiques
Le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle (CSCA) a adopté, lors de sa réunion tenue le 28 juillet 2020, un rapport relatif au traitement médiatique réservé à la crise de la COVID 19 par 24 services radiophoniques et télévisuels, publics et privés.
L’échantillon analysé à cet effet consiste en 6048 heures de diffusion en plus de 60 éditions de magazines d’information dédiés aux questions d’intérêt général programmés sur les services télévisuels publics généralistes (Al Aoula, 2M et Al Amazighia), entre le 1er mars et le 30 juin 2020.
Ce rapport, fondé sur une double approche quantitative et qualitative, présente une série de données et formule des remarques significatives concernant les caractéristiques du traitement médiatique de la pandémie par les radios et les chaines de télévision nationales, tout en relevant certaines lacunes ayant grevé l’effort médiatique de veille et de mobilisation dédié à cette crise sans précédent.
Une agilité et une adaptation programmatique exceptionnelles
Le rapport fait le constat d’un effort d’ajustement quantitatif inédit dans les grilles de programmes des différentes radios et des chaines de télévision. Ce renforcement programmatique orienté vers le traitement de la thématique des contraintes inhérentes à l’état d’urgence sanitaire s’est caractérisé par le fait que 50% de la grille de référence quotidienne de l’ensemble des services radiophoniques et télévisuels ont été consacrés à des contenus en rapport avec la COVID-19.
Cette réactivité médiatique est également illustrée par la création de programmes spécifiques traitant des différents aspects de la crise pandémique. Ces nouveaux programmes ont représenté plus de 33% du volume horaire, les 77% restants étant composés des émissions habituelles programmées avant la crise.
Un recours notable à l’interactivité et à l’information de proximité
La couverture radiophonique et télévisuelle de la pandémie s’est distinguée par un renforcement de l’interactivité et de l’offre de contenus de proximité.
Ainsi, la perspective citoyenne a été reflétée par l’ensemble des radios et télévisions bien qu’à des niveaux différents, dans un moment médiatique resté dominé par un recours massif aux spécialistes dans les domaines médical et académique. Le citoyen a ainsi été sollicité par toutes les rédactions. Il lui a été parfois possible d’envoyer ses propres vidéos. De même qu’il a été en mesure d’exprimer ses interrogations, ses attentes et son ressenti par rapport aux différentes dimensions de la crise pandémique.
Le fait que la totalité des programmes en direct aient été consacrés à la crise sanitaire a par ailleurs élargi les possibilités d’interaction avec les citoyens et conféré une plus grande proximité aux programmes diffusés durant cette période.
L’effort de proximité a été très perceptible au niveau de la langue de communication à travers par exemple l’usage de la darija y compris dans les journaux télévisés et parlés ou la présentation de programmes spécifiques en arabe dialectal.
L’utilisation par les médecins et les spécialistes sollicités par les radios et télévisions d’un vocabulaire simplifié et d’une narration illustrée d’exemples et de données accessibles au grand public est apparue parfois comme un réel effort de vulgarisation scientifique.
Le ciblage des différentes catégories du public a aussi participé au renforcement de l’offre de proximité dans les contenus médiatiques diffusés au cours de la période de confinement notamment. De nombreux programmes de conseil et d’orientation ont en effet été adaptés ou créés à l’attention des familles et des jeunes.
Un intérêt particulier a été également accordé par la majorité des radios et télévisions à la situation des Marocains résidant à l’étranger face à la pandémie du covid-19. Ces derniers ont pu relater leur expérience du confinement, de l’urgence sanitaire, des conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire, etc. Cet effort d’inclusion et de proximité vis-à-vis des Marocains du monde a été étendu aussi à leurs compatriotes bloqués à l’étranger après la fermeture de l’espace aérien national.
Au niveau territorial, il a été constaté que les radios et télévisions, notamment de service public, ont étendu leur couverture de la situation sanitaire et des conséquences de la crise induite par la covid-19 à l’ensemble des régions du Royaume, y compris certaines zones éloignées des grands centres urbains.
