Mohamed H’Midouche : la crise de Covid-19 va demander un effort économique beaucoup plus conséquent que l’effort consenti par le G20
Dans un entretien accordé à la MAP, Mohamed H’Midouche, vice-Président exécutif de l’Académie diplomatique africaine (ADA), revient sur l’initiative royale visant à limiter la propagation de la pandémie du COVID-19 en Afrique, les défis sanitaires et économiques auxquels font face les pays africains et les principaux enseignements que l’Afrique pourrait tirer de cette pandémie :
SM le Roi Mohammed VI a proposé le lancement d’une initiative africaine conjointe pour limiter la propagation de l’épidémie de coronavirus. Pourriez-vous nous dire un mot à ce sujet ?
La nouvelle initiative africaine de Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour atténuer la propagation de la pandémie liée au COVID-19 en Afrique vient s’ajouter au palmarès des nombreuses initiatives royales concrètes en faveur de notre continent portant sur plusieurs problématiques d’intérêt stratégique et politique.
L’approche participative, qui sous-tend cette initiative, s’inspire des méthodes de management les plus modernes, à savoir, le partages des “best practices”, l’adoption d’une approche de gestion axée sur les résultats comportant des Indicateurs de Performance qui faciliteraient le suivi et l’évaluation de la matrice des actions qui seront approuvées et adoptés par les Chefs d’État africains dans les prochaines semaines.
Cette approche est non seulement pratique et réaliste, mais elle est aussi inclusive et de bon sens. En définitive, elle permettra aux pays africains de procéder à une évaluation objective et chiffrée de l’impact de la pandémie du Coronavirus sur leurs économies respectives tant sur le plan domestique que régional et international, la préparation d’une matrice des mesures qu’il conviendrait de prendre à court, moyen et long terme, l’élaboration d’un plan de financement tenant compte des ressources disponibles au niveau de chaque État et mobilisables dans l’immédiat, d’évaluer les besoins en devises mobilisables à l’international sous toutes les formes (aide d’urgence gratuite en espèces et/ou en natures, levée de fonds sur les marchés domestiques et à travers les bourses africaines, le lancement d’emprunts à des taux concessionnels ou nuls …).
Cette initiative vient s’ajouter au palmarès des nombreuses initiatives royales concrètes en faveur du continent africain portant sur plusieurs problématiques d’intérêt stratégique et politique. On peut citer notamment dans ce cadre l’annonce unilatérale de l’annulation du stock de la dette des pays africains lors du Sommet Arabo-Africain du Caire en l’an 2000, la proposition et l’adoption du Plan d’action relatif à la sauvegarde de l’environnement en Afrique lors de la COP21, ainsi que les fréquentes visites officielles royales dans une trentaine de pays subsahariens au cours des deux dernières décennies qui se sont concrétisées par la signature de plus de 1.000 accords de coopération et la mise en œuvre de divers projets dans des domaines très variés.
L’Afrique fait face au coronavirus de la même manière que le reste du monde. Comment vous évaluez les mesures prises par les pays africains pour faire face à cette la pandémie ?
Dans un premier temps et suite aux conseils prodigués par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les pays africains ont accordé une attention toute particulière à l’évolution de la pandémie en adoptant des mesures de prévention progressives notamment dans les aéroports.
Par la suite, et à l’instar du Maroc, d’autres mesures plus robustes ont été adoptées par les pays africains. Il y a lieu de citer dans ce cadre la fermeture des espaces aériens, des lieux de cultes, des hôtels, des cafés, des restaurants, l’instauration d’un état d’urgence sanitaire imposant des mesures strictes de confinement, la mise en place de fonds de solidarité, le tirage de fonds spéciaux auprès du FMI, de la Banque Mondiale, de la Banque africaine de développement, de la Banque Islamique de Développement …etc .
Moins impacté que le reste du monde, le continent africain est néanmoins plus vulnérable sur le plan économique. Quelle doit être, selon vous, la 1ère riposte des décideurs pour éviter une catastrophe économique ?
La crise actuelle se manifeste partout dans le monde, y compris en Afrique, par l’arrêt des activités économiques dans tous les secteurs entraînant une récession économique plus grave que la triple crise agricole, énergétique et financières des années 2008-2009. Au titre des mesures d’urgence, nos pays ont privilégié la sauvegarde du capital humain qui constitue notre première richesse. Sauver la vie des hommes et des femmes est une priorité absolue à laquelle tous les États se sont fortement mobilisés. Les activités économiques reprendront progressivement selon le rythme de déconfinement que chaque État prendrait à son niveau en fonction de l’évolution de la pandémie. Une telle approche a été également adoptée par plusieurs pays non africains.
