Monsieur le chef de gouvernement, qu’avez-vous fait de mes enfants ?
Parce que j’ai passé ma vie à injecter à mes enfants l’amour du pays, parce que j’ai passé mon temps à leur inculquer l’appartenance à la patrie, la citoyenneté et la fidélité au Maroc, parce que j’ai tout fait pour qu’ils s’attachent au pays qui les a vus naître et grandir, aujourd’hui, je vous tiens pour responsable, Monsieur le chef de gouvernement, du revirement de situation que je suis en train de vivre. Aujourd’hui, mes enfants veulent quitter le pays pour ne plus y revenir. Aujourd’hui, ils ne se retrouvent plus et ne se projettent plus dans ce Maroc qu’ils ne reconnaissent plus.
Savez-vous pourquoi Monsieur le chef de gouvernement ? Parce que depuis quelque temps déjà, je ne fais qu’essayer de défendre, devant eux, la passivité de votre Exécutif, son inefficience et ses décisions unilatérales tout en étant consciente que mon argumentaire sonnait faux puisque moi-même n’en étais pas convaincue. Bien entendu, comment peut-on cautionner de telles gabegies dont nous-mêmes payons le prix fort ? Et voyez-vous, Monsieur le chef de gouvernement, contre moi-même et contre ma nature de maman, la mort dans l’âme et le cœur en pièces, je me surprends à aller dans le sens de leur choix.
Les laisser partir serait peut-être mieux pour eux ?
Disons que je me suis rendu à l’évidence qu’il n’y a pas pire que de se sentir étranger dans son pays, ou du moins laissé pour compte. Il n’y a pas pire que ce sentiment de frustration et de marginalisation ressenti qui engendre la tentation de quitter le pays pour d’autres horizons. Il n’y a pas pire que de vivre dans l’aléatoire et d’être incapable d’envisager l’avenir dans un climat flou, suspicieux et incertain.
Les soixante minutes de trop
Votre décision de maintenir l’heure d’été, le vendredi 26 octobre, lors d’un Conseil de gouvernement exceptionnel, est la goutte qui a fait déborder le vase. Alors que nous attendions d’en finir avec cette heure qu’on ne sait plus gérer à tel point qu’il faut toujours préciser si c’est « l’ancienne » ou la « nouvelle » pour remettre les pendules à l’heure, à seulement 48 heures du passage à l’heure d’hiver, vous décidez, brutalement, de régler, à votre manière, les pendules du Maroc sur le fuseau horaire GMT+1 sans daigner procéder, comme il est d’usage dans les démocraties, à un sondage, pour connaître l’avis du peuple.
Savez-vous, au moins, que par votre décision précipitée, vous faites preuve d’un déni qui ne dit pas son nom à l’égard des Marocains, qui sont désormais, déstabilisés et désemparés ? Vous voulez suivre en cela l’Union européenne qui a décidé de supprimer l’heure d’été ? Soit ! Mais sachez qu’un taux de 80% des citoyens européens ont voté pour. En Amérique aussi, le processus est discuté avec les Américains et sera étalonné sur cinq ans.
Qu’en est-il de nous ? Il est clair que l’économie est très liée aux entreprises du CAC 40 et qu’on doit s’aligner sur le fuseau horaire de Paris. Mais donnez-vous la peine d’expliquer aux gens, usez d’arguments forts. Et surtout, prenez le temps de vous concerter avec les citoyens, préparez-leur les mesures d’accompagnement nécessaires. Au lieu de cela Monsieur le chef de gouvernement, vous nous blasez voire méprisez, vous nous mettez devant le fait accompli avec une décision qui va contre la volonté du peuple, sans consultation publique auprès des Marocains.
Et le coup de grâce ce sont les horaires scolaires qui illustrent le décalage dans lequel vous allez nous faire vivre désormais. Quand le ministre de l’Éducation nationale annonce, le 26 octobre, que tous les établissements d’enseignement publics et privés suivraient les horaires suivants : de 9h à 13h puis de 14h à 18h et que cette mesure serait appliquée dès le 7 novembre, date de la fin des vacances scolaires et la reprise des cours avant de la reporter pour le 12 novembre, n’est-ce pas là de l’affront pur et dur et de l’arrogance à l’égard d’un citoyen qu’on balance comme quantité négligeable et qui n’a que le droit de se taire et de subir ? Il a fallu toute une gymnastique pour opter, enfin, pour 8h30-12h30 et 14h30-18h30 avant de jeter la braise dans la main des directeurs d’académies du Royaume.