La complémentarité entre le service public de l’audiovisuel et l’offre des radios et télévisions privées
Le suivi de la couverture et du traitement médiatiques consacrés par les radios et télévisions à la question de la pandémie a permis de faire le constat d’une réelle complémentarité entre l’action du service public de l’audiovisuel et l’effort d’information et de sensibilisation déployé par les opérateurs privés dans un contexte d’urgence sanitaire. L’étude réalisée par les équipes de la HACA montre l’effort global (capsules, émissions informatives, programmes interactifs…), de sensibilisation au danger de la pandémie, de préconisation des comportements-barrière et d’explication du phénomène pandémique s’est « équitablement » réparti entre les secteurs public et privé de l’audiovisuel.
A noter qu’au plan quantitatif, les radios – publiques et privées – ont fourni les deux tiers de l’offre de programmes afférente à la pandémie et à ses implications à travers des formats très différenciés : journaux parlés, magazines d’information, émissions en direct, programmes de divertissement, etc.
Une ouverture sur l’espace digital
L’un des faits marquants relevé par le rapport de la HACA concernant le traitement médiatique de la question de la covid-19 est l’usage significatif fait par les radios et les chaines de télévision, publiques et privées, des possibilités de communication offertes par les plateformes digitales et les réseaux sociaux. Cette ouverture numérique a permis de prolonger l’effet mobilisateur des programmes audiovisuels mis en place par les radios et télévisions notamment à l’attention des jeunes. Elle a également permis une participation à distance du public aux émissions dans le respect des exigences de précaution sanitaire en vigueur pendant le confinement.
Lors de cette même réunion, le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle a émis des observations et a recommandé davantage d’efforts et de vigilance en matière de traitement médiatique des différentes dimensions et répercussions de la crise pandémique. Se fondant à la fois sur le principe du respect de la liberté éditoriale des opérateurs audiovisuels et sur le droit du citoyen à l’information, le Conseil Supérieur a ainsi émis un certain nombre de remarques dont notamment :
- Un décalage entre le discours de l’expertise médicale et celui de l’action politique, syndicale et associative
Les magazines d’information retenus dans l’échantillon étudié ont tous traité des conséquences multiformes de la crise pandémique à travers notamment les interventions en présentiel, par téléphone ou par visioconférence de nombreux spécialistes dans différentes disciplines. Cependant, l’analyse des différents passages à l’antenne a montré une faible représentation des acteurs politiques, syndicaux et associatifs parmi ces personnalités publiques intervenues sur les ondes des radios ou à l’antenne des télévisions.
Les représentants de l’administration ont ainsi représenté 27% des intervenants. Le même pourcentage (27%) a échu aux intervenants des milieux médical, scientifique, et académique. 21% et 13% des interventions ont été respectivement le fait d’acteurs politiques et de représentants des milieux professionnels. Enfin, 9% des personnalités publiques intervenues se sont exprimées au nom d’organisations de la société civile et 3% au nom d’organisations syndicales.
Une partie de ces résultats peut se justifier par les exigences de la première phase de la gestion de la pandémie où la communication devait mettre l’accent prioritairement sur les conseils sanitaires, les gestes-barrières et l’observance des règles du confinement. Mais dans un deuxième temps, un traitement médiatique élargi aux effets sociaux, économiques et politiques de la crise de la covid-19, appelait une plus grande ouverture des radios et des télévisions sur l’ensemble des acteurs publics. Cette ouverture, plus importante encore en période de crise, participe du rôle des médias en matière de promotion du débat public, de participation au fait démocratique et de renforcement de la cohésion sociale dans une conjoncture particulière marquée notamment par une grande incertitude.
- Une présence féminine inéquitable
Le rapport fait ressortir que la présence des personnalités féminines parmi l’ensemble des intervenants dans les magazines d’information analysés n’a pas dépassé la barre des 13%. Cette représentation minorée est en déphasage avec la réalité des compétences féminines impliquées dans la chose publique et expertes dans les différents domaines en rapport avec la crise sanitaire.