En attendant le retour à la vie normale, et afin d’éviter une catastrophe économique, plusieurs instruments de soutien aux entreprises seraient annoncés par les pays en fonction des ressources qu’ils auraient mobilisés. Mais, en attendant, les opérateurs économiques bénéficient déjà d’aides exceptionnelles pour passer ces mauvais temps, notamment l’obtention de facilités de caisse et de fonds de roulement auprès de leurs banques commerciales, report du paiement des échéances de crédit, report du paiement des divers impôts et taxes, paiement partiel des salaires en faveur du personnel admis au chômage technique etc..
Le moratoire du G20 sur la dette des pays les plus pauvres, notamment africains, en vue de les aider à lutter contre la pandémie, a été applaudi par les uns mais jugé inefficace par d’autres. Qu’en pensez-vous ?
Cette mesure louable, certes, permettra à ces pays d’utiliser les ressources qui étaient destinées au remboursement du service de la dette à la lutte contre la pandémie du COVID-19 au lieu de rembourser le service de leur dette. Il s’agit donc d’un petit répit et non d’une annulation de dette comme réclamée par certains dirigeants de pays africains. Par ailleurs, cette mesure ne concerne pas la dette contractée auprès des banques multilatérales de développement (Banque Mondiale, BAD, BEI …etc), ni la dette due aux banques commerciales.
A mon avis, la crise de Covid-19 va demander un effort économique beaucoup plus conséquent que l’effort consenti par le G20 pour le service de la dette. D’aucuns pensent que la meilleure façon de trouver un arrangement qui serait acceptable aussi bien par les créanciers que pour les pays africains c’est d’obtenir l’annulation pure et simple de la dette, un scénario, qui à mon avis, est peu plausible en dépit de son évocation par le passé à chaque fois qu’on était confronté à une situation pareille. Le choc économique créé par la pandémie nécessite, pour être surmonté, des capacités budgétaires exceptionnelles. Or le poids de la dette africaine empêche les pays de dégager des moyens suffisants pour faire face aux multiples impacts négatifs causés par le COVID-19.
Quelles sont, d’après vous, les principales leçons que l’Afrique devrait tirer de cette pandémie ?
Par le passé, l’Afrique a démontré sa résilience et sa capacité d’adaptation pour faire face aux chocs externes qu’ils soient d’ordre naturel, sanitaire, énergétique ou autres tels que le premier choc pétrolier de 1974, la crise de la dette de 2008-2009 etc. En dépit des différentes épidémies enregistrées en Afrique au cours du siècle dernier et au début de ce siècle (tels le Paludisme, le Sida, Ebola, Zika, Dingue, Grippe asiatique d’origine aviaire, Chikungunya), les peuples d’Afrique ont survécu sans grands problèmes. C’est un signe d’espoir et tout comme les autres épidémies, le COVID-19 sera vaincu à court ou moyen terme.
A mon avis, les principaux enseignements que l’Afrique pourrait tirer de cette pandémie sont : i) affecter des ressources budgétaires conséquentes au secteur de la santé et de la recherche scientifique, ii) retenir le personnel soignant (médecins, infirmiers, aides-soignants etc.) en Afrique en améliorant substantiellement leurs émoluments et conditions de travail afin d’éviter ou de minimiser la fuite des cerveaux, iii) se doter de laboratoires et de structures hospitalières bien équipées en nombre suffisant, iv) constitution des stocks stratégiques suffisants en investissant dans l’industrie pharmaceutique, en assurant une formation continue et de qualité du personnel médical et paramédical, en incitant les entreprises à adopter des plans de continuité des affaires pour éviter leur disparition.
Quant aux pouvoirs publics qui se sont fortement mobilisés pour aider la population, il faut les encourager si ce n’est pas déjà fait, à concevoir et à adopter des stratégies de sortie de crise comme en temps de guerre en préparant des plans de reprises des activités au terme de la période de confinement.
Par ailleurs, il convient d’encourager les initiatives privées notamment celles des jeunes en les impliquant dans la recherche de solutions innovantes et à moindre coût comme on a pu le voir un peu partout sur le continent pour la production de masques, de respirateurs, de visières, des combinaisons, des gels hydroalcooliques etc.
Une telle stratégie de valorisation et de transformation de ses ressources naturelles, réduirait la dépendance de l’Afrique de l’extérieur et créerait davantage d’opportunités d’emploi pour les jeunes et la lutte contre l’émigration clandestine.