C’est que nos ministres font dans la provocation d’un peuple excédé par une mauvaise gouvernance criante et excellent dans la diversion tout en fuyant leurs responsabilités !
De vous à moi, Monsieur le chef de gouvernement
De quoi cette improvisation est-elle le nom ? Et comble de mépris, vos ministres défendent l’indéfendable en portant atteinte, encore une fois, à l’intelligence des Marocains. Quand M. Benabdelkader, tenant à rassurer les citoyens, avait dit que « cet horaire a plus d’avantages que d’inconvénients » tout en parlant soi-disant d’une étude évaluative –dont on n’avait jamais entendu parler auparavant et qui n’est apparue comme par enchantement que bien après votre décision- basée sur plusieurs indicateurs qui prennent en considération les volets relatifs à la santé, l’économie de l’énergie et aux transactions commerciales, il fallait bien qu’il commence par le dernier point, non ?
Vous êtes sérieux quand vous dites que cela permettra au Royaume de gagner une heure de lumière naturelle ? Mais voyons ! Désormais, quand on se réveille, alors qu’il fait encore noir, toutes les lumières sont allumées. Sans parler des rues où les lampadaires nous éclairent et nous escortent grâce à vos soixante minutes de trop qui décalent le mode de toutes les familles. Avez-vous songé à faire l’évaluation de l’impact du changement horaire sur les heures du lever/coucher du soleil dans les différentes régions du Maroc ? Comble du comble, Monsieur le chef de gouvernement, on voit à travers votre étude que pendant la 1ère semaine de janvier, le soleil se lèvera sur Tanger à … 8h30 et à Dakhla à … 8h45 ! De quelle économie parlez-vous donc ? Venons-en à l’impact négatif que cela peut avoir sur la santé et en particulier sur les enfants! Plusieurs études scientifiques ont démontré que ce décalage a d’énormes répercussions sur la santé et notamment sur l’horloge biologique des enfants. Eh oui ! Le changement d’heure perturbe le sommeil et l’organisme.
Ceci n’est pas là une réforme mais du bafouillage, Monsieur le chef de gouvernement !
Ce sont des décisions qui touchent tous les citoyens et chamboulent l’organisation de tout un pays, Monsieur le chef de gouvernement, et la gestion des problèmes du peuple n’est pas chose aisée. Aussi devriez-vous prendre le temps nécessaire au lieu de le faire dans la précipitation et de chercher des solutions de replâtrage. Les Marocains sont exaspérés par le changement d’heure, oui, j’en conviens, mais alignons-nous au fuseau horaire GMT au lieu de nous donner le tournis à chaque saison ou du moins, donnez-nous le temps de nous y préparer.
Que faites-vous de la logistique chers gouvernants ?
Allez-vous imposer aux employeurs du privé de vous suivre dans votre décision ? Sinon qu’adviendra-t-il des mamans qui doivent déposer leurs enfants à 8h30 alors qu’elles doivent être au bureau à 8h ? Plusieurs parents ont commencé à collectionner les avertissements en raison des retards enregistrés par les pointeuses biométriques. Encore heureux doivent être les employés de l’Etat. Vous avez parlé de flexibilité au niveau des administrations? Une belle raison pour voir des bureaux sans fonctionnaires et des fauteuils de plus en plus vides, surtout avec la plage horaire proposée par le ministère de la Réforme de l’Administration et de la fonction publique. De là, on peut déjà imaginer l’anarchie qui régnera dans les administrations où l’arrivée sera autorisée entre 8h30 et 9h30 pour partir entre 16h30 et 17h30. Et bonjour les problèmes !
Bref, positivons ! Une heure de plus ou de moins ne changera rien. Les lève-tôt continueront à se hasarder dans l’obscurité des rues désertes pour pouvoir joindre les deux bouts du mois et survivre, tout en priant Dieu de leur épargner des agressions. Pour ceux qui font la navette, ils n’ont qu’à régler leur heure biologique sur celle de l’humeur de nos gouvernants. In fine, faisons comme si l’été durait chez nous bien que ce ne soit pas le cas.
