Moulay Ahmed Alaoui, quinze ans après une grande « leçon de choses »
Nous célébrons, ces jours-ci, le 15ème anniversaire de la disparition de Moulay Ahmed Alaoui. Aucun mot ne pourrait décrire ce que fut, ce qui est toujours notre maître, celui dont il conviendrait de dire sans ambages ni complexe qu’il incarne – pour reprendre l’expression de Roland Barthes – notre « système de la mode » ! Décédé il y a 15 ans, Moulay Ahmed Alaoui est demeuré, malgré le temps qui glisse ou qui se fige, un modèle. Il était tout à la fois : militant nationaliste de la 1ère heure, compagnon du Roi Mohammed V le Libérateur de la nation, l’un des artisans de la reconstruction du Maroc des années cinquante et soixante du siècle dernier, plusieurs fois ministre sous le règne de feu Hassan II, journaliste de la première heure, fondateur, en novembre 1971, du groupe Maroc Soir et Le Matin, homme politique, il incarnait jusqu’aux dernières heures de sa vie le « patriote engagé » !
De nos jours, changement d’époque oblige, une telle notion ne signifie peut-être pas grand-chose et nous renvoie à une sorte de réminiscence que certains qualifieraient volontiers de has-been voire d’archaïque… Le patriotisme, non seulement n’existe plus sous sa forme originelle, mais ne semble plus constituer l’exaltante motivation d’autrefois. Non que les générations d’aujourd’hui ne soient pas animées par le désir ardent de défendre leur nation, leur drapeau et leur identité dans un monde ravagé par une mondialisation rampante qui, au prétexte que les frontières s’estompent, détruit l’appartenance.
Moulay Ahmed Alaoui est demeuré un génie de la presse au Maroc, tôt avant les autres, il avait toujours l’intuition des événements. Mieux que tout autre, il savait les interpréter et leur donner sens et perspective. Toute son activité – de journaliste plus que de ministre impétrant – fut vouée au service de l’identité nationale et de la culture plurimillénaire de son pays. Un haut lieu du patriotisme et de la défense de la Monarchie, l’illustration véhémente d’un engagement sans faille. Moulay Ahmed Alaoui n’existerait pas, que l’époque l’eût inventé. Il avait l’engagement fixé au cœur comme une bandoulière, mieux comme une fleur…
L’homme qui invente l’événement
Nationaliste de la première heure ! On ne l’a que trop dit, mais la première heure est aussi celle qui vit le Maroc prendre les armes, face au colonialisme, pour la Libération du Maroc, l’instauration du premier Etat indépendant, la défense du régime pluraliste, des institutions, la défense des partis politiques, des syndicats, l’incomparable et irréductible plaidoyer de l’intégrité territoriale, du Sahara marocain et cette passion intuitive et unique pour l’Afrique qui n’avait d’égale que l’amitié qu’il nourrissait avec la plupart des dirigeants africains.
Il avait tôt compris le poids de l’Afrique et ses éditoriaux, sans pour autant céder à la flagornerie, quand ils traitaient de ce continent, ressuscitaient la profondeur des liens ancestraux entre le Continent et le Maroc et les idéaux des premières décennies d’indépendance. Au plan de la pédagogie du problème national du Sahara, Moulay Ahmed Alaoui était incontestablement le plus averti, celui qui relaya les historiens et les meilleurs avocats de ce dossier.
Editoriaux, textes d’exégèse et d’explication, le travail intellectuel de Moulay Ahmed Alaoui relève du sacerdoce tant il est minutieux, laborieux et profond. Le patron du groupe Maroc Soir qu’il était imposait ses règles déontologiques et ses critères : le journalisme était une mission et rien d’autre. Quand d’autres se focalisaient sur le fait divers qui nourrissait leur fantasme et leur quête de vendre pour vendre, lui s’élevait pour le réduire à sa juste place, nous prescrivant de le bannir de nos pages, parce qu’il relevait du populisme et du sensationnalisme qui sont à la presse ce que la dérision est à nos cultures.
« Le journalisme, c’est la répétition… »! Voilà un autre précepte qu’il n’avait de cesse de nous lancer. Dans le même souci de continuité, il affirmait que « la répétition c’est la pédagogie » destinée à des lecteurs qui avaient tendance à oublier et qui, déjà, étaient saturés. Patron de presse impétueux, exigeant et imposant la simplicité stylistique, il rejetait les fioritures de langage et d’écriture et élevait la sobriété comme une règle absolue. La phrase balzacienne d’un sujet, un verbe et un complément, genre « la marquise est sortie à cinq heures » constituait à ses yeux l’incontournable règle de tout journaliste digne de ce nom.
Albert Combat dans « Combat » ou Hubert Beuve-Méry dans « Le Monde », avec leur caractère, le premier passionné et le second ombrageux, n’eurent pas fait mieux ou autrement. Moulay Ahmed était de cette sève qui s’interdisait la facilité synonyme d’acte émollient.
Aussi, les centaines d’éditoriaux qui ont jalonné sa longue carrière de « patron » de presse, péchaient, dira-t-on, par excès de modestie, mais jamais de simplicité. Son texte, qui configurait les pages de la Une du « Matin » et de « Maroc Soir », sous forme de « chandelle » de deux colonnes de haut en bas, tombait, à chaque fois, comme un couperet, attendu avec impatience par les chancelleries et les agences de presse parce qu’il livrait les secrets d’Alcôve sur lesquels s’échinaient experts et autres sondeurs pour comprendre les orientations de la politique nationale ou détricoter les paroles royales.
Très proche de feu Hassan II, c’est le moins que l’on puisse dire, Moulay Ahmed en fut également l’interprète didactique. Les deux tiers de ses écrits, étalés sur une trentaine d’années, étaient consacrés au Roi, à la défense de la Monarchie, aux projets de grande envergure initiés par ce dernier, à l’irrépressible défense de la cause nationale et de l’intégrité territoriale du Maroc, à sa place dans le concert des nations, avec cette assiduité patriotique devenue d’autant plus rare, égarée même, que la parole de Moulay Ahmed nous manque à présent cruellement.
Le Roi Mohammed VI dont il accompagna les premiers pas, et auquel l’attachait une forte affection, incarnait aux yeux de Moulay Ahmed, certes, la relève mais aussi un changement radical qu’il appuyait. Le soutien à la Monarchie, continuité historique et biologique, constituait son ADN.