Mohammed VI, le défi de la sagesse
Hassan Alaoui
Quelques heures seulement après avoir prononcé, mardi 6 novembre, le discours commémoratif du 42ème anniversaire de la Marche verte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI s’est envolé aux Emirats arabes unis (EAU).
Le lendemain, il a pris part aux cérémonies de l’inauguration du Musée du Louvre-Dubai, à laquelle ont participé, également, plusieurs chefs d’Etat, dont notamment Emmanuel Macron, président de la République française qui a contribué à sa réalisation. Le Louvre-Dubai, dont les travaux ont été lancés, il y a dix ans, outre l’une des plus grandes œuvres d’art, symbolise une sorte de panthéon de la culture polymorphique et du cosmopolitisme universel, un confluent civilisationnel. Sa Majesté Mohammed VI, qui nourrit un attachement viscéral aux arts et à la culture, a suivi donc, avec intérêt, l’évolution de ce Musée de cohabitation, transformé également pendant quelques heures, en Sommet politique, un lien de concorde et d’échanges.
La visite du Souverain aux Emirats arabes unis transcendait, également, la dimension culturelle et artistique. Elle déborde également sur un autre volet où, conjoncture oblige, la politique et la diplomatie imposent leurs droits et leurs propres lois. Elle survient, en effet, au cœur d’une tempête politico-diplomatique voire militaire qui secoue le Moyen Orient et particulièrement les pays du Golfe. Sa Majesté Mohammed VI s’est rendu, ensuite, en visite officielle au Qatar, à partir du dimanche 12 novembre, avec un agenda chargé en termes d’entretiens avec l’émir Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani. Là aussi, la conjoncture a dicté ses propres règles, le Qatar ayant été isolé, depuis le 5 juin dernier, par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahrein et l’Egypte.
Exprimant un souci rédhibitoire de neutralité dans ce conflit entre des pays frères, le Roi Mohammed VI s’en est donc tenu à l’écart et a cultivé, c’est le moins que l’on puisse dire, un langage prudentiel. Solidarité oblige, il a même ordonné, en juin dernier, d’envoyer immédiatement au nom de l’humanisme, un soutien en vivres et en denrées au peuple du Qatar, aussitôt annoncée la décision d’un embargo contre lui. Ce sont, finalement, deux jours d’intenses concertations qui ont marqué la visite du Roi Mohammed VI à l’Emirat du Qatar, dont quelques-unes en tête-à-tête entre les deux chefs d’Etat, et d’autres élargies à leurs collaborateurs respectifs.
Les sujets d’intérêt commun – comme une forte présence d’investissements qataris au Maroc, l’émigration marocaine dans l’Emirat-, le redéploiement politique dans la région auquel on assiste, avec notamment les ingérences du Hezbollah libanais en Syrie, à Bahrein, au Yémen et jusqu’au Nigéria, l’interposition de l’Iran, monstre nucléaire qui ne cache plus ses ambitions régionales, participent en somme d’une redistribution des cartes qui suscite, à la fois, inquiétudes et graves interrogations. La folle semaine du 5 au 12 novembre a plutôt laissé un goût de cendres, tant il est vrai que le voyage impromptu de Saad Hariri à Ryad , l’annonce spectaculaire de sa démission ensuite, le tir du missile sur la capitale saoudienne, la continuation des sévères purges lancées par Mohamed Ben Salmane, au nom de la lutte anticorruption, ne sont pas des faits isolés, tant s’en faut. Ils constituent plutôt le fameux imbroglio oriental sur lequel on peut gloser.
Et dont le fil conducteur est ailleurs, à chercher dans la doctrine du «transformisme», qui porte un coup rude aux ultraconservateurs saoudiens et enchante, sans doute, les Occidentaux. Aujourd’hui, entre mille et une obligations, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a pris son « bâton de pèlerin » et manifeste sa présence sur le champ interarabe, miné par l’une des plus graves crises diplomatiques, exprimant une double exigence : la solidarité et la neutralité, s’inscrivant d’emblée dans cet aphorisme de ne « jamais insulter l’histoire », faisant sienne cette sage devise du juste milieu qui caractérise notre politique étrangère. C’est un euphémisme que d’invoquer le terme de crise à un moment où la nouvelle donne politique en Arabie saoudite fait éclater ou risque de faire éclater la région, avec des dommages collatéraux dont on ne saurait soupçonner les retombées, dans l’immédiat.
En conséquence, c’est le monde arabe, tout entier, qui est confronté à des déchirements et qui connaît une césure d’autant plus dangereuse qu’elle traduit le désarroi collectif face à cette montée, en puissance, de l’Iran redoutée, manifestement à l’œuvre depuis que Barack Obama, au prétexte fallacieux et illusoire d’enferrer Téhéran, dans le carcan de l’Accord nucléaire, signé en juin 2015, a cru, si naïvement, l’assagir et tempérer ses ardeurs hégémoniques. Dans la région, au milieu d’une quinzaine d’Etats, hormis Israël, l’Iran est le seul pays détenteur de l’arme nucléaire et la fusée balistique, lancée contre Ryad, dimanche, fait tourner les regards des observateurs vers Téhéran dont personne ne doute qu’il est derrière cette provocation.
De Dubaï à Doha donc, en l’espace de quelques jours, le Souverain a rencontré deux chefs d’Etat frères, plus ou moins en brouille aujourd’hui mais jamais en rupture. Il est certain qu’au cœur des entretiens bilatéraux qu’il a eus avec l’un et l’autre, la question centrale de l’unité arabe – frappée d’hémiplégie aujourd’hui – a été abordée. Le Roi, qui a fait de sa sagesse légendaire un facteur essentiel de sa vision, préconise la Raison et le dialogue. A preuve : il est l’un des seuls qui s’est interdit de commenter, encore moins prendre position dans la crise qui oppose le Qatar à ses voisins, ou mieux celle qui a éclaté, un weekend, entre Ryad et le Hezbollah. Il viendra le jour où la finalité de sa mission dans le Golfe sera dévoilée, déclinée.