Votre improvisation nous tue
Vos décisions à caractère unilatéral impactant l’ensemble des citoyens engendre le ras le bol des Marocains. Vos enfants sont-ils parmi ces élèves qui crient à l’unisson leur mécontentement dans toutes les villes du Royaume et qui trouvent là un bon prétexte pour déserter les écoles?
Quant aux miens, ils se sont rendu compte qu’ils évoluent dans un contexte politique où l’improvisation bat son plein, où le coût de la vie est de plus en plus cher, où les taxes n’en finissent pas de déplumer les classes moyennes et les petites entreprises, où l’impunité est le maître mot dans la sphère des responsables.
Nos jeunes enfants, Monsieur le chef de gouvernement -puisqu’il ne s’agit pas seulement des miens- sont une vraie ressource que vous avez désenchantée par votre mauvaise gouvernance et le bal des égos de nos hommes politiques. Ceux-là même qui tirent la couverture chacun de son côté, faisant fi de l’intérêt du pays et des citoyens. Qu’attendre donc d’un gouvernement qui se décrédibilise et qui ne fait de l’intérêt du pays qu’une option au moment où la corruption gangrène la patrie, le clientélisme envenime notre vie, les dérives ponctuent notre quotidien, des problèmes de fond tels que l’éducation, la santé et l’emploi nous handicapent, nos écoles sont des machines à sortir des chômeurs, nos hôpitaux nous font prier mille fois par jour qu’on ne tombe pas malades, la criminalité et la spoliation entachent le pays ?
Mais notre grand problème c’est qu’au lieu que les gouvernants descendent de leur tour d’ivoire pour écouter les préoccupations et doléances des citoyens, ils les snobent et les dénigrent allant même jusqu’à faire dans l’excitation et l’abus. Nous vivons, à présent, dans une suspicion de tous les temps. Rien ne nous convainc plus et on ne croit plus en rien. Le grand point d’interrogation l’emporte toujours. Tout ce qui a trait à la politique n’est plus crédible à nos yeux bien qu’il soit juste. On n’éprouve plus que du doute à l’endroit des politiques.
Rappelez-vous que les lycéens et étudiants étaient politisés pendant les années 70 et initiés à la vraie politique. Aujourd’hui, nos « leaders » des partis politiques manquent gravement de formation. Cherchez l’erreur, Monsieur le chef de gouvernement !
Votre gouvernance ou plutôt votre méthode, tout comme celle de votre prédécesseur, après avoir promis monts et merveilles au peuple, accuse de lourds déficits surtout au niveau social puisqu’elle appauvrit davantage les pauvres creusant ainsi une excavation entre les riches privilégiés et la classe moyenne et pauvre, évincée par les abus.
Vous êtes psychiatre et vous savez qu’un jeune sur cinq souffre de troubles psychologiques causés par des fléaux comme l’addiction aux drogues, le tabagisme et le suicide mais aussi par des dérives qu’impliquent les réseaux sociaux et leur utilisation abusive.
Nos jeunes, dont l’ambition est avortée, souffrent d’un mal-être latent et désespérant qui les éloigne de tout épanouissement intellectuel ou ouverture d’esprit. Ils se voient freinés dans leur élan et leurs espérances couler du nez. Même les lauréats ne sont pas à l’abri du chômage qui touche un jeune sur quatre. Même ceux qui réussissent et brillent envisagent de quitter ce Maroc qui les empêche de libérer leur potentiel et jette le doute sur leur devenir une fois leurs diplômes en poche. L’accès au monde professionnel relève souvent du parcours du combattant. C’est la citoyenneté qu’on tue en eux, on bute l’amour du pays qui se voit vider de sa matière grise, celle-là même qui va, au grand malheur du royaume, fleurir ailleurs.
L’urgence nous interpelle, Monsieur le chef de gouvernement ! Que faites-vous des discours du Roi où il met la jeunesse au cœur de ses préoccupations et de sa vision et où il demande à lui ouvrir grand les portes ? Rapprochez-vous de ces jeunes, écoutez-les, retenez-les dans leur pays, ouvrez-leur les horizons, offrez-leur du concret parce qu’ils ont perdu tout espoir et confiance en l’avenir. C’est cette jeunesse qui redonne l’espoir en un Maroc meilleur.
Nous aimons notre pays. Nous tenons à sa stabilité plus que tout. Alors, de grâce, ne tirez pas trop sur la corde !