La sous-représentation des femmes parmi les personnalités publiques intervenues dans les programmes d’information ayant traité de la question de la covid-19 est aussi en dissonance avec le cadre référentiel édicté par la HACA en matière de garantie du pluralisme d’expression des courants de pensée et d’opinion dans les radios et les chaines de télévision. Ce cadre référentiel prévoit expressément le principe d’équité de genre dans les programmes informatifs et la participation de la femme dans ces programmes quand il s’agit notamment de débats concernant les grandes questions d’intérêt public.
- Une programmation peu attentive aux risques de la surexposition médiatique du jeune public
Ayant fait évoluer leur offre de programmes pour accompagner l’effort de mobilisation nationale contre la propagation de la covid-19, les radios et télévisions ont par mégarde omis de tenir compte du caractère anxiogène de la programmation « Covid-19 » sur les enfants et le jeune public en général.
Pour éviter l’effet « chaîne d’information continue » les médias audiovisuels notamment publics, auraient pu mettre en place davantage de programmes adaptés à des enfants exposés aux effets psychologiques du confinement et surexposés aux médias classiques et numériques.
- Un faible équilibre entre l’effort informatif et analytique
Les radios et les télévisions ont veillé à traiter les différentes dimensions de la crise sanitaire ainsi que ses nombreuses conséquences mais le rapport réalisé par la HACA a relevé que les perspectives économique et sociale ont été largement privilégiées dans ce traitement, au détriment des perspectives politique et culturelle.
Par ailleurs, le traitement médiatique de la crise de la covid-19 a été marqué globalement par la prédominance de la communication des statistiques épidémiologiques, la diffusion des communiqués institutionnels et l’effort de pédagogie préventive aux dépends d’une démarche analytique et tournée vers l’avenir. Le contexte inédit de cette crise sanitaire mondiale marqué à la fois par des incertitudes scientifiques, des enjeux économiques, sociaux et politiques complexes, des difficultés d’anticipation de la situation post-covid appelait à un plus grand effort des radios et télévisions pour aider le citoyen à mieux appréhender tous ces enjeux et à mieux à se projeter dans l’avenir.
Le renforcement de la confiance vis-à-vis des médias et la capacité de ces derniers à susciter la participation des citoyens à la mobilisation collective contre la pandémie est tributaire également de la réalisation d’un certain équilibre entre information factuelle et analyse éclairante.
En conclusion de son examen du rapport sur le traitement consacré par les radios et télévisions à la question de la crise pandémique, le CSCA a pris note de l’interaction positive de l’ensemble des services radiophoniques et télévisuels, publics et privés, avec ses précédentes recommandations à ce propos. Il a particulièrement salué l’effort qualitatif supplémentaire fourni en matière de diffusion d’émissions de sensibilisation en amazighe et en matière de renforcement de l’utilisation du langage des signes au profit des personnes souffrant d’un handicap. Le même constat a été fait concernant la diffusion de programmes dédiés à la lutte contre l’information fausse et trompeuse au sujet de la pandémie et de ses effets et la posture très vigilante des radios et télévisions monitorées par la Haca en matière de stigmatisation de personnes atteintes de la COVID 19 ou d’atteinte à leur dignité et à leur vie privée.
Le CSCA a également considéré que cette expérience de la mobilisation médiatique contre la pandémie de la covid-19 constitue un acquis professionnel et une somme d’enseignements et de bonnes pratiques qui pourraient être développés et promus au-delà du contexte particulier de la crise actuelle afin renforcer le potentiel et les capacités de l’audiovisuel national à contribuer à la gestion des crises.
Cela nécessite, a estimé le CSCA, le développement des ressources économiques et logistiques ainsi que la consolidation des aptitudes professionnelles des médias publics et privés, afin de leur permettre de participer de manière efficiente au renforcement de la confiance citoyenne en l’action publique. En permettant une interaction créative et une écoute mutuelle et continue entre les citoyens et les différents niveaux de responsabilité de la gestion de la chose publique, les médias audiovisuels peuvent contribuer à susciter la contribution du citoyen à formuler et mettre en œuvre les réponses adéquates aux crises.